C’est notre avant dernier jour à San Augustin, Huila, avant de partir avec Amid au Festival del Rio, dans le département à la si mauvaise réputation politique du Caqueta. Après tout ce traitement de faveur, on lui doit bien un petit service ! Aussi pensons-nous à aller lui régler un problème de frottement qui lui a coûté quelques cordes dans le canyon de 3 Chorros. N’ayant pas pu résoudre le problème, Amid et ses guides se sont donc rabattus sur la cascade de El Cinco, plus touristique, mais qui leurs plait beaucoup moins. Nous sommes impatients de connaître alors la cascade préférée d’Amid, et l’impatience dure : los 3 chorros est assez inaccessible. Il n’y a que deux chivas qui desservent La Pradera, le hameau le plus proche, une à 6h l’autre à 18h. Encore heureux que les camionetas sont là pour dépanner, et elles ne dépannent pas que nous ! La seule camioneta qui partait dans la journée depuis San Augustin doit nous prendre à 13h à une épicerie. Nous patientons à l’heure convenue au coin de la rue avec une masse de gens, le regard à l’affut. Mais qu’est-ce qu’ils leurs arrivent à tous ? Ils guettent ! Une camioneta arrive à 12h30. La masse de gens se rue dessus, les femmes s’engouffrent à l’intérieur, les hommes bondissent à l’arrière, d’autres chargent la marchandise sur le toit. Fred et moi on se regarde :
« Tu crois que c’est la nôtre ? » s’interroge Fred
« Je ne pense pas, il est pas 13h encore. Attends-moi là, je vais chercher des empanadas pour la route» fis-je en partant vers le negocio le plus proche.
Quand je reviens, la camioneta est toujours là, les amortisseurs s’affaissent sous le poids de tout ce monde. Il faut se rendre à l’évidence : c’est la nôtre à nous aussi !
Fred grimpe sur le toit et s’installe avec nos sacs de canyons parmi les gros sacs d’engrais. Moi je m’agrippe debout sur la barre de fer d’un côté de la camioneta, les mains maintenant mon équilibre sur la barre de toit.
13h. La camioneta se met en route et invite encore à qui veut se rendre à La Pradera. J’y crois pas, quand y’en a plus … y’en a encore !
J’adore l’autodérision des Colombiens. Les voyageurs sont tous de bonne humeur, malgré l’inconfort provisoire du transport, ils rigolent. Chaque voiture qui passe klaxonne pour communiquer ses félicitations quant au chargement, et à la rentabilité de ce trajet. Eux aussi ça les fait rire de voir les voitures pleines à craquer, surtout quand ils passent devant la Police, ça ça les fait bien rire !
Il fait beau. Nous voyageons ainsi pendant une heure sur une piste en terre. La camionnette s’arrête de temps à autre pour décharger un habitant ou une marchandise à une Finca. Elle freine difficilement sur cette piste de terre, les roues dérapent toujours un peu jusqu’à obtenir l’arrêt complet, ceci toujours dans un rire général !
Nous sautons à La Pradera comme prévu. Ce petit hameau du bout du monde. Puis nous nous mettons en marche vers los 3 chorros à travers champs. Comme la rareté des transports nous a pris au dépourvu, on commence cette journée de canyon bien tardivement, et nous hâtons le pas. D’autant plus que le ciel est d’un gris noir menaçant. Il n’a pas arrêté de pleuvoir ces derniers jours. Amid, qui nous surestime, nous a annoncé une marche d’approche de 1h. Il nous en a fallu deux. Mais la marche est magnifique : nous dandinons sur une crête, entourés de ces splendides montagnes vertes qui font un joli contraste avec le jaune du sac de canyon de Fred qui est plus loin, devant moi. Le puissant Rio Magdalena dessine de gros méandres au fond de la vallée que nous dominons.
Nous entendons la rivière du canyon bien avant de l’atteindre. Nos craintes se fondent. Plus nous nous approchons, plus le bruit s’intensifie. Puis j’aperçois un petit bout du cours d’eau : l’eau est café, il y a de grosses écumes blanches. On n’a pas besoin d’atteindre la cascade pour savoir qu’on ne mettra pas la combi aujourd’hui : la rivière est en crue ! Mais la marche valait le détour et nous avons déjà oublié le lourds poids du sac qui va nous faire souffrir à la remontée. Nous nous sentons récompensés : la cascade est incroyable par sa puissance et le souffle qui se dégage de sa chute. Elle est petite, 20m tout au plus, mais elle est bien de moitié aussi large. Le cours d’eau a creusé un petit cirque dans une magnifique roche noire (et glissante !) et il continu son chemin dans son somptueux encaissement, nous laissant rêveur… On ne verra pas la suite. Amid nous l’a décrit, ce canyon est une perle aquatique ! Quelle rage d’être tombés sur l’année de la Niña, l’année la plus pluvieuse. Elle arrive une fois tous les 4 ans, fallait que ça tombe sur des canyonistes ! On aurait mieux fait d’être kayakistes plutôt.
L’endroit nous envoûte et nous faisons demi-tour les étoiles plein les yeux. Le ciel est encore plus sombre qu’à l’aller, et il est déjà 17h. Dans une heure il fait nuit. Nous hâtons tellement le pas que nous sommes de retour au hameau à 18h, lorsque la pluie s’abat d’un coup lourdement. Nous nous faisons rapidement inviter à nous réfugier sous le devant d’une maison. Les habitants n’en reviennent pas :
« Vous êtes déjà allés à la cascade ? » nous félicite le propriétaire.
« Oui, je les ai vu descendre de la camionnette tout à l’heure » surenchéri un autre, plus grand et plus mince.
