5 février
« Ils étaient cent dessus, elle était sans dessous, ils étaient cents par-dessus, elle était toute seule en-dessous, sans-dessus dessous… la la la »
Voilà que cet air de Zebda me trotte dans la tête tandis que nous montons à grand peine droit dans la pente vers le début de ce mystérieux canyon.
Les paroles d’Andrés me reviennent en tête, comme s’il nous parlait
« C’est comme si la forêt s’ouvrait (...) tu peux tomber dans la faille d’un coup ...Parfois les parois ont l’air tellement étroites qu’on ne peut passer que de bais ... Et moi j’ai rien vu encore, je ne me suis pas aventuré bien loin, ça m’a fichu trop la frousse, on pourrait être aspiré dans ces marmites sans fond, et si jamais j’arrivais pas à remonter ? ... ça doit faire des années que j’attends des professionnels pour aller voir ce qu’il y a, c’est que tout seul je suis pas capable, et on a pas de matos. »
Cette dernière bribe de phrase me tue. Si seulement on avait pu emmener Andrès avec nous.
La nuit dernière a été exécrable. Nous avons pu trouver une cabaña pour passer la nuit. La cabaña en elle-même était parfaite, mais c’était sans compter sur le dance-floor du samedi soir, rumba à fond. Je vois pas comment on peut avoir l’idée de juxtaposer une discothèque et des hébergements, et être propriétaire des deux… On a dû dormir 3h je crois. Alors enchaîner ce quatrième jour d’ouverture …. Mais c’est pas le moment de penser à la fatigue. C’est quand on y pense qu’on est fatigué.
Un bon bain dans la première vasque du canyon, sous une petite cascade de 6-7m, rien de tel pour nous remettre d’aplomb et rafraichir nos visages cramoisis par la chaleur et l’humidité étouffante !
Mes trois compères sont prêts. Ils sont débout, ils m’attendent.
J’ouvre mon carnet :
Alors …
" El Intro, 5 février 2017. Ouvreurs : Felipe, Alexandra, Fredo, Anaïs" Je m’applique. Je concentre l’écriture dans un coin de la page pour me laisser la place de dessiner la coupe topographique sur le reste.
Altitude : … Heure de départ : … Roche : … Débit : …
Je referme le carnet. Claquement du carnet. Rangement du crayon. Carnet rangé dans la poche du sac. Zip de la poche du sac. Petit regard complice à mes amis :
« C’est parti ! »
Nous descendons ce petit cours d’eau estimé à 30L/sec seulement. Il fait beau, pas de risque de pluie, donc de crue, pour le moment. Seulement 10 minutes plus tard, après nous être faufilés entre les blocs, les descriptions enfantines d’Andrès prennent forme sous nos yeux : le cours d’eau a creusé dans la forêt un véritable petit bijou finement sculpté ! La faille est si étroite que les racines des arbres l’enjambent de part et d'autre. C’est alors que nous ne pouvons contenir nos éclats de joie :
« Non mais c’est DE-MENT ! »
L’entrée dans le canyon se fait par un super toboggan de 5 mètres, qui atterri dans une vasque profonde et marque d’ores et déjà les réjouissances et le point de non-retour. On ne pourra pas escalader dans l’autre sens, les parois sont trop lisses. Maintenant il n’y a qu’une seule direction à suivre : devant. Comme dirait Martin, un collègue et un sacré personnage « Non mais les gars, déconnez pas là, un canyon s’est fait pour être descendus ! Allez, mais qu'est-ce que vous fichez encore là ! »
Nous voilà nous faufilant, les yeux écarquillés, le sourire aux lèvres, dans cette petite étroiture qui, après quelques marmites, s’évanouissait en une belle cascade de 20m. Nous faisons quelques pas entre les blocs, en priant pour que l’étroiture revienne. Nous nous glissons sous un gros bloc, remontons à la surface, perdons le cours d’eau…
« Là, il est là ! » s’écrie Fred
« Où ça ? »
« Là, il descends là ! » me répondit-il en pointant du doigt le cours d’eau qui jouait à cache-cache
« Ah, dément, je crois que vous pouvez descendre dans ce trou et ça va ressortir de l’autre côté ! » indiquais-je depuis mon point de vue
« Non, ça passe pas. »
« On a trouvé ! » lance Alexandra de loin
« Ouah, non j’y crois pas mes yeux » rit Felipe
« Attendez-nous ! » répondons-nous en chœur ! On s’en piétinerait l’un l’autre. L’entrée était cachée derrière un pas d’escalade de 2-3 mètres, l’entrée … d’un passage souterrain ! C’est fabuleux. On démonte les sacs pour récupérer les frontales, on jette la corde autour d’une lunule (petit arche naturel) et nous pénétrons au fond de la faille, dans l’obscurité. Fred ouvre les hostilités, Felipe installe la corde, Alexandra ajuste sa frontale et je mitraille tout ce que je peux en photos. L’ambiance me rappelle cette fois-ci un mélange entre Gorgonchon et Oscuros de Balces, deux somptueux canyons de la Sierra de Guara, en Espagne.
