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A Cartago, la vie est un long fleuve tranquille

Pas de nouvelles car on a dû calmer le rythme des escapades et les péripéties sont moins trépidantes. Si on veut pouvoir vadrouiller, il faut préparer le terrain et ça prend beaucoup de temps.

Nous sommes restés ces derniers jours principalement chez Estela à Cartago. C’est dire que c’est assez frustrant de rester enfermer dans un pays si enivrant mais c’est tellement excitant de bosser pour soi, pour ses explos, pour sa structure, pour créer et partager ! Que ça vaut bien quelques jours, sur l’ordi ! On a du pain sur la planche. Nous nous divisons les tâches : Fredo s’écartèle entre le référentiel de nos formations, le logo de la boutique et le site commercial, pendant que je me creuse les méninges … pour vous écrire (blague !), pour bosser sur les deux nouvelles normes, en cours d’élaboration par Ministère du Tourisme, et qui vont gérer l’activité canyon en Colombie. Je remets aussi à l’œuvre mes compétences universitaires pour traduire des documents, je bûche à fond sur les bouquins espagnols de techniques de canyon pour m’enrichir d’un lexique précis, je dessine les topos que j’espère bientôt mettre en ligne. Tout ça quand nous ne sommes pas plongés dans les contre fins de GoogleEarth pour pister des nouvelles explos intéressantes où aller planter le perfo ! Nous nous inquiétons aussi des procédures pour ouvrir la boutique et … de notre lieu d’implantation qui je crois est déjà trouvé. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs.

ça bosse dur à Carago !

Alors avant de quitter Cartago, je voudrais vous faire partager un peu de ce quotidien.

Déjà pour commencer le Toy a repris son souffle ! Ce qui nous a bien mangé deux jours. Nous sommes retournés le chercher là où nous l’avions laissé, il n’avait pas bougé. A croire que personne n’en veut ! Le mécano l’a ramené chez lui, à son garage pour voitures essences. Il nous a assuré que tout allait bien et il a rejeté la faute sur le mécano « du gaz ». Dans un but d’économie d’argent, les Colombiens ont adapté sur les voitures essence/diésel un système de gaz, bien meilleur marché. Hors le moteur a lui du mal à alterner les combustibles. A force de se rejeter la faute, nous avons fini par faire rencontrer le mécano de l’essence avec le mécano du gaz. Tout compte fait, l’idée a été bonne et mauvaise idée à la fois : les mécanos ont fini par accorder leurs violons pour nous annoncer, en chœur, que c’était de notre faute à nous que le Toy était en panne ! A la bonne heure ! Donc je dois reconnaitre, un peu gênée, que c’est nous qui n’avons pas su dompter les deux carburants à la fois ! Pour votre prochain périple en Colombie, sachez que pour passer de l’essence au gaz il faut d’abord vider le moteur de l’essence c’est-à-dire qu’il faut éteindre l’arrivée de combustible (de préférence dans la descente) et continuer de rouler jusqu’à ce que l’engin menace de caler. Quand vous sentez les frissons arriver, vous switcher le bouton sur le gaz et le moteur ronfle de plus belle ! De quoi nous mener aussi loin que le Toy pourra ! Ceci étant, il est fébrile et nous lui faisons guère confiance. On pense sérieusement à le laisser plus souvent à Cartago et à le troquer, … contre une moto ! Fredo en bave d’envie et c’est vrai que c’est plus économique et plus pratique ! Et puis c’est le moyen de transport passe-partout le plus en vogue ici.