Une dame s’approche « Vous étiez aux 3 chorros ? »
Une femme complète « Moi j’y allais donner à manger le midi, l’été, quand j’étais jeune. Je portais le panier comme ça, sur ma tête » nous fait-elle en mimant son labeur d’antan.
Et à la voisine « Mais asseyez-vous, reposez-vous, lâchez ces sacs »
« Mon Dieu qu’ils sont lourds » s’esclaffe un voisin
Puis à la femme du Monsieur « Je vais vous faire un jus ».
Une petite foule arrive, chacun vient faire gentiment son curieux tour à tour. Ils nous tiennent compagnie, c’est tellement gentil. La femme de la maison nous sert un jus frais de Maracuya (Fruit de la passion), c’est tout ce dont on avait besoin ! Et c’est délicieux ! Puis je leurs montre les photos, ils n’en reviennent pas. Normalement on devrait distinguer clairement 3 cascades (3 chorros) hors là il n’en est qu’un ! Les habitants ne se rendent jamais à la cascade, c’est « trop loin » et c’est « trop dur ». Alors ils sont ravis de voir les photos puis tour à tour, chacun retourne à ses affaires. La nuit tombe, la place du hameau, en terre, accueille un grand arbre vert. L’ambiance est relaxante, il n’y a pas de bruit. Quelques jeunes jouent au billard du village, les filles jouent avec les bébés, puis les negocios ferment leur porte. Il fait nuit noire. Nous n’avons pas bougé. L’école a repris aujourd’hui.
« L’école de La Pradera compte 300 élève » m’informe fièrement le propriétaire. Je n’en reviens pas. Ce petit hameau tout paisible, le matin, doit voir débouler des centaines de motos de parents qui emmènent leurs enfants à l’école. Finalement, c’est petit pour nous, mais c’est un vrai épicentre pour toutes les fermes aux alentours. Nous attendons la chiva du retour en silence, assis dans le noir sous le porche, à côté de la femme et de l’homme de la maison. Elle devait passer à 19h, elle passe à 20h. Et nous voilà de retour sur cette piste toute cabossée jusqu’à San Augustin.
18 janvier
Ça sent le départ ! On se réveille tranquillement. Les oiseaux ont des chants des plus farfelus. Nous prenons un long moment pour partager le café dans la salle commune avec Cristian, baigné dans cette belle lumière du soleil. Aujourd’hui on se prend une journée tranquille sans sac. On voudrait en profiter pour visiter le site archéologique que nous n’avons pas eu le temps d’aller voir depuis notre arrivée : Alto Los Idolos.
Il parait qu’il vaut le détour mais l’accès n’est pas aisé, il faut jongler entre plusieurs transports. Mais la chance est avec nous aujourd’hui : on tombe justement sur une camionnette qui a été louée par une famille privée. Etant tous dans la cabine à l’avant, après quelques négociation avec le chauffeur, on se cale à l’arrière et profitons du road-trip qu’ils avaient planifié pour l’après-midi. Résultat : on en prend plein la vue ! Non seulement on s’émerveille devant les sculptures de cette civilisation précolombienne mythique, mais en plus on a le droit à un tour jusqu’à « la plus grande cascade de Colombie » (300m), à 1h de piste d’ici. On avait bien pensé aller la voir mais nous y avions rapidement renoncé, en voyant combien elle était inaccessible sans moto ou transport privé. La camionnette avance à vive allure, malgré les nids de poules, parmi les champs de canne à sucre. Nous baignons dans la poussière, les gaz du pot d’échappement et les vapeurs des petites fermes de « panela », le jus de canne à sucre. Nous avons même le droit, au retour, à la visite d’une de celle-ci. L’aménagement est ingénieux, le sucre n’a désormais plus de secret pour nous ! D’abord il passe les cannes à la presse, séparant le jus du végétal. Puis la canne sèche est entassée dans un coin. Elle servira plus tard de combustible pour porter le jus à ébullition et en récupérer le sucre. A l’intérieur de la pièce à chauffer, il fait une chaleur humide, l’odeur est délicieuse. On nous permet de grignoter des petits morceaux de sucre encore tout chaud. Ils moulent le sucre brun en briques d’une demi livre (250g) jusqu’à 4 livres (2kg). Le refroidissement est rapide : une demi-heure seulement, et la « panela » est prête. Les ouvriers s’affairent à leur tâche respective, pendant que nous admirons tout ce labeur et laissons fondre ces petits bouts de sucre chaud sous la langue.
On n’a qu’une chose à dire pour aujourd’hui : (même s’ils se sont comportés d'une manière assez hautaine) Merci les riches pour ce tour improvisé !
Nous remontons une dernière fois le sentier dans le noir jusqu’à chez Cristian, pour passer notre dernière soirée dans la tente, à la cabane N°3.
19 janvier
Ça fait bizarre de partir. La tente a laissé un petit carré plus clair sur le plancher poussiéreux, comme lorsqu’on démonte une tente et que l’herbe est plus claire que la pelouse autour. Cristian nous salue d’un au revoir très chaleureux et on tourne le dos à notre vie de hippies.
A peine descendus au village nous retrouvons vite le sourire. Lorsqu’Amid nous a dit il y a quelques jours : « Alors vous venez au Festival du Rio ? Le transport, l’hébergement et la bouffe c’est payé par le Maire de San José ! », nous n'avons pas mis longtemps à nous décider. Quelle gentillesse de nous inviter pour nous faire profiter de l’évènement. Le but est de mettre en avant les ports extrême de l'eau. Depuis qu’on s’attend à partir on s’imagine une nouvelle ouverture de canyon fantastique où on pourrait amener les gens du village pour faire connaitre notre activité, ou d’une tyrolienne pour faire atterrir les gens dans les rafts, ou de … . Les idées ne manquent pas. Mais pour le transport, je pensais tout simplement à un bus. Alors on rigole quand on voit une camionnette traverser le village, chargée de raft et de kayaks ! Ça, c’est pour nous !