Après une petite partie de nage, nous retrouvons le jour. S’en suit une dalle géante où l’eau a creusé plein de petits toboggans, un pour chacun. L’ambiance est bon enfant. Puis le cours d’eau se perds de nouveau, il s’engouffre dans un minuscule trou, impossible de le suivre. Ce qui nous fait bifurquer vers la droite, où un gouffre d’une dizaine de mètres nous permet de descendre dans une faille sèche cette fois-ci. Les racines des arbres pendent jusqu’au fond de la faille, à la recherche de l'humidité, en s'unissent en formant une série de lianes. Le sentiment d’exploration bats son plein. Nous admirons les entrailles de petites grenouilles d’un vert transparent qui se dissimulent dans la végétation. En fin d’étroiture un rappel de 15 mètres nous attend, l’eau nous retrouve et jailli de la roche juste au-dessus de nous, ce qui forme une cascade de 20m. L’endroit est dément ! On n’y croit pas nos yeux. Théo et Andrés sont dans nos pensées, on les bénit pour ce merveilleux dimanche en famille de canyonistes, un dimanche comme on les aime !
« Anaïs, tu veux que je t’assure pour aller installer la corde ? »
« Non, non c’est bon merci Fred, je ne risque pas de glisser sur ce conglomérat ! Ça me bouffe plus la semelle qu'autre chose!»
« … » Fred me regarde. Mes compagnons s’installent pendant que j’installe la corde autour d'un arbre de bonnes dimensions originalement accroché à un bloc de grande taille.
« Je vais l’attacher à l’arbr… » quand mon souffle se coupe : il y a quelqu’un, là, en bas.
« Fred ? »
Fred reste silencieux.
Nous sommes en haut d’une cascade d’environ 15mètres, dont nous voyons les 5 premiers mètres seulement. Le reste s’engloutit ensuite dans un cirque naturel, qui devait être une grotte il y a des années de cela. Seul le côté droite de la grotte semble former encore un abri, mais d’en haut nous ne voyons pas grand-chose.
Un jeune garçon à la peau mate, en botte, est en contre-bas de la cascade. Il est monté sur des blocs pour que nous le voyons mieux. On dirait qu’il s’affole, il court de droite à gauche puis se stabilise :
« Qu’est-ce que vous faites là ? Qu’est-ce que vous voulez ?! » crie-t-il d’en bas.
On s’entend mal.
« On descends le cours d’eau. » beuglais-je alors.
Il nous fait signe d’attendre. Il va prendre un petit chemin sur le côté pour nous rejoindre.
S’il est là, ça veut dire deux choses : qu’il y a un chemin de retour (nous sommes rentrés dans le canyon il y a trois heures) et que le canyon se termine peut-être là. Il y a un gros éboulement derrière, on ne voit pas très bien s’il y a une suite. Mais il va nous le dire de suite.
« HEY, on est là ! »
Le jeune garçon partait déjà trop loin ! Qu’est-ce qu’il est speed !
« Salut ! Je peux vous aider ? » dit-il en revenant sur ses pas.assures
Il s’approche de la cascade. Moi je suis encordée et j’ai des bonnes pompes, j’avais arrêté ma descente à 3m de l’arbre en l’attendant. Moi, je ne risque rien. Lui se fout complètement de la chute d’eau. Ces Colombiens n’ont parfois aucune conscience du danger.
« Alors tu profites de te baigner à la cascade ? ». Je dis la première chose qui me passe par la tête, n'importe quoi pour briser la glace. Le pauvre, on a dû sacrément lui faire peur, on dirait une petite bête sauvage.
