Afin d’économiser une précieuse journée de voyage, nous choisissons d’effectuer le trajet de 400km qui sépare Santa Marta, sur la côte de San Gil, dans les terres, en bus de nuit. Lorsque nous voyons le car double étage qui va nous transporter, nous nous rendons compte que Yo et Amandine nous portent chance ! Jamais nous n’avons voyagé à bord d’un bus si confortable ! Ce doit être la chance du débutant ! Les fauteuils s’allongent presque au maximum, c’est vrai qu’en haut du deuxième étage ça tangue un peu, mais rien ne nous empêche à tous de partir dans un long sommeil de 10h pendant lequel nous congelons sans nous en rendre compte. Les Colombiens sont fous pour ça, on a beau osciller entre des températures extérieure entre 20 et 30°, à l’intérieur du bus c’est toujours l’Alaska avec des vents à plein régime ! Ce qui fait que, même si on prévoit le coup en emportant le duvet (qui ne nous sert sommes toutes, que dans les bus !), ce sont des duvets 15°, pas -15° ! Donc j’ai attrapé la crève, c’est parti pour 4 jours de mouchoirs et de toux incontrôlable. Le comble sous les tropiques !
A Bucaramanga, capitale du Santander, nous sautons du bus plutôt frais d’esprit (ce n’est pas un jeu de mots) alors que d’habitude, après un voyage en bus de nuit, nous sommes parfois plus fatigués qu’avant de monter.
Place à notre célèbre « café-politique » du matin !
J’inaugure à mon habitude avec mon guide de tourisme en guise de bible.
Le voyage va prendre une autre tournure.
« Ahh, les copains, je suis pas fâchée d’avoir quitté le tourisme de masse ! La côte c’était génial, on n’y aurait jamais été sans vous » je dois le reconnaitre « mais je suis soulagée de retrouver des prix normaux » Fred et moi, après avoir investi dans l’Expédition, avons-nous-même provoqué la disette. En vivant sur les réserves, qui doivent tenir jusqu’à la reprise de la saison d’été en France, nous avons dû nous astreindre à un budget assez serré. Hors, sur la côte, nous avons gaspillé en une semaine le budget … de trois semaines !
« Vous allez voir » reprenais-je, « à partir d’aujourd’hui nous allons vivre différemment. »
Bon, c’est bien beau ces longs discours mais c’est quoi le programme du jour ?
Nous feuilletons tour à tour les deux guides, il y a (toujours) tellement de choses à faire que c’est dur de se décider. Et sur ce plan, je suis pire qu’un gamin devant un étalage de bonbons ! C’est simple : je veux tout prendre ! Mais il faut trancher :
« Escalade à la Mesa de los Santos … un grès surgi de nulle part, le paradis de la grimpe et des falaises vertigineuses » « Wouahhh.. »
« Parapente au-dessus du plus Grand Canyon Colombien, le Chicamocha … « C’est écrit qu’on peut aussi le faire en téléphérique » dit Fred en levant la tête
Amandine « Les villages incontournable de Guane et Barichara sont des joyaux coloniaux incontournables, un voyage dans le temps … Moi je veux absolument les voir ! »
« Oui enfin joyaux colonial ils le disent à chaque chapitre du bouquin… » rétorquais-je un peu maladroite « Mais tu as raison, il vous faut voir l’architecture coloniale avant de partir ! » me rattrapais-je. Je reprenais ma lecture puis citais à voix haute :
« Non, non, non, écoutez ! : « Incroyable trek de 5 jours pour faire tous le tour du Chicamocha par des villages typiques » … Ah le mec propose aussi de faire la descente sur 3 jours … en raft. Oh punaise, ça doit être trop l’aventure ça !!! Vous vous imaginez camper sous le raft dans le plus Grand Canyon de Colombie, whouahh ! »
« Bon Anaïs tu t’enflamme là, on a que trois jours de « prévu » (j’ai horreur de ce planning si serré !) à San Gil, il faudra choisir ! » me coupait Amandine dans mon élan
Puis Yo commence à entonner une petite chansonnette digne d’un peuple révolutionnaire poussant à l’action :
« Les fourmis, les four-mis, les FOUR-MIS ! » entonna-t-il en regardant malicieusement Amandine, qui rigolait
« Non mais moi ça me dérange pas, hein ! » lui renvoyait-elle
« Mais de quoi vous parlez ?! » m’immisçais-je dans leur manège.
« Ben des fourmis ! »
« Vous avez trop lu Weiber ! » plaisantais-je, sans comprendre leur secret
« Quoi ?! Mais t’es pas au courant ? » me provoquaient-ils de concert
« Eh oh, je ne suis pas la bible, y’a plein de choses dont je ne suis pas au courant ! » les éclairais-je
Eux, visiblement, ils ont vraiment bien étudié leur périple, parce qu’ils savent qu’il y a un petit village qui honneur toujours la tradition de leurs ancêtres indigène en grignotant … des fourmis grillées. Ce sont les «hormigas culonas », les fourmis à gros culs, des fourmis … gigantesques !Elles doivent être assez rare car on les récolte qu’après les pluies et je ne vous ai pas encore planté le décor mais ici le climat est … on ne peut plus aride et sec !
« N’oubliez pas que John nous recommandait vivement de descendre le Suarez en raft … » nous rappelait Fred, « sensations garanties » ajouta-t-il en ajoutant les index en l’air en signe de fête.
« C’est vrai que Théo le kayakiste français nous avait aussi dit que c’était un must. « Une vraie rivière classe V » avait-il argumenté alors au téléphone, en me filant des frissons. J’ai jamais fait de classe V, je sais même pas ce que ça peut donner ça doit être EN-NORME !
