Malgré les moyens, l’énergie, le temps, la motivation inconditionnelle des troupes, cette Expé c’est pas du tout cuit ! Et ça va que j’ai un binôme aussi hargneux que moi nommé Fredo, parce que sinon on serait noyé !!
En nous lançant dans ce projet, jamais je n’aurai pensé toquer à autant de portes, parler avec autant de gens, formel, pas formel, officiel ou non, et devoir réfléchir à autant de moyen de financement, de logistique, d’organisation, à faire cette montagne de documents, à communiquer, à trouver des CONTACTS ! Autant vous dire, je le savais mais je ne voulais pas me l’avouer, que les contacts c’est la clé de la réussite ! Pour l’instant rien n’est gagné mais cette année 2017 nous mène à prendre de bonnes résolutions. On y pensait déjà à Noël, maintenant c’est sûr on se lance dans l’adaptation de notre projet. « Un projet cela doit vivre et évoluer ! » nous encourage François du CREPS Rhônes Alpes. Et il a raison. Mais ça fait des semaines qu’on envoie des courriers sans réponse, des jours qu’on passe des coups de fil sur des répondeurs, j’ai l’impression de crier dans un stade vide. Et puis on voit la bringue s’installer dans toute la Colombie. Nous avons beau analyser la situation pour trouver le problème il faut se rendre à l’évidence : tout le monde est en vacances ! Que ça soit la France ou la Colombie c’est pareil ! Aussi, de façon à avoir un regard plus lucide, nous avons décidé de faire un break nous aussi ! On ne parle plus de projet, plus de Colombie, plus de canyon (et même plus espagnol pour Fred !), on se prend nous aussi notre « semaine de vacances » !
C’est ainsi, pas loin du coup de tête, que nous courrons à la hâte et en sueur dans les rues noires de monde et d’encens de Pereira !
L’encens c’est la tradition du nouvel an en Colombie. Le matin du 31 décembre, on se lève et on prend un bain de fleurs pour se laver. Puis on lave de fond en comble l’intégralité de sa maison que l’on parfume d’encens. On porte du jaune pour la prospérité, on accroche des petits bouquets de brins de blés, on offre les graines de l’abondance à ses proches : haricots, riz, lentilles, maïs, pois chiches et petits pois. C’est dans cette effusion de souhaits de prospérité et d’abondance, et dans ce mélange de parfum d’encens, qu’on passe à la nouvel année tout beau tout propre !
Nous on court pour trouver une vie plus paisible et plus spartiate, avec un retour aux sources, au calme et à la nature ! A m’entendre on se convertirait presque au bouddhisme ! Nous fouillons le moindre de magasin de Pereira qui vende du matériel de montagne, et de loin je ne vous recommande pas du tout de faire vos emplettes à Pereira si vous prévoyez une excursion dans le Parc National des Glaciers (PNN : Parque Nacional Los Nevados) ! Pourtant juxtaposé, Pereira ne vends aucun matériel d’alpinisme ou de montagne. Nous n’y croyions tellement pas que nous avons appelé Sebastien, un guide de Haute Montagne, qui nous a confirmé notre angoisse : Non, pas de magasin de montagne à Pereira. C’est pour dire on a eu un mal de chien à trouver une simple tente ! Et c’est peu dire qu’elle était simple la tente qu’on a trouvé : on dirait une brave tente de plage pour enfants ! Ridicule, dire qu’on va monter dormir à 4000m avec … une tente de plage ! J’en grelotte déjà ! Mais Uva nous rassure rapidement, décidément les us-et-coutumes colombiens nous surprendrons toujours !
Les gars, ce qui vous intéresse dans la tente c’est juste l’armature ? Pour la pluie, une bonne bâche en plastique fait l’affaire !
Il a raison tient, pourquoi pas ! On ne risque pas de prendre l’eau comme ça, il faudra juste aménager un système d’aération pour ne pas nous noyer dans l’humidité ou asphyxiés par notre propre CO2 !