« Euh oui, c’est ça je me baigne »
« Tu m’étonne il fait super beau et la cascade doit être magnifique d’en bas. Tu t’appelles comment ? »
« Mauricio »
« Eh, Salut Maurice, c’est Maurice en français »
« Maujiss ? »
« Maurice, oui ! »
« Bon et alors ça donne quoi la suite ? Nous on veut descendre la rivière jusqu’à la piste »
« Vous pouvez sortir par ce chemin en 20min" dit-il en pointant du doigt vers la gauche "sinon par la rivière c’est 30min je crois. »
Le pauvre, on va le laisser tranquille on le dérange je crois. Sur ce, je défais la clé de blocage de mon descendeur et je me mets en route.
« Les gars je mets un kit là pour protéger la corde il y a un gros frottement » je les préviens avec un clin d’œil.
Fred a le regard à l’affût. L’atmosphère est pesante ici. Mais qu’est-ce qu’il se passe. Bon ciao les copains vous êtes pas marrants je descends moi !
« Anaïs, ça bouge les arbres là-bas, y’a des mecs qui se sont barrés dans la forêt. » m’avertit Fred, mais je suis déjà plus visible. Sous la cascade je rigole avec les lianes, j’en profite pour faire une petite vidéo-documentaire : "Et si les lianes pouvaient servir de corde naturelle plutôt que la spélénium (notre corde)." J’ouvre l’enquête ! "On devrait envoyer ce bêtisier à Spelenium, ça les feraient rire" pensais-je alors. Mon écran est réversible, donc je me vois quand je me filme, ça permet de mieux viser ! Sauf que ce que je vois, derrière moi, c’est vraiment pas le paysage auquel je m’attendais.
« Mais qu’est-ce que c’est ce bordel ? » murmurais-je à moi-même. Je coupe la caméra et m’empresse de descendre.
« LIBRE ! » je crie au suivant en libérant la corde. Puis je m’approche de la partie grotte qui est restée intacte : il doit y avoir au moins une cinquantaine de gamelles et de marmites. Un grand tuyau de gaz a été affrété pour chauffer tout ça.
« Mais qu’est-ce qu’il fout ce jeune, y’a de l’or dans cette grotte ou quoi ? »
Je m’approche, la curiosité me mène par le bout du nez. J’arrive presque à voir ce qu’il y a dans la première gamelle…
« Anaïs, non ! »
Je me retourne, rouge vif, comme prise au piège.
Moi j’ai vraiment le cerveau qui marche à deux à l’heure, je suis une âme tellement I-NO-CENTE. Et je le sais que je suis parfois naïve, mais je crois fervemment au dicton qui me protège (surtout après toutes les aventures qui me sont arrivées à travers le monde) « Heureux sont les ignorants ».
« Anaïs, tu ne vois pas quils produisent de la drogue, c’est un réseau clandestin » Alexandra m’attrape par le bras.
« Anaïs j’ai peur, fichons le camp d’ici ». Elle a du mal à garder son calme. Elle m’a filé la chair de poule.
Felipe arrive à son tour et se rends immédiatement compte dans quoi nous avons mis les pieds
« Non mais c’est-pas-vrai… »
Il a lui aussi les yeux écarquillés mais, contrairement à Alexandra, il reprend vite la situation en main.
« Bonjour » fit une voix grave dans mon dos, qui me glace la moelle.
Je me hâte de renkiter la corde (c’est-à-dire de la ranger dans le sac à corde) pour retrouver une contenance. Alexandra me tient le sac en tremblant comme une petite feuille. Fred est enfin descendu. Pourvu qu’il ne dise rien.
« Oh putain les copains je crois pas qu’on soit à notre place ici » me dis-je dans ma tête. Mais je me retourne vers l’homme pour venir en aide à Felipe, et mon visage affiche un sourire naturellement radieux ! L’homme est pieds nus, il est hyper costaud, le teint très mat. Son jean et sa chemise noire à carreaux son déchirés à mi-mollet et mi-bras, ce qui lui donne un air assez méchant. Pourtant j’ai l’impression qu’il ne nous veut pas de mal.
« …et donc on pensait continuer le canyon par là si ça vous va » termine Felipe.
Le regard de l’homme se porte sur moi. Son regard est doux.