Par contre c’est bruyant, et côté bruit, les motos c’est épuisant ! Ça grouille de vie, ça s’agite, mais à Cartago le bruit est infâme, un vacarme continu, et ça pue la tondeuse avec toutes ces 2 temps ! Alors je veux bien croire que c’est pratique, mais c’est vrai que boire un café au coin d’une rue à Cartago n’a rien d’aussi glamour que d’être peinard dans une rue piétonne en France ! On s’entend à peine parler. Nous n’avons trouvé que deux façons pour mettre fin à ce vacarme : soit une pluie torrentielle et dans ce cas tout le monde reste chez soi, sauf nous qui en profitons pour nous promener ! Soit une coupure de jus (Dieu merci ça arrive souvent) et là c’est radical : sans le jus, c’est l’entracte assurée ! (De nouveau en ce moment nous sommes bénis plusieurs fois par semaine !) Je ne sais pas comment font les gens pour bosser sans chopper le mal de crâne, ou pour regarder la circulation envahissante passer depuis leur pas-de-porte. Et comme ils tiennent à leur moto, ils les rentrent même le soir dans le salon ! Le trottoir est conçu spécialement d’une petite rampe pour les hisser. Les maisons sont petites, mais ils ont des maisons de plein pied rien que pour eux. Pas d’immeubles, de grattes ciel ni même de troisième étage ! Nous vivons donc dans une ville très étalée. Pour le reste du pays, Cartago est un « village » de 150 000 habitants. Au début je pensais comme vous : « non mais vous rigolez, un VILLAGE ?! Moi je suis née dans un village de 1 000 habitants ! » (Fredo on n’en parle pas ils ne sont pas 50 !) Et finalement, vu de l’extérieur, vu des « villes », je comprends pourquoi ils parlent de village. Il y a certes beaucoup d’habitants, mais peu d’infrastructures. Cartago était un village jusqu’il y a encore 70 ans, avant la période de la « Violencia » où le gouvernement de l’époque a fait régner la terreur dans les campagnes pour récupérer le plus de terres possibles. Les paysans ont dû s’enfuir et le pays a connu un énorme exode rural, et un gros coup au moral aussi. La plupart ont trouvé refuge et travail en ville, en laissant toute leur vie paisible de campagne et leurs belles fincas derrières eux. D’autres sont encore plein de rancœur de cet épisode inhumain et se sont réfugiés dans les bois pour former les redoutables clans des FARCS.

Quant à notre village, avant d’accueillir tout ce beau monde, Cartago a connu l’époque coloniale. Il ne reste plus grands chose de l’époque coloniale. L’architecture la plus remarquable est la maison du Vice Roi d’Espagne, construite au 18ème spécialement pour sa venue, dont il n’a pas fait l’honneur. La demeure est magnifique. Bâti en 1540, Cartago est connu pour la broderie et sa chaleur étouffante ! On commence à s’en rendre compte puisque régulièrement, lorsqu’un Colombien apprends où se situe notre QG, il réagit rapidement par un : « Fiouuu, qu’est-ce qu’il fait chaud là-bas ! ».

Autant vous dire qu’ici on dort déjà sans draps, et je tourne de l’œil quand on entend des phrases comme « Décidément, l’hiver ne termine jamais cette année ! » Ils déconnent ! Même les lézards se moquent ! La maison est pleine de petits lézards à la peau claire, presque blanche, qui s’adonnent, la nuit tombée, à la chasse aux moustiques en poussant des « Tuuut Tuuut Tuut » que j’interprétais au début du séjour par des « Cuuuiis, Cuuuuuiiis, CCUIIIS » ! C’est qu’on dirait vraiment des oiseaux ! Même les crapauds sous la fenêtre déconnent : ils caquettent comme des poules. On aura tout vu : des chiens canyonistes, des lézards-oiseaux et des crapauds-poules ! Mais on voit aussi : des conducteurs de bus manchots et des conducteurs de taxi en béquille ! Quoi que faut pas s’inquiéter, on peut les dénoncer à un numéro spécial s’ils conduisent mal grâce au programme « ¿Cómo conduzco ? » (Comment je conduis ?) diffusé à l’arrière de chaque transport collectif et camion.

Ici il n’y a pas le Dieu Pole Emploi pour vous sauver donc chacun se retrousse les manches et au boulot, même les invalides ! Pas de petit boulot, pas de gagne misère, chacun a son emploi qui lui permet de faire vivre sa famille. On retrouve plein de vieux métiers qui ont disparu en France au bénéfice du RSA. Ici le salariat est bien moins populaire que l'entrepreneuriat. On retrouve ainsi le bonheur d’être servi à la station essence, de se faire empaqueter ses courses ou de se faire poursuivre par les vendeurs (là c’est un peu démesuré, ils sont en surnombre dans les boutiques, à en faire peur tellement ils te collent à la roue !). Sur le modèle nord-américain nous retrouvons les salariés de boutiques en uniforme, et de façon plus général l’uniforme est omniprésent même dans la rue. Les policiers portent les couleurs des militaires, on se sent un peu envahit des fois. L’avantage de toutes ces petites mains, c’est qu’on peut faire réparer n’importe quoi ! On est peut-être moins regardant en termes de pollution atmosphérique, et nous avec le Toy on fait du 20L au 100 c’est honteux, mais au moins ça reste encore moins cher de réparer que d’acheter pour remplacer. Comme quoi le monde marche à l’endroit quand même ! J’ai ainsi pu faire réparer les sangles de mon kit de canyon par des lanières en cuir sans rien demander, et pour trois sous. Dire qu’en France ça coûte une blinde ! L’auto entrepreunariat le plus populaire ici c’est le « negocio ». Hyper pratique, il y’en a presque un par « cuadra », le pâté de maison. C’est en général le salon d’une maison qui est transformé en épicerie fine. On y achète tout de quoi dépanner quand on a oublié quelque chose, plus besoin de se déplacer au super marché. Lui, en revanche, il perd en popularité : il n’y en a quasiment pas, et ça coûte une blinde ! Donc on achète tout au coin de la rue : shampoings, bonbons, pain, carnets, photocopies, même les « minutes » de téléphone, un portable collectif qui relais la cabine téléphonique et qui coûte bien moins cher que d’appeler depuis son propre téléphone ! Ici les forfaits sont rares et également hors de prix. Encore heureux qu’il y a la Wifi partout (mon corps est traversé d’ondes), du coup tout le monde s’appelle par FaceBook ou WhatsApp. Moi qui doutais encore de savoir si ça marchait l’appel Facebook.