« Il y a aussi les cascades de Juan Curi, la cascade la plus connue de Colombie pour la descente en rappel, on ne peut pas passer à San Gil sans voir comment ils bossent. » rappelais-je à mon tour en me souvenant de toutes les choses que nous pensions faire en visitant San Gil, la capitale du sport d’aventure. Je reprenais : « Je voudrais aussi vous faire descendre la Nariz del Diablo en canyon et il y a La Cabeza del Indio à faire en spéléo, je crois qu’il y a même des sauts souterrains ! » défiais-je Amandine, sachant qu’elle se fait violence pour nous suivre !
Silence et réflexion s’impose. Si on s’organise bien, peut-être que ça peut rentrer en trois jours ? Il suffit juste de faire du raft en parapente et de mettre la frontale dans les villages typiques !
…
Il faut rester combien de jours pour faire tout ça ?
…
Au moins on ne va pas s’ennuyer.
…
« Bon ça suffit » décida Amandine. « Si vous ne savez pas vous décider, on n’a qu’à faire ce que dit le bouquin. » ordonnait-elle en ouvrant le guide « Les incontournables » lisait-elle à voix haute. « Ben voilà : Chicamocha, un village colonial et un raft. ».
Aaaah, je sens qu’un couteau me transperce le cœur : pas de canyon, pas de spéléo, et j’ai tellement envie de partager ces activités avec eux ….
Mais elle m’a bluffé ! Elle a totalement raison, c’était exactement ce qu’il fallait faire, sinon on passait la journée à se torturer !
Nous continuons nos sauts de puce vers San Gil, dans un bus plus petit. Une compagnie nous prend $20.000 pour aller à Chicamocha, à équidistance entre Bucaramanga, où nous sommes, et San Gil, notre destination. Une autre nous prend pour $15.000. Le choix est vite fait et nous montons à bord du meilleur offrant, dans ces petits bus 20 places ultra moderne qui font des ravages en Colombie.
Après 10 minutes de route le bus s’arrête et nous nous arrêtons 20 minutes. On change de chauffeur. 20 minutes de route plus tard, nous nous arrêtons de nouveau 20 minutes, mais nous en ignorons la raison. Puis nous roulons une demi-heure et là c’est la panne qui nous arrête : plus d’embrayage. C’est vrai que ça craquait depuis un moment.
Eh merde, nous voilà sur le bord de la route. Le bus de la compagnie concurrente passe (en nous tirant la langue ! < je plaisante). La dépanneuse ne peut pas venir avant ce soir, donc on nous réparti dans des bus par petits lots de passagers. Nous patientons plus d’une heure quand enfin nous trouvons 4 places de libre à bord d’un petit bus qui nous dépose, 20 minutes plus tard, au site de Chicamocha.
L’endroit est époustouflant. Il est tellement grand qu’il est vrai qu’à moins de marcher pendant des jours, on ne peut profiter du site qu’en se posant quelques instants au mirador. Sur la paroi d’en face nous voyons les falaises de grès de Mesa de Los Santos. Les parapentistes s’éclatent à survoler ce paysage spectaculaire par sa taille. La roche est ocre, il n’y a pas d’ombre et le soleil nous brûle. Au cœur du canyon coule la rivière du même nom. Elle miroite au soleil et de tout là-haut nous distinguons quelques petits rapides amusants. Ça doit être grandiose d’être en bas, sur cette rivière. Le canyon de Chicamocha est le plus profond canyon des Amériques (2000m), et un des plus grands au monde. Sa rivière du même nom, après encore un sacré long parcours fini son voyage de là où nous venons : dans les Caraïbes.
Une heure de temps nous suffit pour nous remplir de la beauté du paysage et reprendre un autre bus en bord de route qui nous mène lui, sans escale, ni contre temps jusqu’à San Gil. Dire que nous sommes partis la veille à 22h et que nous arrivons à San Gil à 15h ! Nous dégotons une charmante auberge au cœur du village et sommes ravis de retrouver, le soir, un bon lit pour dormir. C’est vrai qu’après les nuits en hamacs et celle en bus, nos corps sont bien contents de pouvoir s’allonger de toute leur longueur !
21 février
Ce matin, au café-politique, l’ordre du jour est de savoir si on fait la descente du Fonce (Classe III) ou du Suarez (Classe V) en raft. Nos amis nous ont recommandé une adresse : Colombian Rafting. A San Gil cette activité s’est tellement développée que, malgré les compétences évidentes que requiert un guide pour ce genre d’activité, certaines boîtes y vont un peu à la cool, augmentant nettement le risque d’accidents. Le classe V c’est bien plus excitant mais Amandine découvre l’activité et le prix est très élevé.
Nous restons un long moment à papoter avec la secrétaire Gladys qui nous fait rêver d’Explos dans le secteur : des cascades à gogos, des vasques d’eau cristalline, des grottes à explorer. Pourtant les boîtes de sports d’aventures exploitent peu ce grand potentiel. Avec ses photos à l’appui, je suis étonnée d’apprendre que personne n’offre du canyoning. Les boites se limitent au Torrentismo (descente en rappel d’une cascade) sans aller plus loin. Avec ces merveilles dans les yeux, nous pensons nous rabattre sur le Rio Fonce, au prix beaucoup plus abordable, quand me vient l’idée du troc : et si on proposait à César, le propriétaire de Colombian Rafting, d’aller explorer un canyon pour lui en échange d’un bon rabais sur la descente du Suarez ?