Nous voyageons à l’arrière de la camionnette, installés parmi les gilets de raft et les pagaies, avec Kevin, le kayakiste Français qui écrit pour KayakMagasine. Lui aussi s’est retrouvé là par hasard. Amid est généreux ! Les guides d'Amid sont là pour barrer les rafts pendant le festival, dont Luna qui nous fait toujours aussi rire!
Nous passons 6h dans les effluves du pot d’échappement, avant d’atteindre San José del Fragua, dans le département du Caqueta. Nous passons de 500m d’altitude à 2500m. L’air est frais, et le paysage de cette Cordillère somptueux. Puis nous redescendons à 400m d’altitude, de l’autre côté. Il fait beaucoup plus humide qu’à l’ouest.
Nous arrivons à une Finca louée par le Maire pour les différents professionnels de l’eau vive qui participent à l’évènement : Kayakistes, Rafteurs, Canyonistes. Chacun choisi son couchage : lit, tente, hamac puis rapidement nous nous retrouvons tous dans le patio extérieur. Le Maire nous distribue une bière chacun et nous remercie d’être venus. Il nous rappelle que le Festival du Rio a pour but de faire connaître son village comme destination touristique et de sport d’aventure. Le village a très longtemps été en proie aux guérillas, jusqu’à récemment. Ce festival est également une façon d’ancrer la paix, et c’était un vrai plaisir de pouvoir partager ces sensations d’adrénaline et d’émotions avec les villageois, qui ont connu une période bien plus sombre. En témoignent les flopées de militaires et de policiers qui sillonnent les routes. A peine entrés dans le Caqueta nous avons aperçu de nombreux petits bunkers en sac de sable. Nous avons vu une grande quantité de militaire et de véhicules de l’armée aussi. La paix est encore très récente, et les militaires se chargent de la protéger.
Puis tour à tour nous nous sommes présentés, et encore une fois le hasard nous réunis tous.
« Bonjour, je suis Leonardo de Eco Huellas, j’organise cet évènement pour Monsieur le Maire »
« Bonjour, je suis Santiago un simple randonneur d’Eco Huellas, j’adore l’eau vive »
« Holà moi je suis kayakiste »
« Moi je suis rafteur »
« Bonjour, je suis John Aldana, je suis le président de Colombian Canyons »
Alors voilà que cet évènement tout à fait inopiné nous fait finalement nous rencontrer ! Quelle bonne surprise ! John participe également à l’évènement avec deux membres de Colombian canyons. L’occasion ne pût être meilleure ! Nous passerons donc trois jours sous le même toit, voilà l’occasion idéale pour mieux nous connaitre !
Tout le monde s’est révélé être adorablement gentil et rapidement nous faisons des plans avec nos collègues de Colombian Canyons : Longue vie au Canyon, … et longue vie au Rhum !
La soirée vire quelque peu à la fête, tout le monde est content d’être là. Et nous découvrons rapidement un rythme nouveau : celui d’un Colombien Sportif Bringueur ! Couché 1h levé 5h, la musique à fond !
20 janvier
Comment peut-on boire autant de rhum, dormir si peu, et être si frais le matin ! Encore heureux que le programme de ce jour n’est que de la reconnaissance de rivière ! Amid m’a réservé une petite surprise : ayant été kayakiste dans ma jeunesse, je descendrais la rivière du Fragua en kayak ! Je suis toute excitée à l’idée de retrouver ces sensations addictives ! Dommage juste qu’on ne soit pas tous un peu plus frais et dispos ! La rivière est transparente, ça fait longtemps qu’on n’en avait pas vu des comme ça. Je dirais même qu’on n’en a jamais vu des comme ça depuis notre arrivée en Colombie ! Toutes les autres étaient marron jusqu’à présent. De gros blocs de granite jonchent le parcours, ce qui le rend quelque peu … technique pour une reprise ! Pour ceux qui parlent kayak c’était du classe III passage IV. Donc pour ma reprise, c’était un vrai … baptême de l’eau ! Voilà que nous embarquons : deux rafts, un canoraft et trois kayaks, à l’assaut de trois heures de descente. Nous étions tous euphoriques sur l’eau. Chacun s’est renversé à son tour. J’ai pu quant à moi m’étonner à franchir de beaux passages dont je ne me serais plus cru capable, et aussi à boire de bonnes tasses, dont je ne me serais pas cru capable non plus ! Nous avons tous fini la rivière épuisés mais en vainqueurs, sous les acclamations des villageois qui attendaient au pont à l’arrivée.
L’après-midi nous inaugurions le Festival del Rio de différentes manières : les employés municipaux sont allez relâcher des sardines dans la rivière, tandis que nous allions chacun planter un arbre par structure. Voilà qu’au bord de la rivière vous trouverez maintenant un arbre Colombian Canyons, Gecos de Colombia, Tolima Trekking, Eco Huellas, Magdalena Rafting, Kayak Magasine et … Canyon y Machete. Leonardo nous a ensuite rassemblé en cercle autour du dernier arbre à planter, celui de nous tous. Ayant des fortes relations avec ses ancêtres indigènes, nous avons planté le dernier arbre selon un rite qui leurs ait propre. Leonardo a remercié la Pacha Macha, la Mère Nature, pour tout ce qu’elle nous donne. Puis il a béni l’arbre à ses pieds, d’une petite poignée de poudre verte (un mélange de feuille de coca et d’un autre arbre symbolique dont j’ai oublié le nom). Il a ensuite pris une pincée de cette poudre, l’équivalent d’une cuillère à café, et il l’a placé sous sa langue. Il a ensuite passé le pot au suivant et à chacun de procéder au même rituel, en concluant en enterrant le petit arbre d’une poignée de terre supplémentaire. La cérémonie était très belle et nous a laissé à penser au sujet du respect que nous devons à notre planète.