Difficile de faire ses courses quand on connait qu'un légume sur trois!

Les précieux negocios, autant que les maisons, sont protégés, portes et fenêtres, par des bons barreaux de fer, s’empêchant soi-même de péter la vitre pour rentrer si par hasard les clés sont restées à l’intérieur (expérience vécue, les portes sont autobloquantes ! Résultat : Deux heures sur le trottoir, en attendant qu’Estala rentre, et encore heureux qu’elle est là !) Si vous ne trouvez pas votre bonheur au negocio, vous poussez jusqu’au bout de la rue et vous trouverez le vendeur de légumes, la charcuterie ou la boulangerie. La boulangerie parlons-en tiens ! Du gâteau allemand fluos à gogo, des pains frit sous toutes ses formes dont les « buñelos », des boules-beignets qui ravissent le petit déj à la vas-vite. Anotre grand bonheur, on trouve aussi de la brioche ! En chemin votre faim aura été comblée par les stands barbecue de plusieurs familles vous offrant une variété d’arepas, (les galettes de maïs), de chocolo (le maïs grillé au beurre), de chorizo (saucisse fumée) et de brochettes de viandes. Si bien qu’il vous sera plus la peine de pousser jusqu’au coin de la rue pour vous ravitailler. Même l’essence peut s’acheter en bouteille !

Alors essayez, le :

« Mais où est-ce que je peux trouver ça ? »

On vous répondra certainement :

« A la esquina ! » (Au coin de la rue).

C’est d’un pratique ! J’adore ! Aussi pratique que de se repérer en ville ! Vous comprenez le principe de la bataille navale ? Alors prenez le plan de la ville, et plus question d’honneur à Jean Jaurès ou de commémoration à la Résistance. Vous partez sur du Calle/Carrera bien rangé parallèlement et des numéros. Les « carreras » sont les grandes rues qui traversent la ville dans un sens, les « calles » sont les petites rues qui les coupent dans l’autre sens. On dénomme les « carreras » par leur ordinal : la première, la deuxième, la dixième, et les « calles » par leur chiffre : 1, 2, 3, 28. Ajoutez-y un sens unique un coup sur deux, une priorité absolue aux carreras, quasi aucun feu rouge ni passage piétons, et voilà une jolie galère pour s’y retrouver. J’avoue au début c’est un peu déroutant mais maintenant j’ai compris : La septième c’est le business, la sixième c’est le centre-ville et la cinquième c’est pour rentrer à la casa ! On peut y ajouter du microbus à toute zibure et en béquille et ça complète bien le tableau avec le tintamarre, les pas-de-porte ouvertes, les gaz d’échappement, les vendeurs ambulants de jus de fruits (mmh !). On rythme encore avec les fans de karaoké du quartier et les éboueurs qui passent avec la mélodie de « La Lettre à Elise, de Bethoven » au maximum à 5h30 du mat (pour dire aux gens de sortir leurs poubelles) et on gagne un Fredo fort irrité, somnambule, encore moitié muet (mais il fait de grands progrès !) fumant autant que les cheminées du volcan Nevado del Ruiz, en ligne de mire depuis la maison ! Notre Fredo n’est pas encore au summum de la patience du rythme de vie colombien. C’est sûr que de faire la lessive à la main ça prend du temps ! Mais ça viendra. Tout le monde s’y fait !

De retour à la maison au volant du Toy, escortée par Fredo. Mais où est-il?

Après avoir fait un tour à Perreira, la ville (pour le coup c’est 1 million d’habitants), nous avons été surpris d’apprécier notre café au coin de la rue. Si bien qu’on en reprend un deuxième ! Et pourquoi donc ? Ça a beau être une ville avec proportionnellement plus de trafic, il y a aussi plus d’argent, donc plus de voitures et beaucoup moins de motos ou de vieux tacos vrombissants comme le nôtre. Ces voitures modernes roulant au gaz, nous nous sommes presque retrouvés à boire notre café … en silence !


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