« Vous ne direz rien de ce que vous avez vu » dit-il à mon attention, toujours de sa voix grave
« Vous savez monsieur, chacun fait ce qu’il veut pour vivre. Nous on descends des cascades » lui répondis-je naturellement.
Felipe me sourit, ce qui me redonne du courage.
« On peut continuer par le canyon ? » lui demandais-je alors.
Je sais qu’Alexandra ne veut pas, elle veut sortir du canyon. Mais déjà c’est pas naturel, et en plus on a aucune idée si leur chemin mène quelque part ou pas. Au moins, là, on est sûr qu’à un moment donné le ruisseau croise la piste, on ne doit plus être très loin. Je suis donc mon instinct.
« Oui, si vous voulez. Mais je ne sais pas si vous allez y arriver, c’est parfois vertical. »
Dis donc, il a pas vu tous le matos qu’on se trimballe !
« Merci Monsieur, au revoir »
Chacun de nous prends son sac et se remet en route en silence, à la queue leu leu, quand en me retournant je me retrouve face à face avec un autre homme, sur le bloc juste au-dessus de nous. Rien que la position nous mets en état de faiblesse. Il a la machette à la main, prête à servir.il porte un t-shirt bleu clair, un jean et des chaussures. Autant vous dire que c’est pas du tout la tenue appropriée pour faire de la cuisine sous la grotte ! Je déconne mais c’est nerveux. Et alors quoi, nous aussi on a une machette …
« Dis donc vous avez l’air sacrément sportifs vous … et équipé »
Nous passons notre chemin sans trop discuter et disparaissons sous les blocs de roche.
Oh mon Dieu, l’odeur est intolérable, mes narines sont attaquées à l’acide c’est puissant ce truc. J’ai mis un pied dans l’eau et j’ai l’impression que mes pompes fondent instantanément. On ne va pas sérieusement se remettre dans ce cours d’eau… ?
« C’est bien par ici la suite ? » fis-je en tentant de dissimuler ma gêne olfactive
Il acquiesce.
Bon allez, on va pas faire les chochottes pour un peu de chimie. C’est parti.
Alexandra ne pipe plus un mot.
Fred est parti devant.
« … vraiment il m’a … il a failli… j’y croi…. »
« Quoi ? J’entends que dalle à ce que tu racontes Fred ! Attends-moi. »
« Je dis, le jeune il m’a fait trop flippé quand j’étais le dernier à descendre il a absolument voulu voir ce que vous foutiez en bas et il s’est précipité près du bord. Il a dérapé avec ses bottes aussi il est con, j’ai vraiment cru qu’il allait se tuer. Il s’est rattrapé à un mètre du bord. Et franchement, j’aurais rien pu faire. »
"Tu déconnes..", j'en crois pas mes oreilles
"Et tu veux savoir quoi? On a vraiment eu du bol parce que, s'il était tombé, ils nous auraient tous tué.." complète Fred froidement.
Bon, on arrête de parler de tout ça, ça fou trop les chocottes ! Felipe nous rejoint, il était resté faire la discussion apparemment. Je sens qu’à lui on peut se confier à cœur ouvert, il n'a pas l'air d'être vraiment perturbé par les évènements. Aussi je sens le besoin de me confesser.
« Felipe, j’ai pris des photos de toute cette cuisine, tu crois que je les supprime? »
« C’est pas le moment » me dit-il en poursuivant son chemin « Garde ton appareil bien caché ».
J’aurais fait tout ce qu’il me disait à la lettre. Ok, je planque l’appareil et je la ferme. Je les supprimerai plus tard. Et Fred avec sa Gopro sur la tête …. faudra que je lui dise. Zut j'ai encore une question...
« Eh, Felipe » je l’interpelle alors qu’il s’apprête à se glisser sous un tas de blocs. Il plonge son regard dans le miens.
« Tu crois qu’ils vont nous tuer ? »
Son regard est aussi sincère que sérieux « S’ils voulaient le faire, ça serait déjà fait. Allez, ne trainons pas. »
D’accord, j’en parle plus. Il a raison. Ça parait démesuré mais c'est un sentiment qui nous a tous envahit quand on les as vu.
La suite du canyon est toujours aussi jolie mais la magie s’est un peu envolée. Nous passons deux petits souterrains, nous descendons une fois en rappel quand nous débouchons dans un cours d’eau qui nous semble bien familier : El Salto Del Angel.