(De gauche à droite : les trois compères de Colombian Canyons, les deux complices de Canyon y Machete, Leonardo de Eco Huellas, Kevin de KayakMag et Amid de Magdalena Rafting)
Une estrade a été installée en centre-village pour inaugurer le Festival mais une lourde pluie s’est abattue, le tonnerre grondait déjà depuis le début d’après-midi. La forte pluie a fait sauter le disjoncteur si bien qu’on mangeait en ville dans le noir. Puis on passa à la bière dans le noir également. La pluie ne cessa pas. Épuisés nous abandonnons l’idée de rentrer secs et à 23h nous tentons une évasion vers la Finca, à 20min de marche à pied, par une piste en terre. Mais un des membres de Colombian Canyons, Liber, nous en empêche : « Vous ne vous en rendez peut-être pas compte mais on est encore dans un village où les guérillas rodent. Ce n’est pas pour rien qu’il y a des militaires partout. (Liber est ancien militaire). Rentrer de nuit est insensé. En plus avec cette pluie. » Dans l’ambiance de fête on oublie un peu le sujet. Il n’a peut-être pas tort. Mais il n’y a pas de taxi au village, que des motos taxis et sous cette pluie ils sont tous rentrés chez eux. Les hôtels sont complets justement à cause de l’évènement. Alors on fait quoi ? L’heure tourne, quand finalement une camionnette de flics passe. C’est notre chance ! Ils vont nous ramener !
La partie n’était pas gagnée d’avance mais ils ont cédé. Liber est resté sur ses gardes. Les guérillas ne sont pas couché dans la jungle une mitraillette sous le bras comme on se l’imagine, elles sont partout, dispersées, immiscées dans la vie quotidienne : chez les flics, dans n’importe quel métier en fait. Pour lui, les flics, c’est les pires. On croit être protégé, alors qu’on est dans la gueule du loup. En Argentine je me souviens qu’on me disait souvent la même chose.
Mais tout s’est bien terminé. Nous sommes arrivés à 1h à la Finca, trempés jusqu’aux os (ils nous ont transportés à l’arrière de la camionnette …) mais avec un toit pour dormir, enfin pour ceux qui pouvait. Pour ma part, boire toute l’eau du Fragua ne m’a pas fait le plus grand bien, et j’ai passé ma nuit et le jour suivant aux toilettes ! L’horreur ! Ça faisait une éternité que je n’avais pas été aussi malade ! Et j’ai failli vomir une dernière fois quand, le lendemain soir, alors que je me sentais un peu mieux, j’ai appris qu’il y avait un élevage de cochon juste au-dessus de là où nous avions embarqué. Vous devinez ce que mon pauvre corps a dû filtrer.
21 janvier
« Si tôt couchés si tôt levés », tel est le dicton du Colombien imbibé de Rhum ! A 6h du matin la musique reprends à fond, et c’est pas une musique douce, c’est bien de la rumba criarde ! Moi je suis dans un monde parallèle et Fred vie sa journée canyonesque avec Colombian Canyons. Là, pas le choix, il faudra bien parler sans interprète ! Et il se débrouille parce qu’en plus de tout ça, la pluie qui a commencé la veille n’a pas cessé avant 16h l’après-midi suivante ! Comment le ciel peut-il contenir autant d’eau ! Alors ils ont passé une bonne partie de la journée au café à discuter des projets respectifs, ce qui fût fort enrichissant ! Il en a même profité pour en écraser quelques-uns au sport national : Le Tejo ! Ce loisir nous rappelle combien les Colombiens aiment le bruit et les pétards ! Le Tejo ça ressemble grandement au Palet, qui se joue en Bretagne principalement. Le jeu du Tejo consiste à jeter des petits galets dans un rectangle posé par terre, recouvert de pâte à modeler verte. Il y a des points à gagner en fonction de l’endroit où se plante le palet. Si le palet fait exploser un pétard, les points doublent. Autant vous dire qu’avoir la chambre à côté de ce jeu n’est pas de tout repos !
J’ai pu les rejoindre en fin d’après-midi, quand je me sentais légèrement mieux. Je me suis faite un peu violence mais c’était le dernier soir du festival, et il me fallait bien retrouver quelques forces. Un café me ferait le plus grand bien. Je me mets en marche sur la piste qui mène au village. Je dois être d’une blancheur à faire peur. Un peu plus haut sur les crêtes les bunkers de sable forment un petit village. Les soldats me regardent. Je continue. Puis ils descendent vers moi. Le village est réellement protégé. Dans notre guide touristique vous ne trouverez pas le département du Caqueta, ni le département voisin du Putumayo. Vous n’aurez que quelques mots sur le Nariño, faisant frontière avec l’Équateur. Pourtant ce sont des départements à la beauté époustouflante, aux eaux cristallines. Ils font tous trois porte sur la forêt Amazonienne. Mais la politique gâche tout. Et vraiment je pèse mes mots : c’est du gâchis. Quelle envie d’aller plus loin encore, quelle envie d’explorer. Une envie insatiable.
Au village l’électricité est bel et bien revenue ! Les magasins ont mis la musique à plein volume. Je vois mon café au lait dans une ambiance de fête. Ça fait plaisir de les voir. Ici le samedi et le dimanche c’est sacré, sacrément la fête surtout ! On retrouve toujours une Plaza Bolivar pleine de stands de HotDog, Chorizo ou autre friture recouverte de sauce. Les gens sont bien habillés, ils partagent tous leurs petits shots en plastique de Rhum. J’avais résisté au Rhum jusqu’à présent, n’étant pas une grande fanatique de l’alcool fort, mais finalement je me suis laissé tenter par les rafteurs : « Allez, un petit coup ça va tuer les bactéries. » Ça peut pas être faux…
Je suis ravie de retrouver mes amis de l’eau vive. Ils se sont régalés aujourd’hui sur le Fragua qui est passé du classe III au classe IV après cette pluie torrentielle. C’était moins technique, mais plus impressionnant parait-il. Et l’eau était de nouveau marron. (Au moins la pisse de cochon devait être bien diluée !)