A ma grande surprise, César accepte mon offre et nous nous engageons à revenir mi-mars explorer un canyon avec du potentiel pour les clients. Son frère Nestor sera notre guide et nous partons en 4x4 pour une heure de piste dans ces magnifiques paysages arides vers le Rio Suarez, avec la remorque chargée de deux rafts et d’un kayak.
A l’inverse des passages techniques français, la difficulté du raft en Colombie c’est le gros volume d’eau. Les rivières sont immenses et tout va très vite. Nestor nous a bien étonné d’ailleurs à barrer le raft avec deux rames type aviron, et non avec une pagaie simple comme d’habitude. Avec une embarcation pareille, (c’est la première fois que je vois ça) c’est sûr qu’on tourne à temps !
Nestor annonce la couleur dès le début : le Suarez c’est une grosse rivière. Pour nous préparer et nous mettre dans l’ambiance, il nous fait un cours de sauvetage en raft pour affronter les pires situations : perte du coéquipier, perte de plusieurs coéquipier, retournement du raft et enfin … perte du raft ! Ses ordres sont clairs et, devant le tableau qu’il nous peint du Rio Suarez, nous nous transformons rapidement en de gentil petits soldats sur cette rivière marron aux rapides déchaînés.
Notre petite équipe complétée de deux rameurs supplémentaires s’extasie des sensations qu’offre la rivière, et s’effraie au moment de passer les 200m en classe V. L’eau est si mousseuse et blanche qu’on ne distingue plus les rochers qui puissent nous bloquer. Rapide après rapide, Nestor, en tant que bon chef d’équipe, nous annonce la couleur : rapide classe 3+, nous passerons à gauche puis milieu. Si vous tombez, surtout ne nagez en aucun cas vers la droite. Comme tous les guides de raft, il s’amuse à nous faire surfer les rappels d’eau, il manque de nous faire chavirer mais quand nous arrivons au fameux passage V, il change complètement d’attitude : personne ne doit tomber quoi-qu-il-arrive. Des mots comme « rappel d’eau » « pas de solution » « noyade », « risque mortel » nous poussent presque à abandonner le navire mais il n’en est pas question pour Nestor.
« Vous avez peur ? Alors on y va ! »
Et nous pagayons de toutes nos forces sur 200m, Fred et Yo, à l’avant, se font submerger par un rouleau tandis que nous redoublons d’efforts à l’arrière pour nous sortir de là. Bien sûr, tout passe très vite.
La descente de la rivière est très agréable, les guides mettent du cœur à ce que nous passions un bon moment. Ils nous laissent descendre les rapides les plus petits à la nage, il fait beau. En arrivant à la fin du parcours le chargé de pique-nique nous attend avec un étalage de fruits frais, poulet et patates, de quoi se requinquer après ces efforts. Et dans le lot, non seulement Amandine s’en est très bien sortie, mais en plus elle s’est bien amusée !
22 février
« fourmis, four-mis, FOUR-MIS » chantonne Yoyo en se levant ce matin.
Nous allons aujourd’hui visiter Barichara, un joli village colonial et Guane, jadis capitale du groupe indigène Guane qui vivaient alors sur ces terres.
L’architecture coloniale est effectivement très belle. Le blanc des maisons à deux étages contraste avec la nature ocre. Les rues sont pavées, chaque maison s’ouvre sur la rue par une porte et une fenêtre à balcon en bois sculpté. Les habitants du village mettent du cœur à conserver leur patrimoine et nombre d’entre eux se sont tournés vers le tourisme : artisanat, restauration, hébergement. Le village est très calme, nous flânons dans les ruelles à la recherche des détails et des originalités d’un village colonial, en ne pouvant s’empêcher de penser : comment était la vie à cette époque ?
Puis nous parcourons à pied le chemin de pierre séparant Barichara de Guane, en nous imaginant les indigènes qui vivaient ici à cette époque et qui ont construit, pierre après pierre, l’accès à leur capitale. Il fait très chaud, c’est la chaleur la plus sèche que Fred et moi ayons connu en Colombie. Au loin nous apercevons les reflets argentés du Rio Suarez. La végétation s’adapte à l’aridité par des touffes et des épines sèches, les arbres sont toujours ornés des « cheveux d’anges » comme disent poétiquement les français, ou des « barbes de vieillards » comme disent les latinos de manière plus réaliste. Tout est calme, la légère brise est chaude.
Au bout de notre marche nous arrivons à Guane, un village minuscule qui a ainsi été baptisé par respect pour ce peuple cueilleur de coton et mangeur de fourmis qui vivait ici avant de se faire massacrer par nos ancêtres les colons.
Guane est encore plus calme que Barichara. Nous sommes déçus de nous apercevoir que le petit musée ethnographique sur le groupe indigène Guane est fermé et nous consolons et arpentant les quelques ruelles pavés et poussiéreuse du tout petit village. L’école est au cœur du village, ainsi que la mairie, le musée et l’épicerie sont tournées vers la place du village. Et là, bien entendu, Amandine n’y coupe pas : c’est l’heure du goûter !
Je me reconnais des allures maniérées mais … ça sert à quoi de goûter une fourmi tant que la fin du monde n’est pas devant moi ? Ah ah, je suis mauvaise mais je leur distribue quand même leur ration : une fourmi chacun ! Elles sont vraiment grosses, elles doivent faire 1 cm de long une fois grillée et 0,5 de haut. Les Guanes offraient les fourmis à gros cul (Atta Laevigata) – et seulement les reines – toastés aux jeunes mariés, car ils pensaient qu’elles avaient un pouvoir aphrodisiaque.