Oh punaise c’est bon, on sort de là. J’ai l’impression que mes narines sont privées de leur fonction. Mais c’est l’air ou c’est l’eau qui pue autant ? Nous reprenons tous des couleurs. Fred détends l’atmosphère.
« Eh les gars et ceux-là vous les avez vu ? » fait-il en imitant une trompe d’éléphant avec son bras en prolongement de son nez.
« Allez, venez avec moi quoi, c’est parti pour la danse de l’éléphant ! »
Il a au moins le mérite de décrocher nos rires !
Nous nous hâtons vers le champ de l’autre côté du ruisseau où nous écroulons tous sauf Felipe, qui ne perds pas le nord:
« Je monte sur la colline appeler le chauffeur. »
Dans toutes ces péripéties on avait quand même deux heures d’avance, et j’ai pas franchement envie de trainer deux heures dans le coin.
Je m’assois, je souffle un peu. De là où je suis-je peux voir la piste, tandis que Fred et Alexandra regarde en sens opposé.
"Toi tu en avait déjà vu des ... réseaux?" s'adresse Fred à Alex
"Ah ah, eh bien, non, jamais!! Ouhh, quel cauchemar!" se relâche t-elle enfin
« Oh non mais c’est pas vrai… »
« Quoi ? » s’inquiètent-ils tous les deux, en suivant mon regard.
L’homme au t-shirt bleu nous attend.
Alexandra semble bien plus détendue que dans le canyon.
Felipe revient, il a réussi à contacter le chauffeur. Il devrait être là dans 30min. Tous deux se mettent en route vers la piste. Moi je serais bien restée dans ce champ mais s’ils partent … on les suit à grands pas.
L’homme est adossé à un arbre. Il a l’air serein. Il n’a plus sa machette. Lorsque j’arrive il m’offre des guama, des noyaux recouvert d'une chaire douce et velue, qui a un goût sucré quand on la suce.
« Venez donc vous rafraichir à la ferme » nous invite-t-il en montrant effectivement la ferme qui est juste là, au bord de la piste.
Je suis plutôt pas d’accord mais de nouveau, les Colombiens acceptent l’invitation sans trop se faire de bile.
Sous l’ombre du toit, l’homme aux vêtements déchirés est assis sur un banc. La ferme est en assez piètre état mais toute la famille est aussi accueillante que n’importe quelle famille Colombienne et rapidement, on oublie presque toute cette péripétie. L’homme aux vêtements déchirés est adorable. On ne reparle plus de la mésaventure mais de voyage. Je ne dis pas que quand il nous a servi LE verre de coca, et en plus moi la première, j’ai hésité à avalé la première gorgée. J’avais la pression de tous ces regards portés sur moi, tour à tour et lentement chacun a reçu son récipient plein de coca frais. Je me montrais plus affairée à chasser les jejens qui me prenaient pour un bon steak vivant, de façon à ignorer ce verre de coca. Et le plus drôle, c’est que tout mon groupe a fait pareil. Ah ah, personne ne fait le malin là!!! Jusqu’à ce que le patron se serve bien de la même bouteille et en boit une grande rasade. La situation était risible car, quand ce fût fait, fin soulagés et convaincus de la bonté de la famille, nous avons tous quatre descendus nos verres d’une traite comme des assoiffés !
Pfff, le chauffeur a dû faire trois fois le tour du département avant de venir, qu’est ce qu’il a été long ! C’est pas qu’on n’était pas bien là, dans ces hamacs et ces rocking-chairs à l’ombre à s’hydrater de coca, mais la situation ne nous mettait pas non plus hyper à l’aise.
« Ah, le voilà » signale Fred en premier. Nous reprenons chacun notre sac et montons à l’arrière du campero, en remerciant la famille pour son accueil.
Alexandra s’adosse à l’intérieur, soulagée de partir. Le chauffeur entame la marche arrière.
Alexandra ne peut cacher sa joie
« Ah enfin, on part eeeenfin, … et on est viv…AAh »
L’homme aux vêtements déchirés a passé la tête derrière elle :
« Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas manger un bout ? Et puis vous pouvez dormir ici aussi si vous voulez ! »
« Non, merci, la prochaine fois, merci encore » fait Felipe, en ayant du mal à dissimuler son rire de la frayeur qu’a eût Alexandra.