La tente, les tapis de sol, les gamelles 100% alu (aie aie aie ma santé …) et la bâche en poche, on perd plusieurs heures de plus à trouver un réchaud qu’on dégotte … dans un magasin de foot ( ne me demandez pas pourquoi !). La journée est finie, les magasins ferment, mais pas possible de partir la haut sans une bonne paire de lunettes ! Pourquoi les a-t-on laissés en France ? Ici personne n’est au courant des risques ophtalmique liés à l’altitude. Les rayons UV étant moins filtrés par l’air raréfié, les yeux s’abiment à recevoir une telle luminosité. Lors de vos séjours en montagne, et pourtant chez nous l’altitude est plus basse, vous vous êtes peut-être rendu compte que les yeux picotent en fin de journée si on ne porte pas de lunettes de soleil ? Là-haut même les gardes du parc n’en portent pas et on les a vu un jour en fin de journée, ils avaient tous les yeux rouges vif les pauvres, à en finir aveugle. Les Colombiens ne connaissent pas non plus les catégories 1, 2, 3, 4 donc on se rabat, dans un magasin de vélo, sur des lunettes Françaises de catégorie inconnue mais qui avait l’air de bonne qualité. Je ne vous dis pas le prix ! C’est dans ces moments qu’on regrette Décathlon à chaque coin de rue !
Cette recherche d’articles de montagne introuvables nous a fait, même en allant à l’essentiel, perdre une journée. Dernière action avant de se mettre en route : nous imprimons une carte du Parc sur internet sur plusieurs feuilles A4, ce qui nous a valu le titre d’être « ultra-préparé » pour notre séjour dans les Nevados. Je me demande alors avec quoi partent les autres ??
30 décembre
15h
« Freeeeed, la chiva arriiiive ! »
Hop hop hop, on prend nos sacs de canyon (je sais on a dit qu’on parlerait plus de canyon mais c’est les seuls sacs de rando qu’on ait !) et on monte à bord de ces bus supers élégants et super folkloriques de Colombie ! De gros camions au style nord-américain, aménagé comme si on partait faire un tour sur la Seine en bateau-mouche, version tropicale ! Pas de porte ni de fenêtre, on s’agrippe à une barre en fer pour sauter 1 mètre plus haut à l’intérieur, et nous prenons place, nous les deux seuls petits blonds à casquette, sur un banc de Colombien, le sourire aux lèvres. La musique est entrainante, il fait bon, les préparatifs sont finis. Le collègue du conducteur frappe d’un grand coup de main sur le côté du bus, c’est le signe que tout le monde est paré, c’est parti les vacances !
3h de chiva plus tard, secoués par les nids-de-poule, la chiva s’est vidé à la fur-et-a mesure, si bien que nous nous retrouvons les seuls sur une petite piste en pleine forêt tropicale humide d’où la chiva occupe toute la largeur, empêchant quiconque de passer en face. Ça ne s’est pas produit, je me demande toujours comment ils font dans ce cas. Le soleil est sur le point de se coucher, il commence à pleuvoir, la chiva nous laisse à destination El Cedral, à 2000m d’altitude, au pied du Parc National des Glaciers (Parque Nacional Los Nevados), un des parcs les plus connus du pays !
L’objectif de ce séjour est de nous aérer l’esprit, de rigoler, de rêvasser, et de passer sereinement la nouvelle année ! Nous avons une autonomie de nourriture pour une semaine, libre à nous de nous balader dans la parc avec notre tente pour enfant, à l’aide de notre pauvre petite carte imprimée (grand luxe quand même, on a trouvé une IGM 50 :000 !).
