Nous atterrissons à notre habitude chez « l’ami d’un ami » qui nous loue une chambre dans une maison très simple et accueillante, loin des allers-venus des touristes de Salento qui d’ailleurs ne sont pas en si grand nombre. Mais ma foi, c’est la première fois que nous rencontrons nos semblables les touristes depuis notre arrivée. L’ami en question, Pablo, a construit sa maison en Guadua. De la famille proche du bambou, il s’agit d’une ressource abondante dans le Triangle du Café. Ce matériau écologique, économique, solide et esthétique est aussi flexible (il a des propriétés antisémitiques) ! Sa maison est construite sur pilotis pour contrecarrer la pente qui est un inconvénient géographique local, et il a coiffé le tout de tôles pour protéger de la pluie. Un grand espace « terrasse » permet d’admirer la vue sur Salento en premier plan, et le volcan de Tolima au second plan. C’est l’endroit préféré des convives qui se détendent dans les hamacs, en écoutant la pluie battante tomber. Nous, nous utilisons surtout cet endroit pour faire sécher les combis !
Nous dormons dans un lit superposé en guadua, dans une petite pièce isolée par …. du guadua, qui ne constitue qu’un isolement visuel et non sonore. Autant vous dire que le coin toilette est isolé de la même manière. Tout le monde vit ici en communauté et partage les lieux et rythme de vie.
Notre première journée est assez satisfaisante. Nous prévoyons de prospecter dans la Valle du Cocora, route d’accès au Volcan du Tolima, connue pour ses célèbres Palmeras de Cera, les Palmiers de Cire, emblème national depuis 1985, pouvant atteindre 60m de haut ! Leur particularité est de pousser entre 1 500m et 3 000m d’altitude, une blague pour un arbre qui se délecte plutôt des bords de mer !
Nous nous rendons à la Finca La Carelia pour demander le droit de passer sur le terrain et accéder ainsi à une assez grande cascade qu’on l’on aperçoit tout là-haut, dans la montagne. L’homme nous laisse passer sans problème. Il va régulièrement se baigner dans la vasque de la cascade, à une heure de marche dans les bois depuis chez lui. Aussi nous indique-t-il le sentier d’accès au pied de la cascade: Passez entre les deux Palmiers de cire que vous voyez là, longez le bois vers la Cascade, puis remonter la sente jusqu'à la cascade. Mais il doute que nous arrivions au sommet. Nous non. Surtout depuis qu’une jeune fille ce matin au café nous a dit « Ah, moi j’y suis allée ! La marche est très longue mais la cascade est magnifique, on dirait qu’elle sort d’une grotte et qu’elle jailli de la roche comme ça ! »
Tiens donc ! Voilà qui nous émoustille les papilles ! Nous ne peinons pas à monter par les bois et nous réjouissons d’être un peu plus haut en altitude : la végétation est beaucoup moins dense. C’est dire, le lit de feuilles sèches par terre nous rappelle presque la forêt de Tronçais (Dixit Fredo). Par bonheur la roche est bonne, la cascade est splendide, une soixantaine de mètres, pourvu qu’il y ait quelque chose au-dessus !
On se perd un peu l’un l’autre, chacun allant explorer de son côté, on remonte à tout va puis on dégringole ses pentes de terre, tantôt accrochés aux racines, tantôt un pied sur un tronc pourri qui menace de casser, et chemin faisant nous nous retrouvons avec joie dans le lit de la rivière, au dessus de la grande cascade ! Et qu’entends-je là ? Une cascade ? et pas la grande cascade, une autre d’une quinzaine de mètres. L’eau est claire et propre. Nous sommes très frustrés de ne pas avoir emmené le perfo. A la base nous n’étions venus que pour explorer mais maintenant qu’on est là, il serait tellement plus facile, et terriblement plus excitant, de redescendre par le canyon ! Mon Dieu, dire qu’il va falloir revenir et remonter par ce tas de terre géant ! On a essayé d’aller plus en amont, mais comme des bleus on a oublié gants et machette, donc impossible de remonter non plus. En passant par la forêt nous avons gagné en altitude, et passons de 2 300m à 2 500m, mais impossible de deviner ce qui se passe dessous et d’un coup la broussaille est devenue abominable ! La brume tombe, la zone est connue pour son brouillard opaque qui perdrait l’habitant même du pays. Nous décidons donc sagement, et à contre cœur, de faire demi-tour, quand Fredo manque d’écraser ce que vous redoutez tous (et nous aussi !) : un bon gros serpent d’environ 5 centimètres de diamètre, très long, de couleur rouge et noir, dont les anneaux rouges font le double des noirs. La bête est restée calme, tapie sous cet immense lit de feuilles mortes. A nous de reprendre notre souffle et de nous écarter. Nous en avons fait part à l’homme de la Finca en bas. Il était très étonné d’apprendre qu’il y avait des serpents à cette altitude. Son intrigue quant à la bête était mêlée de dégout et d’une certaine peur. Il nous a confié détester les serpents ! Après avoir collecté les informations à droite à gauche, il semblerait que Fredo a manqué d’écraser un « mataganado », littéralement : « qui tue le bétail ». Ça fait froid dans le dos. Si vous cherchez sur internet vous trouverez beaucoup d’articles comparant « Le vrai du faux Coral ». A quoi bon. La prochaine fois on remonte avec : des perfos chargés, les gants, la machette et des bonnes bottes !