L’estrade du Maire prend enfin vie. Des groupes ont été invités, des danseurs font revivre le folklore Colombien dans des tenues on-ne-peut-plus exotiques. Le Ron Viejo de Caldas (Rhum Populaire) fait des ravages !
22 janvier
Tout le monde n’est pas très frais ce matin ! On commence à fatiguer de ces journées ininterrompues mais on est toujours là, Fredo et moi, bien décidés à faire profiter le village de notre activité. Nous avons des cordes, des mousquetons, encore heureux qu’on a pris des baudriers supplémentaires aussi. En peu de temps nous installons une belle tyrosplash de 30m depuis le pont, à l’arrivée des rafts ! Pour la somme symbolique de $2.000, les villageois pouvait s’envoler puis s’écraser dans l’eau ! Le soleil tapait à son plus fort, nous étions heureux de pouvoir partager d’une certaine manière notre activité, et de voir les gens si euphorique à l’idée de cette petite tyro-splash. Alors que s’il y a bien un pays qui tends de la tyrolienne, c’est bien la Colombie, avec ces câbles de 300m de long. Mais là, on ricoche sur l’eau, et c’est au milieu du village, alors ce n’est pas pareil ! On a connu un beau succès, jusqu’à ce qu’il faille partir : la camionnette nous ramenait à San Augustin à 14h. Le Maire aurait dû nous garder une nuit de plus ! Le « Gobernador » est même venu pour l’occasion, faire une descente en raft. Il ne risquait rien de lui arriver, il était encadré par tous les guides et Kévin en plus faisait la sécu en kayak. Par contre il a dédaigné notre tyrolienne !
Nous désinstallons en refusant les dernières descentes, les épaules et le nez rougit par ce soleil de plomb. En deux temps trois mouvements nous nous retrouvons de nouveau à l’arrière de la camionnette qui filait à vive allure franchir les hauteurs de la Cordillère Orientale, avachi cette fois-ci sur les gilets de kayak qui, au retour, faisait un lit bien confortable !
Amid nous laisse en route en pleine nuit. Nous sommes tellement reconnaissants, dommage que les au revoir ce soient fait sur un croisement, de nuit, tous fatigués. Ils n’étaient pas à la hauteur de notre reconnaissance. Nos routes se séparent : il y a un canyon qui nous trotte dans la tête depuis bien avant qu’on prenne l’avion pour la Colombie, et il est juste là, un peu plus au sud encore !
« Le bus part à 22h15 pour Mocoa » nous annonce le vendeur de ticket dans sa petite cabine, parmi toutes les autres petites cabines qui vendent des destinations différentes ou concurrentes.
On est claqués. Est-ce qu’on prend le bus maintenant ou est- ce qu’on dort à Pitalito ?
Allez, c’est trois heures de trajet, on le fait comme ça on profitera mieux de demain. Nous nous mettons d’accord. Ça nous fait arriver à 1h du mat. Nous sommes fiers de faire désormais partie de la grande famille de Colombian Canyons et de ses 80 membres actifs ! John nous a chouchoutés avant de partir ! Il nous a donné l’adresse d’un des membres de Colombian Canyons qui habite à Mocoa et qui justement fait la descente du Fin del Mundo, cette descente qui nous fait baver !
Nous voyageons jusqu’à Mocoa dans une buseta (12 places) de nuit, et nous ne nous attendions pas à un tel trajet. On s’était bien gardé de nous dire qu’au-delà de Pitalito, … il n’avait plus de route goudronnée ! La buseta s’agite dans tous les sens, j’imagine le volant tourner sur lui-même pendant qu’on est secoués comme des paillassons ! Toutes les têtes des voyageurs valdinguent un coup à droite, un coup à gauche. La petite buseta éclaire la piste autant qu’elle peut. On ne croise pas beaucoup de véhicule. Mais jusqu’où va-t-on comme ça ?
23 janvier
Finalement, on fait la grasse mat, impossible de résister plus longtemps ! Les lits sont confortables, et plus qu’appréciable après toutes ces nuits en tente ! Pas de Rumba à 5h du mat, pas de pétard explosifs du Tejo, juste du calme et des draps repassés ! Luz, la femme du canyoniste, nous a gentiment recueillis à 1h du mat la veille, c’était plus qu’agréable ! Et nous nous sommes rapidement effondrés sur ces beaux lits propres !
Mocoa est une petite ville mais pourtant c’est une capitale, la capitale du département du Putumayo. Elle est très sobre, et tout son charme réside dans le fait qu’elle soit seule, au milieu de la forêt amazonienne, reliée au reste de la Colombie par des chemins en terre. La ville la plus proche est à 3h de trajet. Quant au programme, il n’y a pas grand-chose à faire. Pas de visite, à moins de se rendre au CEA, le Centre Expérimental Amazonique. On peut profiter de l’immensité de la forêt, du calme reposant, ou de l’eau cristalline et rafraichissante des rivières. Les oiseaux s’adonnent à d’étranges nids. L’observation des oiseaux est une activité à part entière en Colombie. Et on en apprend tous les jours un peu plus sur les coutumes de ces petits êtres à plume forts courtois ! Dans le Putumayo nous avons côtoyer le « Mochilero » (Littéralement : « A sac à dos ». Traduction : « Le voyageur »). Cet oiseau a été surnommé de cette façon car ses nids ont la véritable allure … d’un balluchon ! On ne peut pas les manquer ! Leurs nids décorent les arbres comme des boules sur un sapin de Noël, c’est très original. Le Mochilero est couleur café, et il a le dessous de la queue jaune. En français, on l'appelle le Cassique Huppé.