Notre complication à nous procurer les préparatifs nous a fait partir tard mais nous sommes tellement résolu à commencer que nous partons à la frontale dans l’objectif de rejoindre La Pastora, un refuge à 2h de marche du Cedral, terminus en pleine forêt de la chiva. Il fait nuit noire, nous avançons dans des champs scintillants de centaines de lucioles. Hormis ces étonnantes petites bêtes, et la lueur de nos frontales, nous ne voyions plus rien, à la faveur de notre ouïe qui se développe et est vite envahit du chant de tous ces oiseaux et autres animaux de la forêt : grenouilles, singes, paresseux …. Le sentier est trempé des pluies de ces derniers jours. J’avais lu sur un blog justement qu’il était conseillé de partir randonner dans le parc … en bottes ! J’étais bien sceptique au début, on est tellement conditionnés avec nos super chaussures de randonnées qu’on n’y songe même pas. Mais je me suis dit … qu’il fallait bien s’adapter aux astuces locales. Et quand j’ai vu Fred en chaussures trempées, je tout de suite compris qu’il valait mieux prioriser l’irrespirabilité mais l’étanchéité des bottes, plutôt que l’inverse ! Malgré l’heure tardive nous sommes agréablement accueillis par le gardien du refuge. Il n’y a … que nous deux ! On a même le droit au luxe de dormir dans un petit kiosque, je suis soulagée de ne pas avoir à tester ce système de bâche pour cette nuit ! Le bois est tellement humide qu’il est impossible de démarrer un feu. Nous avons le droit à une douche des plus glaciale, entre grillons, grenouilles, et grosse araignées poilue (j’entends encore Fred s’exclamer « C’est au moins une mygale ! »).
31 décembre 2016
On a tous toujours ce petit sourire en écrivant la date du dernier jour de l'année! Dernier jour un peu dur d’ailleurs ! Nous avons d’abord été chouchoutés par le garde du parc, qui nous a servi une aguapanela bien chaude (eau de canne à sucre) avec un bon morceau de fromage fermier au petit déj. Puis nous avons attaqué l’étape prévue, dans la forêt subtropicale andine. Vous vous souvenez quand je vous ai expliqué le différent système d’étages climatique ? Ils correspondent à l’évolution de la végétation tropicale, en fonction de l’altitude. Nous avions aujourd’hui que 7 km à parcourir, sur 1000m de dénivelé, mais qu’est-ce qu’on en a chier ! Est-ce le manque d’oxygène ? l’humidité ? le poids des sacs ? la fatigue des derniers jours ? la chaleur étouffante ? Peut-être un peu de tout, pourtant on est bien portants et plutôt sportif. Les averses régulières nous obligent à porter le poncho en plastique de la moto. On ne peut pas se permettre d’être trempés, qui sait si on va sécher de la semaine ? Mais la chaleur qu’il fait sous ce plastique est étouffante ! Ce qui ne fait qu’ajouter une difficulté supplémentaire. Nous sommes accompagnés d’une quantité impressionnante de petits colibris, qui se délectent de toutes les fleurs colorées qui égaient cette luxuriante masse de verdure. En changeant d’étage climatique, nous changeons de flore mais également de faune. A partir de 3000m on devrait pouvoir, si on a de la chance, croiser la danta, le tapir ! Et son petit à croquer, qui nait avec les couleurs du marcassin ! Imaginez un petit marcassin avec une petite trompe, c’est pas craquant ?!
Nous avons choisi d’accéder au Parc par ce côté, car il est riche … en cascades ! En effet, les cascades coulent de toute part ! A La Pastora une cascade s’est avérée très intéressante, d’une bonne hauteur, creusée dans une bonne roche, avec un débit idéal, et visiblement précédée d’une autre cascade elle-même d’une bonne hauteur, nous encouragerait presque à revenir, si ce n’est que l’amont est inaccessible.
Ce qui est un peu décourageant dans ce projet, et que nous motivait tant au début pourtant, c’est que le pays est truffé de cascades, mais le canyoning ne se résume pas à une seule cascade. Le canyoning c’est descendre un parcours encaissé, et franchir des obstacles en rappel mais aussi en sautant ou en toboggans. C’est technique … et ludique. On voudrait trouver le parcours idéal qui représente notre activité mais la tâche n’est pas si facile. Nous avons beau voir une cascade au loin, c’est pas pour autant qu’on peut la descendre. De nombreuses conditions doivent être réunies : une bonne roche, un bon débit et un bassin versant raisonnable, un accès aisé, un retour aisé, des cascades pas trop hautes, si possible des vasques, et plus spécifiquement pour la Colombie : pas trop de végétation, pas trop de déchets des fincas dans le cours d’eau, une eau pas polluée, pas trop de guérilleros dans le coin, une autorisation des propriétaires ou du Parc. Ça en fait des conditions ? Et je suis sûre qu'il m'en manque !