Ce soir nous faisons un saut de puce supplémentaire et prenons déjà le bus pour assouvir l’obsession de Fred. Nous consacrerons les prochains jours à découvrir le canyon qui Fred présentera à la Bourse Expé 2018 et allons rencontrer le Suisse Jesus, l’icône de la spéléo en Colombie et le détenteur de la précieuse information. Je suis très intriguée à l’idée de cette rencontre. Il habite au fin fond de nulle part, il dit qu’il a un dortoir pour nous accueillir, il n’est pas là tout le temps. Il est très chaleureux et pour le rejoindre ce n’est pas mince affaire !
Plus nous avançons dans le périple, plus je suis contente de faire découvrir à mes amis le Colombie comme elle est : belle, sauvage, lointaine.
Le bus nous dépose à Barbosa 4h plus tard, une ville sans prétention si ce n’est que c’est la capitale du bocadillo ! En castillan « bocadillo » veut dire sandwich. C’est vrai que cette petite douceur de 3 cm par 3 cm à des allures de sandwich avec son fromage coincé entre deux tranches de pâte de fruit à la goyave. Mis à part cette sucrerie, il n’y a pas grand-chose à manger à Barbosa, il est déjà tard et nous partons nous coucher à jeun dans « l’hôtel du terminal ». Pas très glam comme soirée, et encore moins reposante pour ceux comme Amandine et Fred qui sont sensibles aux bruits de la rue très transitée en contrebas.
23 février
A 10h45 nous montons à bord du bus 4x4 avec ses rares passagers et nous approchons à petits pas du Peñon, le royaume de calcaire de Jésus. Nous prévoyons d’arriver sur les coups de 13h mais le chauffeur du bus va à son rythme. Les paysages défilent, bercés par les musiques préférés du chauffeur, nous grimpons petit à petit les montagnes.
Une pause-café s’impose à Vélez, le premier village venu en quittant Barbosa. Nous faisons escale une demi-heure mais ne gagnons pas beaucoup plus de passagers. Aussi notre petit groupe en profite pour se dispatcher et se coller aux fenêtres, de façon à mieux admirer le paysage. Après Veléz la route laisse place à une route de terre pour toute la suite du voyage. La route est tout de même transitée, assez pour que, lorsque la citerne de lait remorquée se renverse, il y ait suffisamment de bras pour la relever ! La citerne s’est renversée au beau milieu de la piste, empêchant tous véhicule de circuler. Plein de compassion, les gens sortaient à la hâte pour aider le conducteur de la remorque, effrayé à l’idée de perdre sa cargaison. L’évènement rapproche tout le monde et nous discutons sur la suite du trajet avec les autres passagers. Ils sont curieux de nous voir. Quand l’un d’eux apprends que nous venons explorer les grottes de la région, il nous invite spontanément à passer chez lui, lui aussi a des grottes.
« Elles sont magnifiques, elles vous plairaient ! Le seul souci c’est qu’ils ont retrouvé plein d’ossement dedans… »
« D’ossements de quoi ? » l’encourageais-je à poursuivre, intriguée.
« … d’humains. »
Il sauta du bus au bord d’un champ, à quelques mètres de son portail. Il ne pouvait pas viser mieux. En partant je le saluais de la mit et il souleva son chapeau en réponse.
Suite à cette péripétie qui nous pris de nouveau 30 minutes, le conducteur et son assistant prirent faim et nous faisons escale peu de temps plus tard, à une cantine de Palo Blanco, un lieu-dit représentant la croisée des chemins. Nous et les rares passagers descendons donc pour déjeuner avec tout le monde à l’unique cantine du croisement. Il fait déjà plus frais dehors, nous approchons du Paramo ça se sent, la brume tombe. Nous déjeunons d’une bonne soupe et d’une bandeja composée de boudin noir, galette de plantain, chorizo, riz et petite salade : ça fait du bien de retrouver de la vraie nourriture locale !
Plus nous nous approchons du Peñon, puis nous nous émerveillons du joli paysage que peut donner le calcaire couplé de la fraîcheur du climat.
« Ici, un gouffre, non encore un là ! » s’extasie Fred, le nez collé à sa fenêtre
« Anaïs t’as vu, je crois que c’était un cimetière » s’étonnait-il un peu plus tard, devant un champ de croix en bois. C’est vrai qu’on en voit pas mal depuis qu’on est sur le plateau.
En arrivant enfin au village de El Peñon, nous sommes surpris de voir autant de maisons, autant de vie, après plus de 2h de piste. Aujourd’hui jeudi c’est le jour du marché, la place du village est sans dessus-dessous. En sortant du bus les regards virent sur nous et nos sacs de randonneurs disproportionnés.
Alors maintenant, il faut trouver où habite Jesus. Il parait qu’il est connu comme le loup blanc.
Effectivement, dès la première tentative les gens affluent pour nous aider et nous répondre :
« Don Jesus, il habite près de la vierge » nous réponds notre premier interlocuteur
« Ah oui, vous cherchez Don Jesus, il habite à la grotte ! » surenchéri le voisin
« Il vous faut prendre là » nous indiquait un autre homme en pointant du doigt le coin de rue, « et ensuite c’est tout droit ! »
« Mais jusqu’où ? A la grotte ou à la vierge ? » les incitais-je à préciser
« A la grotte de la vierge » répondaient tout trois en concert.
En sortant du magasin quelques autres villageois s’étaient regroupés. Alors qu’ils nous regardaient je les saluais de mon plus beau sourire, quand la femme vint me voir timide.
« Vous pouvez me faire une photo ? » me demandait-elle gênée
« Comment ? »
« Avec ça » fit-elle en pointant mon appareil.