Suite de l’après-midi à la Finca de La Reserva del Cairo qui cache sur son terrain une magnifique cascade d’une quinzaine de mètres, creusée dans une bonne roche, au débit parfait : l’idéal pour emmener des débutants ! Contrairement à la Cañada La Carelia qui, elle, sera réservée aux experts motivés, tant pour la marche d’approche que pour celle du retour, La cascade de la Cruz Gorda est très facile d’accès. Nous escaladons rapidement les contours pour voir plus haut : une autre cascade nous attend, puis une deuxième. Nous sommes gonflés à bloc, nous remontons la rivière à tout va, en jean et en basket. Nous n’avions pas prévu de nous mettre à l’eau mais l’espoir nous a fait oublier que nous n’étions pas en combis. Un bon kilomètre de marche en rivière plus loin et nous devons nous résoudre à notre grande déception : il n’y aura rien de plus. La nuit tombe de toute façon, il est temps de faire demi-tour. Quel do-ma-ge !
Le propriétaire, très sportif et aux goûts de l’hôtellerie fins, ne le voit pas du même œil. Il compterait bien proposer la descente de ces trois cascades à ses hôtes. On ne va pas se fermer de portes : nous restons donc en contact.
Le lendemain nous reprenons un travail de Jérôme : la quebrada de Santa Rita. Il est temps que je vous éclaire sur la signification de quebrada. Ici quebrada veut dire ruisseau, même si moi je leurs parle toujours de río, la rivière, parce qu’il y a quand même pas mal d’eau ! Alors ils ne comprennent pas, puisque pour eux río, c’est un fleuve ! Et les fleuves ici ce n’est pas les rivières de chez nous ! C’est comme quand on parle de la végétation ! Les Colombiens disent :
Pour les européens, un jardin est un bois, un bois est une jungle, alors une jungle, c’est impensable pour eux ! Donc je m’efforce de dire « bois » même si je pense fortement qu’il s’agit d’une jungle !
La cascade finale de Santa Rita est très connue dans le tourisme de Salento, et pour dire : elle est magnifique, encaissée. Une quinzaine de mètres de hauteur. Il y a un bon débit. Les points que Jérôme a mis il y a deux ans sont toujours là, à notre grand étonnement, vu le monde qui passe personne n’a eu l’idée de les enlever. Alors qu’à Anserma, personne ne passe, et il n’y a pourtant plus d’ancrages dans le Salazar !
En amont de la cascade, la rivière (je garde nos termes « européen ») ne tarde pas à se diviser en une confluence. L’affluent Rive Droite (dans notre jargon canyon, pour mieux se repérer, nous parlons de rives dans le sens de la descente de la rivière) a été parcouru un peu par Jérôme. Il y a de petits encaissements et de petits toboggans. Il a également rapidement jeté un coup d’œil sur l’affluent Rive Gauche et s’est arrêté sur une petite cascade. C’est celui-là qui nous donne de l’espoir et qui nous intéresse !