Nous nous émerveillons sur notre chemin de plusieurs chutes d’environ 400m de hauteur. Ça non plus c’est plus du canyoning, mais c’est terriblement excitant quand même ! On ne parle pas de notre projet en les admirant, on ne pourrait tout simplement pas faire descendre un client là-dedans, mais on parle d’un autre projet : inscrire notre Expédition pour la Bourse Expé 2018. La Bourse Expé c’est une bourse attribuée à 5 Expéditions par an (une par continent) pour des Explorations en canyon, spéléo, alpinisme ou escalade. Les sponsors financent une énorme partie du matériel nécessaire à l’Expé. En retour l’Expé leurs fourni une vidéo de l’aventure, qui leurs sert de pub. Cette bourse est très connue et de fait, très sollicitée chaque année. Vous n’avez qu’à voir les 5 court-métrages qui sortent chaque année : ils font rêver ! Alors pourquoi ne pas proposer notre chute de 400 m pour l’année prochaine ?
Nous atteignons la finca El Jordan où nous avions prévu de bivouaquer pour la dernière nuit de l’année. L’endroit est indescriptible ! A 3200m d’altitude, cette sobre finca est posée sur un petit sommet, avec une vue étendue sur la vallée que nous venons de grimper, d’immenses cascades coulent de tous les côtés. La brume enveloppe le tout, laissant deviner les couleurs magique de ce dernier coucher de soleil. Les propriétaires nous laissent camper sur leur terrain. Dans notre dos coule un petit complément de Projet Boure Expe : La Cascade de la Danta, qui coulent entre deux collines, les « Tétons de Marie », le paradis de l’imaginaire d’un homme ! Nous n’avons pas pu nous en rapprocher, pas plus que des dantas qui peuplent cette forêt, mais nous avons repérer un accès par le haut, et mon petit doigt me dit que ce canyon mérite d’être repéré !
A notre retour la propriétaire de la finca s’est faite toute belle, son fils s’est douché, et ils partent main dans la main, en bottes, fêter le nouvel an dans l’autre finca un peu plus haut. Tient donc, je vais bien essayer la douche moi aussi ! Vous vous souvenez des toilettes dans les fermes de nos grands-parents ? Le trou dans le cagibi au fond de la cours à côté de l’enclos à cochon qui fait trop peur et qui pue ? Bon ben la douche ce n’était pas trop loin d’être ça ! L’eau de la rivière coule directement dans un tuyau coiffé d’une chaussette pour pomme de douche, au milieu de quatre planches. Je me suis toujours demandé à quoi servait cette chaussette, ayant déjà vu ce même système auparavant. Et j’ai enfin compris je crois, le lendemain quand j’y ai rempli ma bouteille d’eau : c’est un filtre ! Elle filtre le plus gros des petits déchets de la rivière ! Il fait plus froid, cette eau d’altitude est glaciale mais je préfère prendre une douche tant que y’en a. Cette moiteur nous fait suer et les pieds dans les bottes toute la journée vous imaginez la bouillie !
Ce beau monde parti, reste que Fred et moi, et notre tente bâchée, cette vue infinie étalée devant nous, parmi … les cochons, les vaches, les chevaux, l’oie et les chiens ! Pour un retour aux sources ! Fred parvient, malgré l’humidité, à allumer un petit feu de camps avec le bois sec que la propriétaire nous a prêté et on fait péter le mousseux à 18h, nouvelle année française ! C’est symbolique et aussi pratique : dans notre trek on va se lever et se coucher au rythme du soleil. Donc dans cette optique, on tiendra jamais la chandelle jusqu’à minuit ! Mais on n’est pas loin de la tradition Colombienne : en guise d’encens, l’abondante fumée du bois humide a produit l’effet escompté de la purification !