Allez, cette fois-ci c’est bon, on part et on ne s’arrête plus.
On arrive à Bogotá qu’à 23h le soir. On est exténués. Felipe, d’une générosité et d’une politesse inégale, nous dépose dans un superbe backpack dans le quartier colonial de Bogotá : la Candelaria. L’intérieur est superbe. Mais il ne nous laisse pas avant de nous donner quelques recommandations:
« Ne parlez pas aux inconnus. Des gens pauvres qui vous demanderont des sous il y en aura plein, soyez ferme, vous ne pourrez pas en donner à tout le monde. Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas dormir chez moi ? Et il y a des quartiers qui craignent. Vous m’appelez dans la semaine, d’accord ? Et bonne chance au Ministère ! »
Il est adorable. Ah oui, c’est vrai le Ministère. Demain 11h.
6 février
C’est le jour J. On y croit. On a fait du bon boulot jusqu’à présent. On a des constats, des arguments, on connaît le pays, les pros, le powerpoint est au top.
« Oh merde, non non non, c’est pas possible je peux pas y aller » panique Fred
« Ben quoi, qu’est-ce qu’il y a ? »
« J’ai pas de chaussures ! »
Alors ça ! Ses chaussures sont restées dans les affaires de canyon que nous avons confié à Felipe, pratiquement certains de ne pas pouvoir les utiliser à la capitale ! Alors il ne reste plus que le choix entre : les crocs verte et orange (quelle idée de les avoir dépareillées !) ou … les bottes de campagne !
« Ben franchement Fred mets les bottes, sous le pantalon ça se verra pas ! »
On court dans les rues pavées bordées de bâtisses coloniales. Il fait chaud, l’architecture de ce quartier est splendide. On a peur d’être en retard. Le Ministère est assez impressionnant. Les hommes sortent de toutes parts en costume impeccable et chaussures cirées. Des chauffeurs aux voitures lustrées les attendent à chaque coin de rue avec des gardes. L’intérieur du Ministère est tapit de moquette et franchement, on se sent comme des gros ploucs sortis de la jungle. Je n’ai ni jupe ni talons, je suis en leggings et en baskets. Et encore, encore heureux qu’on s’est douché ! Je nous félicite aussi de porter tous les deux le polo de notre Expédition, ça nous donne un peu de contenance et de cohérence.
« Je suis désolée, mais Monsieur Juan Camilo ne vous attends pas aujourd’hui. »
Quoi ? Mais non, c’est quoi cette blague.
« Attendez, vous devez faire erreur » m'esquintais-je en essayant de passer sur le bureau pour apercevoir son écran
Mais la secrétaire ne veut rien entendre.
« Madame, s’il vous plait, est-ce que je peux au moins vous montrer le RDV qu’il m’a envoyé lui-même ? »
La secrétaire rechigne à regarder mon Iphone puis son dédain se transforme presque en moquerie :
« Vous n’êtes pas du tout au bon endroit. Vous êtes ici au Ministère des Relations Extérieures »
Les pieds dans le plat : le chassé-croisé des courriels nous a induit en erreur. Le Juan Camilo des Relations Extérieures nous proposait de nous rencontrer le 9, tandis que le Juan Camilo du Ministère du Tourisme nous attend bien pour 11h aujourd’hui, lundi 6 février.
On sera en retard, même en prenant le taxi.
Par chance Juan Camilo du Ministère du Tourisme nous a tout de même reçu avec ses collègues. L’entretien s’est bien passé, mieux que prévu. J’avais les mains moites mais j’ai réussi à exprimer clairement la raison de cet entretien, avec l’aide de Fredo. Plus l’entretien avançait, plus nous étions à l’aise, plus les arguments en faveur du CREPS, et dans l’intérêt de la Colombie, suscitait l’intérêt de Juan Camilo qui prenait des notes et nous interrompais de temps à autre pour poser des questions.
Ouf, c’est passé et c’était je crois bien, … concluant.
Alors maintenant, à nous Bogota ! RDV à l’Ambassade de France pour notre projet en fin de semaine. En attendant: visite de musée et balades dans la Capitale. On va voir si les petits aventuriers que nous sommes savent aussi profiter des joies de la ville !
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