Pour en revenir à notre programme, nous avons opté pour la dernière solution. La chaleur est tellement moite, et les vasques sont si alléchantes. Rien de tel qu’un bon bain frais dans des vasques limpides, et propre. Il y a tellement peu de fermes et d’habitants que l’eau n’est pas polluée. La forêt devant nous semble aussi infinie qu’infranchissable. Dans notre dos règne les splendides montagnes des trois Cordillères enfin réunies. Derrière ces sommets se cache Pasto, capitale du Nariño, dernière grande ville avant l’Équateur. La lumière du soleil est ici dorée et baigne ce paysage grandiose d’une couleur magique. Jamais nous n’avons vu de coucher de soleil plus majestueux qu’ici. Et nous sommes rêveurs : il se couche derrière cette haute Cordillère, derrière Pasto, puis derrière l’Équateur. L’horizon est nettement dessiné d’une seule ligne : une ligne droite pour la forêt, qui triangule ensuite jusqu’à atteindre les 4000m, avant de redescendre de la même manière jusqu’à retrouver la ligne plate de la forêt amazonienne, à 400m d’altitude. La forêt est d’un vert dense, les montagnes se dessinent en ombre noire avec le soleil couchant, notre eau cristalline est baignée dans cette lumière dorée et Mocoa se trouve dans ce paysage, isolé. Plongés dans ce paysage, on comprend alors pourquoi le canyon qui nous attend demain est connu sous le nom de « Fin del Mundo ».
24 janvier
Nous nous sommes mis d’accord avec Rosemberg, un guide pro local, membre de Colombian Canyons, passionné de son métier et de son environnement. RDV à 7h pour dévorer cette journée nouvelle !
Sa famille possède l’entrée du Parc Naturel de Fin del Mundo, connu dans toute la Colombie. C’est une famille simple, au physique rappelant grandement les traits des indigènes : corpulence fine, petits, nez long et droit, cheveux et yeux noirs, visage plus fermé que les Colombiens que nous avons connu dans d’autres régions, mais au cœur tout aussi ouvert. Ils parlent beaucoup moins, ils s’expriment moins. De premier abord on pourrait croire à de l’indifférence, mais loin de là ce jugement. Ils ont le cœur sur la main. Peut-être se méfient-ils un peu plus ? Ils sont amoureux de la nature, ils y vouent un respect infini. Ils sont plus silencieux, mais ils écoutent, et ils partagent. Le contraste avec les autres Colombiens est marqué. Les terres du Sud de la Colombie sont connues pour être plus marquée par les traditions indigènes. Le panneau à l’entrée du parc l’indiquait : « Bienvenus sur la propriété du Cabilde », le chef.
Sa famille vit dans une maison en bois en pleine forêt. Ils peuvent accueillir quelques voyageurs dans une maison en bois annexe. Le temps que Rosemberg se prépare la femme la plus âgée nous prépare un déjeuner avec un café, fort appréciable en ce petit matin pour attaquer nos aventures. Rosemberg est ravi de pouvoir nous montrer son parc à matériel. Les papillons ici sont immenses : de grands papillons bleus qui virevoltent dans le vent. Ce sont des Morpho, un des plus grands papillon au monde. Sa couleur Iris attire l'attention. On a envie de voler avec lui ... Parfois ses ailes prennent une allure de paire d’œils assez effrayantes! Il parait que les crapauds aussi sont disproportionnés : ils atteigneraient la taille d’un chat, mais je n’en ai jamais vu. Et je ne parle pas de les entendre, ils doivent rugir !
Le site de Fin del Mundo est d’une beauté exceptionnelle. On entre dans le canyon par Ojos de Dios, une cascade souterraine d’où s’est envolée une flopée d’oiseaux, de la famille des hirondelles, qui y ont trouvé un abri. Nous entrons en rappel dans ce somptueux gouffre, puis suivons la cascade en traversant la roche, pour ressortir dessous, dans une belle vasque profonde, où s’émerveillent les touristes. Nous continuons en nageant et …en sautant ! Enfin un vrai canyon, avec des sauts ! Ça nous avait manqué. En Colombie c’est dur de trouver un « vrai » canyon et toutes ses composantes : sauts, toboggans et rappels, et non : rappel, rappel et rappel comme c’est plus le cas ici. La roche s’y prête plus dans cette région, il n’y a pas que du basalte, il y a aussi du calcaire, du granite, et une sorte de grès très sableux. Ces roches favorisent la formation de belles vasques pleines … pour accueillir nos sauts ! S’en suit la cascade proprement dite de Fin del Mundo, d’une soixantaine de mètre, spectaculaire par son environnement. Je ne saurais décrire pourquoi le site est si envoutant. Certaines cascades ne provoquent aucune émotion, d’autres nous envoutent. Peut-être est-ce dû à la roche, à la vue sur cette forêt, à l’encaissement dans un cirque rocheux, ou à la descente « en fil d’araignée » qu’elle provoque, suite au léger surplomb qui se situe à la tête de cascade. Ou le mélange de tout.
Il était encore assez tôt. Luz nous rejoins avec un bon poulet à la broche pour midi. Quelle journée de rois ! Ainsi requinqués nous sommes impatients de connaitre la suite. Rosemberg nous dit que, jusqu’à l’embouchure dans la rivière Mocoa, il y a encore plein de sauts, quelques toboggans. On en a pas assez, on en veut plus, il est encore tôt, et je veux voir ce que ça donne de finir à cette embouchure.