Nous remontons sur les côtés, Fredo est cette fois-ci équipé de machette et de gants, on a un perfo dans le dos et nous nous donnons à cœur joie de remonter le cours d’eau comme des petites truites, en rencontrant des cascades qui s’enchainent jusqu’au pied d’une cascade d’une trentaine de mètres ! L’adrénaline remonte à bloc, comment Jérôme n’a-t-il pas été voir la suite ? Nous grimpons dans la broussaille, une poule d’eau volante nous passe au ras du casque, je manque d’écraser un joli phasme vert, et nous arrivons en équilibre au sommet de la C30. Mais il y en a encore d’autres derrière ! Le débit s’amenuise un peu mais reste consistant, nous rencontrons deux affluents, et nous remontons à toute vitesse le cœur d’eau par les côtés ! Il va y avoir du boulot d’équipement à la redescente mais on ne peut plus s’arrêter. Jusqu’à ce que l’heure nous arrête : il est 13h. Le temps de tout équiper, si on ne veut pas fini de nuit, il faut faire demi-tour. C’est dire que la nuit tombe rapidement : à 18h00 le soleil se couche sur le Pacifique, à 18h05 il fait nuit noire !
- « Nan Fredo stp on peut aller voir la dernière, stp ? »
- « Aller, juste une dernière et après promis on fait demi-tour »
Je m’empresse de le dépasser, tant pis pour la machette, je me faufile dans la végétation et je remonte le courant ! Et de nouveau je m’arrête sur une cascade d’une quinzaine de mètres.
- « Fredo, stp juste celle-ci encore ! » dis-je en pointant du doigt, le regardant avec mes yeux de cocker.
-« Mmh, c’est vrai que la suivante à l’air vraiment facile à remonter », affirme-t-il, facilement corrompu.
A nous de commenter, en remontant ce plan incliné, sous la gerbe d’eau: « c’est génial cette trouvaille mais dis donc l’accès va vraiment pas être facile à trouver ». Autour il n’y a que de la jungle, à perte de vue. On voit à peine le ciel. Mais sans accès, la trouvaille a beau être la plus belle, nous canyonistes sommes fait pour descendre les cascades et pas les remonter !
Sur ces belles paroles on ne pouvait pas mieux tomber, et je remercie la tête de mule que je suis : ma main tâtonne le haut de la cascade, je lève le nez et peine à réaliser que nous sommes … face à un chemin ! Un vrai chemin ! Un sentier d’accès !
Nous n’avons même pas eu à nous regarder pour enlever le casque, et suivre ce chemin jusqu’où il nous mènera pour trouver l’accès à cette nouvelle course. Nous cheminons aisément sous un envol de papillons aux ailes aussi grandes que ma main, puis rapidement nous nous orientons: nous sommes passés de l’autre côté de la montagne et avons vue sur Salento. Le petit village de Boquia, où nous avons laissé la Toyota, est en bas, à droite. Le fleuve du Quindio, 200m de dénivelé plus bas dans la vallée, nous y mènera sans aucun doute. Par contre c’est au bas mot deux heures de marche. D’ores et déjà nous pensons à un produit phare, qui ferait rêver Quentin, notre compagnon de la formation au DE Canyon: pourquoi ne pas venir au canyon à cheval ! Il y en a tellement ici ! L’idée nous plait et on s’imagine déjà distribuer des flyers dans la rue avec un mec en combi sur un cheval !
Finalement, nous finissons la journée assez tôt, on reviendra équiper cette descente avec deux perfos ça ira plus vite vu le nombre de cascades (une quinzaine de ressauts).
Aussi, après un bon café chaud sous la tôle d’un bar de Boquia frappée par la pluie qui tombe à nouveau, nous décidons sur les conseils du garçon du café, de rencontrer Alejandro, LE guide de montagne du coin, pour lui chiner des cartes ! Quelle bonne idée ! Mais Alejandro n’a en sa possession qu’UNE carte détaillant avec précision les chemins du volcan de Tolima. Elle est parue il y a 5 ans et plus jamais produite depuis. Il est hors de question qu’il nous la vende, mais il nous a gentiment proposé de la prendre en photo. Alors on s’est comporté comme des chinois !
Quant aux cascades, très peu pour lui, les guides ça ne met pas les pieds dans l’eau. Il nous a conseillé d’aller voir Las Mercedes, à 3km de Salento par la piste : une blague, un vrai pipi de chat ! Mais à défaut l’orage ce soir était magnifique, et la vue depuis ces hauteurs un régal pour finir la journée face à ce spectacle de la nature.