Juste avant d’entrer dans le magasin, j’avais pris la place du marché en photo, elle a certainement dû me voir. Mais je ne comprenais pas. Pourquoi veut-elle une photo, comment vais-je faire pour la lui donner ?
Comme si elle voyait que je ne comprenais pas, elle me montrait ses oreilles
« C’est qu’il vient de m’offrir des boucles d’oreilles » se justifiait-elle fièrement, en me faisant remarquer les boucles brillantes qui pendaient dans ses cheveux.
« Bien sûr » fis-je en la visant avec mon appareil. « Non mais, arrêtez de bouger. » Je ne pouvais pas la prendre, elle gigotait, souriante mais gênée « Voyons, regardez-moi…Non, pas là, Madame tenez-vous tranquille ! Bon, c’est pas grave, regardez par-là, voilà, super ! »
Clic !
Je lui montrais le cliché et le simple fait de se voir lui fit plaisir.
Nous nous mîmes alors à marcher selon les indications quand notre bus s’arrêta à notre hauteur
« Mais vous alliez bien au Peñon ! » s’étonnait le chauffeur.
« Oui, pour voir Jesus ! »
« Jesus » s’exclamait un passager, « c’est le Monsieur de la vierge » précisait-il au chauffeur.
L’assistant nous fit signe de monter et notre bus vide est alors plein à craquer. Entre temps une quantité impressionnante de cargaisons en tout genre occupe la moitié arrière du bus, tandis que les villageois remplissent les places de la première moitié. Ils nous observent tous attentivement, chacun de nos gestes, chacune de nos paroles, pendant que nous nous accrochons dans l’allée centrale, sans pouvoir nous défaire de notre charge.
« Alors vous allez chez Jesus ! » enquêtais-je l’un des Monsieur à chapeau (ils en portaient presque tous, aussi bien que des ponchos, des vieux jeans et une paire de bottes)
« Oui Monsieur » lui répondis-je poliment
« Ah Don Jesus, il est adorable ce monsieur » participait une femme
« Oui, il est très serviable » acquiesait une autre
« Vous êtes scientifiques vous aussi ? » me demandait un autre monsieur
Les interpellations venaient de toutes parts, je répondais en souriant, attendri par l’enthousiasme et la curiosité de chacun, par l’attention qu’on nous porte toujours ici, et qui mettrait à l’aise n’importe qui en Colombie.
« Hum, oui, on va explorer des grottes avec lui. » répondais-je à la satisfaction de tous.
Mais c’est qui ce Jesus, pour être si respecté ? Il doit en faire du bon boulot pour qu’il y ait des scientifiques qui viennent !
« Moi je lui ai dit que je lui montrerai une grotte chez moi, mais il est toujours pas venu, vous lui direz, n’est-ce pas ? » s’inquiétait une nouvelle personne
« Bien entendu. » confirmais-je
« C’est là, c’est là, chauffeur ! » commençais l’un, alors qu’une grande falaise de calcaire s’érigeait sur notre côté gauche.
Et comme le chauffeur ne freina pas de suite, tous se mirent à crier
« C’est là chauffeur, c’est chez Don Jesus ! »
Et nous sautons du bus. Quand il reparti, l’indication au village prenait alors tout son sens : en face de nous se trouvait un grand effondrement dans la falaise, une grotte donc, au milieu de laquelle siégeait une vierge.
Puis dans notre dos :
« Eh salut ! » fis-je à la voix francophone suisse
« Dis donc Jesus, t’es connu comme le loup blanc par ici ! » le saluais-je en lui faisant la bise, comme si nous nous connaissions. Cela fait maintenant un mois que nous échangeons par WhatsApp et il nous tardait d’enfin le rencontrer.
Jesus est d’un naturel très chaleureux. Il nous mène, avec ses deux chiens, à La Casa de la Virgen, une petite maison qu’il a transformé en Camps de spéléo et qui sert de point de base à ses nombreuses explorations. Le refuge est très accueillant. Son petit patio extérieur desservant les chambres, la cuisine et la salle de bain sert de pièce commune. Nous nous installons dans le dortoir.
« Ordre et discipline » indiqua Jesus en nous ouvrant la porte du dortoir.
« Bien sûr, bien entendu » répondais-je poliment, en me promettant de faire un effort et de ne pas m’étaler partout !
Il est déjà 15h et les rayons du soleil qui traversent la brume nous invite à aller explorer notre nouveau terrain de jeu : le massif karstique dans toute sa splendeur. Le terrain est vert et truffé de collines, dolines, gouffres, grottes et falaises de calcaire érodées. C’est dingue… On dirait le pays basque ! Jesus a bien choisi sa région. Nous n’avons que quelques pas à faire pour comprendre que nous étions dans l’un des rare (l’unique ?) karst de Colombie.
En revenant Jesus a organisé un petit atelier de spéléo et nous profitons de l’occasion pour remettre Yoyo au goût du jour et pour initier Amandine. Si on veut faire une ou deux grottes ici, c’est une bonne idée de s’entrainer avant. Là encore, la maison de Jesus s’y prête parfaitement puisque, après s’être entrainés sur le balcon du patio, Yo et Amandine ont même la chance de pouvoir faire une descente école sur une petite falaise à 5 minutes de marche.
« La couche est de 300m » répondait Jesus à Fred, qui demandait quelle pouvait être la profondeur maximum d’une explo dans le coin.