Nous voilà lancé dans l’intégrale de Dantayaco (en langue Indigène Inga, l’eau du tapir), une descente de 6h. Malgré la marche en rivière obligée du milieu, nous ne sommes pas déçus du voyage. Il y a eu de nombreux sauts, dans un cadre spectaculaires d’affluents qui chutent de toute part, de lianes tombantes, de chants d’oiseaux et de roches gigantesques. Le final est encore plus beau : Dantayaco termine sur un superbe encaissement, bien que court, constitué d’un saut et de deux toboggans, pour rejoindre finalement la rivière Mocoa.
Malgré qu’il s’agisse d’un collecteur, la grosse rivière Mocoa est cristalline. Elle coule dans un lit de granite. Les obstacles forment des vagues trompeuses. En arrivant, de loin, entre les galets de granite, les petites plages de sable fin et les palmiers tout autour, la lumière du soleil de fin de journée inondant le tout, on se laisse facilement à croire qu’on arrive à la mer !
Nous terminons cette journée fabuleuse à partager quelques bières à Villagarzon, un village à 20min de Mocoa, avec Luz et Rosemberg. Ils nous accueillent vraiment le cœur sur la main. Nous parlons des ouvertures. Le département est tellement prometteur, selon Rosemberg il y aurait une bonne dizaine d’ouvertures à faire prochainement. Nous avons aperçu l’une d’entre elle, et nous en avons l’eau à la bouche ! Seulement dans la région les ouvertures ne sont pas si évidentes : chaque fois qu’ils ont voulu se rendre à un canyon pour l’équiper, l’eau est montée à une vitesse qu’il a fallu systématiquement réchappé. Ce fait les a amenés à croire que les sites étaient sacrés, et que les ancêtres ne voulaient pas qu’on descende ces cascades. Je ne suis ni superstitieuse ni croyante, mais s’il en est ainsi, alors il faut respecter leur choix.
Déjà nous faisons les projets du lendemain. On veut leur rendre la pareille, après la journée que nous avons passé, c’est la moindre des choses. Alors pour un canyoniste en Expé ici c’est facile de rendre la pareille : il suffit de proposer des goujons et de la batterie !
25 janvier
Je crois que je n’ai jamais autant sué de ma vie ! 80% d’humidité dans la forêt, et 30 bons degrés! Nous sommes aujourd’hui sur la marche d’approche de Hornoyaco (en langue indigène Inga : l’eau du four) et on se croirait dans un des films d’Indiana Jones. Les lianes pendent de toute part, on se prend les pieds dans des racines géantes, nous traversons des ponts suspendus en bois qui semblent abandonnés, les blocs de roche sont énormes, des fourmis mutantes sortent au coucher du soleil (de la taille d’une phalange). Ce sentier mène à un hameau, le Zarzal, connu pour sa médecine indigène. On peut aller se soigner au Yagé. Cette substance qui, pour les Occidentaux est hallucinogène, est médicinale pour les Indigènes. Elle permet de révéler le mal-être qui est en toi si tu es malade. Après la consommation de ce jus de liane bouilli, ton corps ne peut pas mentir. Rosemberg nous a confié que les deux premières fois il avait vomi tout ce qu’il avait pu, alors après ma mise au lit de l’autre jour, je ne suis pas prête à torturer à nouveau mes entrailles. Cependant, les autres fois il a réussi à « voyager ». Le yahé fait effet pendant une nuit de 12h. Il permet de voir clairement les couleurs, de sentir, de toucher plus justement les choses. Les sens sont dans un tel état d’éveil que le bruit d’un moustique semblerait être celui d’un hélicoptère.
Hornoyaco a aussi une très belle cascade de 50m mais malheureusement, la suite jusqu’au Mocoa n’est pas aussi ludique que le Dantayaco. Cela dit, la marche en rivière est toujours aussi jolie par ces décors peu communs et Fred s’est éclaté à équiper la dernière jolie cascade d’une vingtaine de mètres, qui tombe tout droit dans le Mocoa (et qui au passage à manger notre corde, sacré grès !)
Nous avons pu beaucoup échanger avec Rosemberg et apprendre réciproquement des uns des autres. Ce voyage est fantastique pour toutes ces découvertes humaines, riche en échanges.
Peu de répits une fois de plus.
Rosemberg nous a fait rêver à nous dire que, pour lui, le plus beau canyon qu’il ait fait se trouve à Pasto, et qu’il a besoin d’acolytes pour vaincre la force des ancêtres. On est là mais on est tiraillés par le temps et nous devons quitter le sud à grand contrecœur. Y’a du boulot qui nous attends à Bogota ! Nous sommes tellement justes en temps que nous prenons un bus de nuit pour faire la moitié du chemin qui nous sépare de Cartago. On choisit de couper les 16h de route qui nous attendent pour faire une escale dans un des joyaux architecturales de la Colombie : Popayán, dans le département du Valle.
Luz et Rosemberg nous laisse partir à contrecœur également. Le séjour a été court mais tellement intense et bénéfique que nous promettons de revenir donner un coup de main, dès qu’ils nous invitent ! On se sent à notre juste place de canyoneur là-bas. Ils veulent nous héberger une dernière nuit
« Non mais vous vous voyez, reposez-vous ! Vous n’allez jamais dormir dans le bus, et chargés comme vous êtes, vous allez être exténués ! »
Comment refuser une attention aussi chaleureuse…
« On ne peut pas, on doit vraiment y aller, on doit être le 1er à Bogota et on a du pain sur la planche ! »
Alors ils nous accompagnent jusqu’au terminal, pour être sûr qu’on monte bien dans le bus.