1er janvier 2017
Bonne année et meilleurs vœux à tous ! Aujourd’hui on se réveille avec un gros mal de tête (probablement dû à la fumée de la veille) mais sous un temps radieux : un grand soleil, un ciel comme il est rare d’en voir ici, pas un nuage ne vient perturber ce bleu pur et profond et nous nous régalons de cette superbe vue, avec un petit thé local qui va nous requinquer pendant tout ce trek : aguapanela et feuilles de coca infusées. Une infusion qui ne remplace pas le bon goût du café mais qui fait son effet quand même !
Bien que plus longue, l’étape est plus facile aujourd’hui. Au menu, une quinzaine de kilomètres, 1000m de dénivelé et un changement d’étage climatique! L’objectif est de traverser une partie du Parc pour aller bivouaquer au lac Otun à 3900m, réputé pour être un des plus beaux lacs d’Amérique Latine ! Il nous tarde de nous émerveiller de ce paysage et nous nous mettons rapidement en marche, sous ce soleil de plomb et avec ce mal de crâne incessant !
Le changement d’étage est incroyablement rapide ! Passés les 3500m la végétation verte et luxuriante disparait, ainsi que les cours d’eau et le chant des oiseaux qui s’y baignent. La forêt subtropciale andine laisse place à ce merveilleux Paramo, cette éponge géante baignée dans la brume et l’air raréfié, dont la végétation est sans cesse exposée à l’agressivité des UV, au vent, au froid, à la pluie sous forme d’une brume permanente. Le changement est époustouflant ! Subsiste quelques lacs et lagons d’altitudes, peuplés de canards. Les arbres se transforment en arbustes avant de disparaitre. La végétation devient grasse et de toutes formes, le sol est jonché d’éponge, de « coussins d’eaux », de plantes grasses type Aloe Vera de toutes tailles, de ces majestueux frailejones plein d’eau, de plantes au poil doux type « Oreilles d’Ours », des grandes herbes hautes et sèches, et de fleurs aussi : des jaunes, des rouges, de oranges, des violettes pour l’Arnica et aussi de grosse marguerites bien grasses et dodues elles-aussi !
Il en faut un bon manteau pour affronter ce froid ! A cet étage on cohabite avec les pumas (on a même vu une empreinte !), les tigrillos (des petits pumas), les aigles, les condors, l’ours à lunette. Nous on a rien vu de tout ça ! Au lac Otun nous avons dû nous contenter de la grande diversité de la faune avicole : canard à bec bleu, petit échassiers, héron, rapaces, une horde de petits lapins qui raffolent des tourbières et une grande quantité de truites aussi !
Nous sommes arrivés en fin de journée, la brume est tombée entre temps, nous faisant presque manquer d’apercevoir cet immense lac, niché au pied des volcans dont les sommets étaient cachés dans la brume ! Alors comme ça on fait durer le plaisir ?! Nous sommes agréablement accueillis d’un « Feliz Año » par Jorge, un garde de Parc, au bord du lac Otun. Il y a une maison de gardiennage qui nous permet de picorer quelques infos sur les alentours et de regrouper les campeurs dans leur totalité : nous deux ! Nous installons notre tente au bord de l’eau. Le lac est immense, il est fermé par de grandes falaises à droite, d’où coulent trois magnifiques cascades d’une centaine de mètre. Derrière nous se cachent les volcans. A notre gauche les canards à bec bleu se font une joie de barboter. Demain, le soleil va se lever dans notre dos, en baignant de lumière le Paramillo de Santa Rosa, un ancien glacier et désormais un beau petit massif aux sommets pointus. De quoi nous faire rêver toute la soirée à nous projeter entre cascades et sommets frisant les 5000m !