Nous passons une vraie soirée pendus aux lèvres de Jesus, qui ne se lassa pas de nous conter, récits après récits, les fabuleuses aventures d’un spéléo qui pratique depuis son adolescence. Les explos, les classiques sous la neige et les gouffres glacés en Suisse, la spéléo plongée en France, les plus dures classiques du Cantabrie (Pays Basque espagnol), ses trouvailles en Colombie. Le discours est tantôt en espagnol, à l’adresse de 3 volontaires colombiens qui sont venus l’aider à construire son chalet suisse, contre des cours de spéléo, tantôt en français. Jesus, moitié espagnol moitié suisse, jongle entre les deux langues et je suis contente de pouvoir agréablement suivre les récits, tandis que, dans les deux groupes, chacun n’obtient qu’un détail sur deux. Mais son charisme et ses mimiques sont telles que, même en chinois, on comprendrait tous ! Nous le questionnons absolument sur tout et, franchement, d’être un loup blanc qui se régale dans sa vie d’aventurier, moi, ça m’émerveille !
Nous terminons tranquillement la soirée emmitouflés dans toutes nos épaisseurs, une tasse d’aguapanela brulante dans la main. La brume inonde presque le patio, il fait très frais et nous feuilletons attentivement une édition spéciale du Spelunca Suisse : Colombie 2016 : 3 ans d’explos. Chacune des grottes est répertoriée et est accompagnée du récit de la « Première » comme on dit (première exploration). C’est beau. La première de couverture, glacée, est presque totalement noire, si ce n’est le petit spéléo éclairé au milieu de cette immense cavité.
« Il y a toutes nos explos depuis trois ans, mais bien sûr, vous ne trouverez aucun accès » précisait Jésus. Il n’y a pas plus protectionniste qu’un spéléo. Tout est là pour être « touché avec les yeux ». Aussitôt les merveilles trouvées, aussitôt répertoriées, aussitôt cachées. Entre les touristes et les narcotraficants, Jesus a plusieurs batailles à mener
« El Peñon ce n’est pas une attraction touristique, c’est une zone qui doit être protégée. C’est pour ça que je monte mon camp de spéléo » nous informait Jesus
Dans un an, à côté de La Casa de La Virgen, il y aura un vrai camp de spéléo suisse, avec une école de spéléo, un centre de recherche, des beaux dortoirs, une cheminée, une cave à vin et j’espère un service à raclette ! Avec ce froid … Si un jour vous allez dormir chez Jesus, vous contribuerez, par vos nuitées ou contre du volontariat, à la création du nouveau camp de spéléo. Je trouve qu’il se débrouille vraiment pas mal pour arriver à ses fins. Un dynamise pareil dans le secteur est inestimable.
24 février
« Si vous voulez avoir une chance de voir votre cascade, il faut pas traîner parce que le temps se couvre vite par ici. »
« Mmmh » répondis-je en m’étirant au soleil. Qu’est-ce qu’on a bien dormi ! Le soleil est radieux, pareil réveil dans ce paysage féérique n’est à échanger contre rien au monde. J’en avais même oublié pourquoi on était venu ici. Encore heureux que Jesus est là pour nous le rappeler !
Il est 7h. Un café,un bol de céréales au yaourt et une omelette et nous voilà plein d’énergie pour partir en rando, avec les deux toutous !
Ce matin l’objectif est d’aller prendre quelques clichés pour la Bourse Expé 2018 de Fred. Selon Jesus, il y a un canyon de 1km de longueur pour 1km de dénivelé qui doit valoir le coup. Et croyez-moi, des dimensions pareilles, ça doit être une sacré paire de manche !
Nous voilà donc, chemin faisant vers La Peña de Panama, le secteur où se jettent d’immesurables cascades de toutes parts. Jesus a pris soin de nous dessiner un petit plan sur mon carnet et nous suivons la piste, en croisant de temps à autres des paysans chargeant leurs mules.
Tiens donc, ces petites croix de bois, remarquais-je mentalement. Si c’est des cimetières décidément ils en perdent du beau terrain !
Quand un peu plus loin nous voyons plusieurs familles affairées dans des arbustes, soutenus par ces petites croix de bois.
« Ce sont des mures, Fred ! » lui criais-je 20 mètres derrière. Tous ces petits champs de croix de bois, sont des champs de mures. Elles sont sacrément populaires par ici !
« Madame ! » interpellais-je l’une d’entre elle, au labeur. Elle devait bien s’approcher des 60 ans remarquais-je, mais bien souvent, en campagne, les paysans sont bien plus vieux qu’ils n’y paraissent.
« Bonjour ma belle, comment vas-tu ? » s’enquis la dame, au gentil sourire édenté
« Bien merci. Madame, je voudrais vous demander la permission pour passer à la peña de Panama ? »
« Bien sûr, bien entendu, tout ce que tu voudras me jolie » accepta-t-elle sans hésiter, puis en m’indiquant le chemin « vous poussez le portail là-bas et vous montez tous là-haut pour la voir. »
Je la remerciais et nous grimpions la montagne indiquée sur les sentes des fincas des alentours. Nous croisons une seul homme avec sa mule, un vieil homme, borgne, qui nous bénit en passant
« Ouh, moi je vais jusqu’à la peña même » s’exclamait-il, alors que je lui demandais pour combien de temps il en avait
« Avec ma brave mule, j’en ai pour 3h, et je suis parti il y a déjà une heure. »
La mule en question chargeait un unique sac au contenu inconnu. Il aurait pu monter dessus, mais il préférait marcher sagement à côté pour la guider. Ces rencontres éphémères font toujours de ma journée une journée exceptionnelle. Tous ces gens qui vivent si simplement, et nous à côté en complet surmenage…
Le point de vue est indescriptible. Après 2h de marche nous atteignons un sommet qui donne un point de vue insaisissable sur la peña de Panama, mais nous arrivons un peu tard et une belle mer de nuages ne nous laissent voir que deux cascades de 600m de dénivelé, deux beaux projets pour l’Expé. Fred fait son shooting, mais le mystère reste entier pour le gros canyon : il n’y aura aucune image. Est-il accessible ? Comment est le débit d’eau ? Jesus semble dire qu’il faut des jours de machette pour tailler les accès.