22h15, dernier départ pour Popayán. Le bus est archi complet on choppe les dernières places à la volée. Les voyageurs ont tellement pris de bagages qu’on doit fourrer les nôtres non dans la soute, … mais dans les chiottes du bus, privant tout le monde de se soulager pendant ce long trajet ! Pas qu’on n’avait pas mauvaise conscience, mais on n’avait pas le choix avec nos 4 gros sacs. On se promet de ne plus jamais voyager aussi lourdement !
Le voyage est loin d’être des plus reposants ! Autant dans le bus Pereira-Ibagué-Neiva à l’aller j’ai dormi en boule comme un loir, autant celui-ci m’a fait rêver des montagnes russes (littéralement !). Nous nous assoupissions ponctuellement au rythme des nids-de-poule. Pourquoi personne ne nous dit jamais qu’il n’y a pas de goudron sur les routes ?! Rendez-vous bien compte : un voyage de nuit, en bus, sur une piste cabossée, pendant 8h de temps …. Pour la première fois je n’ai pas maudit la rumba (musique) du chauffeur. Au lieu de nous casser les oreilles, elle nous encourageait à continuer à rouler, sur cette piste cabossée, seuls dans la nuit. C’est le sentiment qui m’a envahi. Je me rappelle des conseils des Gardes Forestier du PNN (Los Nevados). Ils nous avaient dit qu’ils habitaient dans le coin (à Terradentro). Je me souviens qu’ils avaient qualifié cette route de « pas commerciale ». Au début j’avais pensé à causes des guérillas, c’est d’ailleurs le cas bien que beaucoup moins aujourd’hui, mais je me dis aussi que c’est parce qu’elle est dans un sacré fichu état cette piste en terre !
« Allez chauffeur, courage » marmonnais-je entre deux rêves incohérents. Les corps sont secoués par les amortisseurs détendus du bus et le relief cabossé de la piste. Personne ne peut dormir. « Allez chauffeur, on va pas tomber en panne ici ! ». Je m’endors en boule contre Fred, lui-même allongé contre l’accoudoir, et je rêve que nous tentons de monter des montagnes russes sans y parvenir. Il n’y a pas d’étoiles cette nuit. Nous avons les yeux qui piquent de toutes ces ravissantes journées de vagabondages qui commencent à l’aube. Lorsque le soleil commence à éclairer le ciel, je me rends compte que nous sommes dans le Paramo. Je n’y crois pas.
« Fred, combien donne ton alti ? »
« 3000 »
Alors je n’hallucine pas, il y a des frailejones dehors. J’entrouvre la fenêtre, il fait un froid de canard.
Le chauffeur s’arrête finalement, presque essoufflé. Nous faisons escale à un café en fin de piste : La Trocha (La piste). Il est bien nommé celui-là ! Les camions passent à contre sens et je les bénis pour ce qui les attends.
Le chauffeur et son assistant sautent du bus emmitouflés dans des ponchos de laine et se ruent demander une aguapanela bien chaude au café. Je les suis avec une femme sur mes talons. Un bon café, ça me fera vraiment du bien ! (J’en peux plus du jus de canne à sucre !). Résultat : elle me sert du café dans du jus de canne à sucre…
Le chauffeur se plaint de l’état de la piste mais félicite son bus d’avoir tenu le coup. Je pense qu’à chaque coup de pierre menaçant les roues, tout le monde a dû prier pour le bus dans la nuit, pour ne pas rester en plan au milieu de nulle part. Je regrette presque d’avoir voyagé de nuit, les paysages devaient être sublimes. Je hais les courses contre la montre.
La dame qui m’a suivi confie au chauffeur que, pendant la nuit, elle avait rêvé faire du cheval dans une prairie ! « Et je suis sûre qu’un cheval ça secoue moins » lance-t-elle, provoquant nos éclats de rire à tous les 4 ! Alors je surenchéri avec mon rêve et cette bonne humeur matinale remets tout le monde d’aplomb pour affronter l’heure qui nous reste.
26 janvier
Popayan , « la ville blanche ». Ce surnom prend tout son sens quand nous arpentons les rues du vieux centre. Les maisons coloniales sont toutes blanches, les fenêtres sont barricadées de barreaux en bois. Il n’y a pas de lampadaires mais des lanternes accrochées sur chaque maison. Le rendu est superbe. Les rues sont pour certaines pavées, la Place centrale est entièrement piétonne ce qui permet à chaque citadins de jouir d’un calme incomparables aux autres villes de pareille taille. Les policiers sont en grand nombre mais leur tâche est tellement oisive qu’ils s’adonnent à des occupations qui ne ressemblent plus à de la surveillance. Lorsque nous arrivons, un petit groupe de policier formait un orchestre, la musique harmonieuse animait la place. Un autre se chargeait de faire de la pub sur le rôle des policiers, coiffé d’un joli sombrero vert. Un autre encore a décidé de surveiller la place du haut de ses échasses. Qu’en dites-vous ? Ça change ! Je suis curieuse de les voir gérer un trouble public, le tambourin à la main ou du haut des échasses …
Nous sommes si fatigués que nous nous trainons plus que nous visitons. Jusqu’à ce que nous cédions : nous serons bien mieux dans les eaux chaudes naturelles qui se trouvent à Coconuco, à 40min d’ici. Finalement un bon bain brûlant par ce jour grisâtre et frais est plus que le bienvenu, et nos corps nous remercient !
Cartago nous voit de retour pour quelques jours, avec ses bruits et sa chaleur étouffante (mais sèche). On doit préparer notre voyage à Bogotá. Après tout ce travail sur le terrain, la semaine prochaine on devrait officialiser notre projet auprès du Ministère du Tourisme, de l’Ambassade et de l’Institut Français. En espérant que notre travail porte ses fruits !
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