Nous dessinons la suite du programme avec Jorge, qui nous offre le plus précieux des cadeaux : une carte IGM ! Du 100 :000 mais avec les courbes de niveaux et des repères indispensables quand même ! Nous choisissons donc de faire l’ascension du Santa Isabel demain, dont le sommet est un glacier à 4950m si mes informations sont exactes ! Ça ne sera pas le 5000 m, mais ça sera déjà pas mal. Et s’il fait beau la vue sur les volcans aux alentours risque d’être époustouflante ! Ensuite nous prévoyons de traverser le Parc par l’Est à travers les grandes plaines du Paramo pour rejoindre les délicieuses Eaux Thermales du Volcan du Tolima, puis de descendre la vallée à pic, regorgeante de cascades, vers la ville d’Ibague, tout au sud. Une belle petite trotte d’une soixantaine de kilomètres nous fait saliver, et nous nous endormons sur nos deux oreilles, bercés par ces projets et le clapotis du lac.
2 janvier
Quel froid de canard à bec bleu! C’est le cas de le dire (ils sont endémiques de ce lac) ! Sous la bâche comme prévue l’humidité a condensé et il fait presque meilleur dehors que dedans. J’ai mis mon réveil à 4h30 mais j’ai passé une sale nuit ! Ce mal de crâne ne m’a pas quitté. Fred a aussi mal dormi, préoccupé par mon cas : visiblement je souffre du MAM : le Mal des Montagnes. Je ne veux pas y croire. Comment est-ce possible ? Nous avons pourtant monté que de 2000m en 2 jours, ce qui devrait suffire pour s’acclimater ? Eh bien non. Jamais je n’aurai cru que … ça m’arriverait ! Fred a légèrement mal à la tête mais c’est plutôt ophtalmique, cela est dû à la lumière agressive du soleil. Un seul remède pour le moment : mâcher de la feuille de coca, au goût terriblement amer (le goût est semblable au maté, pour ceux qui connaissent) et se recoucher. Quand on se réveille à nouveau à 6h, le mal n’est pas passé mais je ne veux pas l’avouer à Fred, je veux monter quand même ! Bien sûr il en est hors de question. J’ai beau tenter le :
« Mais le temps est radieux Fred on peut au moins monter au Mirador (300m plus haut), pour admirer la vue sur les Volcans ! C’est sûr qu’on les voit aujourd’hui par un temps si clair ! »
Fred me réponds d’un non catégorique. Le MAM ne fait que s’empirer en montant en altitude. Je sais que l’aventure s’arrête ici pour aujourd’hui. Le corps demande une acclimatation. Il faut prendre sur soi et laisser un peu de répit à ce petit corps en manque d’oxygène ! On se lève quand même. La lumière aujourd’hui est magnifique.
« Viens Fred, on va faire le tour du lac ! On va voir les cascades ! »
Fred se lève sans broncher et nous partons, mastiquant nos feuilles de coca. Le temps est si clair que nous assistons à une des explosions journalières du Volcan du Ruiz (5100m), à 20km à vol d’oiseau de nous. Une grosse cheminée de cendres s’élève en un nuage épais derrière les falaises, incroyable.
Plus nous nous approchons des cascades, que nous imaginions de loin se poursuivre en un canyon grandiose, plus l’encaissement du canyon disparait … en forme de végétation ! Qu’est-ce qu’il est gourmand et dodu ce Paramo ! La moindre goutte d’eau et il en profite pour former des éponges gigantesques empêchant la formation de la moindre rivière ! Quelle déception lorsque nous arrivons au pied des cascades, les jambes dans la tourbe jusqu’aux genoux, nous apercevant qu’il n’y aucun canyon qui précèdent ou qui suivent ces cascades ! Elles naissent des éponges, et se transforment en éponge ! Un critère supplémentaire à la longue liste pour trouver des canyons : pas d’éponge dans le coin !