De retour au village les habitants nous accueillent de nouveau très gentiment. A l’épicerie le jeune homme nous accueille avec des Bienvenus, Que Dieu vous bénisse, Revenez, vous serez toujours les bienvenus !
Et l’après-midi même nous mettons en application le petit atelier de spéléo de la veille dans … la « caverna-escuela », la grotte-école, située à 5 minutes de chez Jesus. Décidément, il a le don de savoir où mettre sa maison. La grotte, qui est un gouffre, est idéalement équipée pour faire pratiquer nos jeunes initiés. Petites longueurs de rappels, rappels inclinés puis verticaux, main-courante, passage de fractionnement, il y a de tout.
Et nous devrons nous contenter du Gouffre de la Virgen, parce que demain il faut (déjà) repartir, et bien pus tôt que prévu. Nous comptions nous joindre à la sortie que proposait Jesus à ses volontaires : une belle sortie horizontale, aussi facile que jolie, percée au milieu par une cheminée de 145m, baptisée « la cœur du Peñon ». Ceci c’était sans prévoir l’arrivée à J-1 du père de Yoann qui débarque à Bogota demain soir, et nous comptons bien lui faire un accueil mérité ! C’est comme pour l’arrivée de Yoyo et Amandine, j’ai un jour de retard dans la tête. Quoi qu’il arrive il faut se décider.
Nous apprenons le soir même qu’il n’y a qu’un bus qui nous permettra d’arriver à temps à Bogota.
Selon mes calculs machiavéliques pour faire rentrer un maximum d’activités en sautant à pieds joins dans un minuscule programme, nous pouvions nous joindre à la sortie à laquelle nous invite Jesus puis sauter dans le bus de 14h (il ne peut pas y avoir autant de péripéties qu’à l’aller ?) pour arriver à Barbosa à 16h et changer de bus dans la foulée pour un direct à Bogota, disons, allez, maximum 3h, disons 4h pour être fous, ça nous fait arriver à 20h. Gérard, son père, arrive à 21h, on est large !
Mon plan semble satisfaire tout le monde, je suis aux anges. Amandine, qui ne s’est pas sentie assez en confiance pour faire de la spéléo verticale cet apres’m, va pouvoir savourer les joies de la spéléo dans un réseau horizontal en Colombie.
Mais Yo a un doute.
« Jesus, tu crois qu’on met combien de temps pour aller à Bogota ? » demandais Yo, au fond du gouffre, alors que nous remontions sur les cordes.
« Ouh, ben tu peux bien compter 7 ou 8h » lui répondait-il à vue d’œil
« Quoi ?? » fis-je à Yo le soir, n’en croyant pas mes oreilles.
Je sais bien ce qui va suivre : le seul autre bus qu’il y a part à 6h. Fichu pour la grotte…
25 février
« Merci pour tout, c’était fabuleux, on se revoit bientôt » m’appliquais-je sur une petite feuille que j'arrachais à mon carnet et que je laissais sur la table à l’attention de Jesus. L’ambiance, l’endroit, tous ces projets, toutes ces histoires et toutes ces grottes, nous ont donné un goût de trop peu. Nous promettons à Jesus de revenir courant mars lui passer visite et faire quelques explos avec lui, « si dios quiere » comme ils disent ici, « Si Dieu le veut ».
« Moi ça fait bien longtemps que j’y crois plus au bon dieu, pas plus qu’aux flics d’ici » réagissait Jesus la veille à table.
Et sur ce nous partons au bout du chemin de chez Jesus, prenons soin de fermer la barrière, faisons une dernière caresse aux deux gentils chiens qui nous ont accompagné partout, et attendons.
Pas de bus.
6h30, pas de bus.
Il faut se rendre à l’évidence : le bus ne passera pas, en tout cas pas aujourd’hui.
Nous nous mettons en chemin vers El Peñon, l’aube se lève sur ce paysage féérique de dents de calcaires, de falaises et de gouffres, de végétations si particulières à ces karsts, des oiseaux aux chants des plus originaux nous offrent un délicieux décor musical. Nous avons bonne fois : au Peñon on devrait bien trouver une voiture qui parte d’ici.
« Mais il va y avoir personne à cette heure-là » désespérait Yoyo
« Ouh la, tu te trompes, les Colombiens se lèvent avec le soleil. A 6h, ils sont tous debout ! »
Et c’est bien vrai ce que je raconte !
Mais curieusement quand nous arrivons au village, le village est mort. Pas un chat dans la rue. Les chiens sont encore roulés en boule contre les murs des maisons, personne sur la place du village, pas une boulangerie d’ouverte. Mince alors, on n’aura même pas le droit au café !
Nous filons attendre à la sortie du village. Aucune voiture ne passe pendant deux bonnes heures.