Le reste de la journée est paisible. Nous la passons à lire au soleil, emmitouflés jusqu’au cou, toujours à mastiquer cette feuille de coca pour faire passer le mal de crâne. Nos menus sont assez succincts : dans un souci de poids, et contre les règles de la diététique, nous emportons avec nous des nouilles chinoises pour le midi, et une soupe en sachet pour assaisonner le riz ou les pâtes du soir. La cuisine est vite réglée, mais les repas sont toujours un moment agréable ! La journée nous avons de bonnes doses de sucre à grignoter : raisins secs, pâtes de goyave, graines. Mais ces rations ont été calculées au jour prêt et, suite à cette journée d’acclimatation, il nous faut revoir le programme : nous n’aurons plus les vivres nécessaires pour faire la traversée par l’Est du Parc et sortir au Sud ! Nous sommes déçus. Qui plus est, si ce mal de tête persiste, il nous faudra redescendre par le seul chemin possible : celui de l’arrivée. C’est un couteau qui me perce le cœur ! Je DETESTE faire demi-tour. Sans compter qu’on peut dire adieu à la moindre ascension, et on n’a pas vu encore un seul volcan alors qu’ils sont là, tout autour de nous ! Je prie pour que ce fichu mal de crâne passe. Pour l’instant il ne donne aucun signe d’amélioration. Nous passons la fin d’après-midi à prendre le café avec les gardes du parc. La bonne nouvelle c’est qu’ils nous laissent déménager notre tente dans l’abri pour les mules ! Ce qui nous permet de nous débarrasser de la bâche par la même occasion et de nous oxygéner un peu mieux ! Même si, à mon avis, ça ne doit pas jouer grand-chose ! Ainsi installés, nous tombons dans un sommeil profond.
3 janvier
4h30
« Fred, j’ai plus mal ! Je te jure que j’ai plus mal ! C’est pas de la comédie ça y’est c’est passé ! »
« mmmh, t’es sûre ? »
« Aller quoi, lève-toi, on fait le Santa Isabel aujourd’hui ! »
« Prépare l’aguapanela, j’arrive … »
Ce matin double ration de biscuit, du sucre sous toutes ces formes. Le soleil est sur le point de se lever. Nous partons dans la fraicheur matinale, dans l’herbe blanchit de gel, à la frontale, attaquer le volcan endormi du Santa Isabel. Qu’est-ce que je suis contente ! Et puis, il faut en profiter. Hier Jorge nous confiait : « Quand j’étais petit, à l’école on nous enseignait que la Colombie comptait 23 glaciers. Maintenant il y en a plus que 6, dont 3 dans ce parc. »
A raison d’un recul des glaciers de 20m par an, dans 3 ou 4 ans, le Parc National des Glaciers ne portera plus vraiment bien son nom. Mais c’est un phénomène naturel, c’est juste que l’Homme accélère le processus. Étymologiquement, lorsque les glaciers disparaissent d’un sommet, le nom du sommet n’est alors plus précédé de « Nevado » (Glacier) mais prends le nom de « Paramillo ».
Alors allons le voir ce glacier ! La lueur rose des premiers rayons du soleil transforme poétiquement le paysage. Nous marchons en silence à travers les frailejones, nous dépassons les cascades, puis les falaises et virons vers l’Est où nous découvrons, dans tous les restants de sa splendeur, le glacier du Santa Isabel, là-haut, à 5000m ! Le Paramo laisse place au superParamo, qui n’a rien à voir : toute la végétation disparait et laisse place à un grand pierrier géant, au début ponctué de plantes poilues, grasses et blanches à fleurs jaunes, puis dénués de toute couleur, ne laissant plus qu’un gris lunaire, et le blanc du glacier en ligne de mire.
Nous n’avons aucune difficulté à monter, si ce n’est que nous avons le souffle court, ce qui nous impose de faire des pauses pour parler.
On nous avait prévenu que le sommet était inaccessible sans crampons ni piolet, mais la triste réalité est qu’il ne reste plus grand-chose du glacier et qu’il est facilement contournable !
« Fred, moi je te dis que ça sent la neige tout ça ! »
Le temps se couvre et effectivement, un peu plus tard quelques flocons nous font l’honneur ! Nous accédons aux restes du glacier bien dans les temps et sur notre droit nous admirons le volcan du Tolima, volcan à la forme parfaitement conique, le sommet du Parc. Puis, à notre gauche, une nouvelle explosion du Ruiz nous indique sa position, derrière le sommet du Santa Isabel, où nous nous dirigeons euphoriques… 4000, 4500, 4600, 4700… l’altimètre nous indique 4750, c’est qu’il fait grand beau ! Parce que le sommet que nous atteignons est à 4950m ! C’est dommage, on loupe le 5000m de peu ! Il faudra revenir faire son voisin le Tolima ! Cette fois-ci crampons piolet assurés, car il reste un bon morceau de glacier ! Petite originalité : je suis très fière d’avoir atteint mon premier presque 5000m … en bottes ! C’est pas sur le Mont Blanc que je pourrais me le permettre !
Nous redescendons dans les temps, les fleurs se sont toutes ouvertes depuis ce matin, les couleurs sont éclatantes, tous les petits lacs, lagons et le grand lac Otun sont d’un bleu intense. La mer de nuage que nous apercevions depuis le sommet entre dans notre microclimat et le brouillard apparait. Voilà pourquoi il faut partir de bonne heure !
Nous passons l’après-midi dans notre étable, à regarder les grêlons fouetter ces pauvres mules dont nous avons pris la place, et couvrir le sol de petites billes blanches. Dire que la veille le ciel était d’un bleu sans faille, et la nuit couverte d’étoiles étincelantes ! Elles le paraissent encore plus en altitude, la lumière ayant moins de couche atmosphérique à traverser pour nous atteindre. Je n’avais jamais vu de croissant de lune aussi lumineux.
4 janvier
Hier soir notre havre de paix est complètement détruit par une foule de jeunes en vacances ! Des Colombiens arrivant de toute part, complètement sous-équipés, en jogging, bottes, t-shirt. Avec des draps pour sac de couchage (j’exagère à peine). Ils ont fait la fanfare en beuglant plus fort que les mules jusqu’à tard dans la nuit. Nous, qui sommes habitués à vivre à le soleil, nous pestions comme des vieux retraités dans leur tente ! Résultat nuit blanche, ou presque. Mais bon, c’est le dernier jour. Faute de vivres on doit quitter le Parc aujourd’hui et nous nous mettons en route, comme des somnambules, pour franchir la falaise à 4000m et redescendre de l’autre côté, jusqu’au poste de gardiennage à l’entrée du Parc, à 3h de marche du lac. Nous jetons un dernier coup d’œil derrière nous : le soleil se lève sur le magnifique panorama des volcans où subsistent trois glaciers.
Normalement la seule façon de redescendre du Parc par ce côté est de prendre la « lechera » qui passe entre 8h et 9 chercher le lait dans les fincas aux alentours. Ayant dormi un peu plus que prévu à cause des troubles de l’ordre public, nous ne comptions pas dessus. C’est dommage parce qu’au final nous l’avons manqué que de 10 minutes. Mais je sens que ce jour nous porte chance. Arrivés au carrefour des pistes, le garde du Parc nous confirme que nous venons de manquer la lechera, et nous invite à camper pour prendre la suivante, demain matin. Mais je sens qu’on va réussir à descendre aujourd’hui ! Nous allons prendre un bon café, (mmmh, il nous avait manqué !) à la finca d’à côté et moins d’une heure plus tard, une willies monte des alpinistes au Parc ! Notre chance est arrivée ! Nous nous ruons sur le chauffeur qui est bien contents de nous trouver. Nous lui évitons de refaire le trajet seul en sens inverse, et il nous évite d’attendre jusqu’à demain ! Alors nous voilà assis dans la Willies, moi faisant la conversation au chauffeur, Fred dans le coffre ouvert à l’arrière, admirant le paysage des 60km de piste qui nous sépare de Santa Rosa, le village de sortie.
Nous arrivons tout compte fait avec un jour d’avance à Cartago, fatigués, cramoisi de ce périple en altitude, mais ravis d’un bon bol de légumes frais, et déjà nous élaborons un plan d’action pour faire avancer la Grande Expédition Canyon y Machete ! Laissez-nous un week-end, et dès lundi nous allons faire bouger les choses dans le département du Caqueta ! Vous entendrez parler de nous !