Nous voyons le village se réveiller tranquillement, et ce n’est pourtant pas coutume colombienne. Devant nous une petite fille fait un aller-retour entre sa maison et celle de la voisine. Une vieille dame, accoudée à son grillage, nous observe du coin de l’œil. Un papi, poussé par la curiosité, en t-shirt emmitouflé sous son poncho, vient nous voir de plus près. Même les chiens semblent se réveiller tranquillement. Une ambulance passe. Ce n’est pas eux qui vont nous emmener. Puis un camion de lait, puis un autre. Sur les coups de 9h une voiture avec un mégaphone roule au pas dans le village
« Venez nombreux, nous allons entretenir le cimetière aujourd’hui. Vous avez tous un ami, un parent, un proche là-bas qui a besoin d’un peu d’attention. Ceci est un travail communautaire. RDV à 14h. Venez nombreux. Bonjour Madame, comment all…. » Continuait le chauffeur dans le mégaphone en oubliant de l’éteindre, à l’adresse de la dame du grillage !
« Brr, on va chercher le café, c’est mort de toute façon. »
La seule cantine qui est ouverte nous propose de l’aguapanela, c’est pas de refus par cette fraiche matinée.
Quand enfin une voiture s’arrête.
« Eh mais vous étiez chez Don Jesus ? » me lance le chauffeur par la fenêtre ouverte
« Oui, comment vous le savez ? »
« Il y a beaucoup de scientifiques comme vous qui viennent chez Don Jesus, je le sais parce que dès fois il m’appelle pour que je l’emmène aux grottes. Allez, montez ! »
Quelle chance ! L’homme nous emmène jusqu’à un croisement qui transite bien plus que la sortie du Peñon. C’est qu’après le Peñon, au bout de la piste, 3 ou 4h après chez Jesus, il n’y a plus qu’un seul village, Oredo je crois, de 20 maisons.
« Et comment cela se fait qu’il n’y ait pas de bus Monsieur, vous savez ? » demandais-je en quête d’explication
« C’est que c’est le marché à Velez ! Le bus, le samedi, il part à 4h ! »
Ah tiens donc, tu vois, c’est encore pire que ce que je croyais ! Le village il est pas mort, les gens sont partis depuis bien longtemps ! A 4h ça devait être la cohue ! Mais je ne peux pas communiquer l’information avec Yoyo, ils sont tous les trois à l’arrière de la remorque. Parlant la langue, j’ai le privilège de faire la causette dans la cabine à l’intérieur. Ça m’en fait des privilèges !
J’apprends également au cours de ce trajet, et à mon grand étonnement, que la récolte des mures ici, non seulement elle a lieu toute l’année, mais en plus elle a lieu une fois par semaine ! De quoi en faire des confitures !
L’homme nous laisse à un croisement, face à une finca dont les propriétaires nous dévisagent avant de rentrer à l’intérieur.
Pas ¼ d’heure ne passe avant qu’une voiture, un petit 4x4, s’arrête à notre hauteur : c’est le monsieur du bus, le monsieur avec les grottes !
« Vous redescendez déjà ! » s’enquit-il
« Oui, on est attendu à Bogota. Mais vous n’avez pas la place pour nous emmener » devançais-je son invitation, en passant la tête par la fenêtre pour voir que les 4 places du véhicule sont occupées par le couple et leur deux enfants.
« Bien sûr que si ! Allez, donnez-moi vos sacs ! »
Alors que nous chargeons nos sacs sur la petite galerie, une voiture de police arrive.
Tiens, j’ai le sentiment que ça c’est pour nous …
Pas loupé, c’est pour nous.
Les deux jeunes policiers nous saluent tour à tour par une poignée de main puis enquêtent :
« vous êtes étrangers ? »
Je suis bien étonnée de leur question. Vu notre tête, on n’est pas grand-chose d’autre. Fred confirme et l’un des policiers continue :
« Qui est votre porte-parole ? »
Les trois me regardent.
« Nous sommes venus faire de la spéléo chez Don Jesus » m’expliquais-je.
« Ah, de la spéléo, c’est super ça, j’adorerais en faire. »
« Vous n’en avez jamais fait ? » profitais-je du changement de sujet.
La jeune recrue secoua la tête et son collègue pris la parole :
« Moi si, j’en ai déjà fait, mais à chaque fois c’était pour authentifier des ossements humains. Vous savez, de l’époque de la violence » disait-il à demi-mots.
« Bon, contents que vous ayez aimé notre région. Bonne journée » nous saluait le premier d’un tour de poignées de mains.
Intrigués par cette rencontre, Fred et Yo montent dans le coffre alors qu’Amandine et moi prenons place à côté des enfants, la petite sœur à présent assise sur les genoux de son grand frère.
« Dis donc, ils sont vraiment charmants ces policiers » entame la femme, « vous avez vu comme ils vous ont salué ! »
« Ils sont vraiment venus exprès pour nous ? » demandais-je, sans trop espérer de réponse
« Ils savent que vous êtes ici depuis votre arrivée, mais là, je pense que ce sont les gens de la ferme qui vous ont signalé. »
Ah, mais c’est pour ça qu’ils sont rentrés chez eux … Tout s’explique, je trouvais ça bizarre aussi.
Mais la phrase qui me reste dans la tête :
« Ca date de l’époque de la violence » …
Nous repassons par Palo Blanco, puis par l’endroit où est tombée la petite citerne de lait, ce qui fait tenir la conversation du mari à la femme pendant quelques bonnes 5 minutes, puis nous continuons le trajet avec la musique populaire en descendant la piste jusqu’à Velez.
A peine arrivés qu’un bus part à Bogota. Toujours pas de café, nous sommes déjà à bord et nous réjouissons de nous éviter une étape supplémentaire à Barosa. 160km seulement séparent Barosa de Bogota, d’où ma rapide estimation d’un trajet de 3h, allez 4h max avec l’entrée à Bogota. En réalité, bien que le bus ne fasse que peu d’arrêts, et après avoir franchi un col à 3000m, nous mettons exactement 6h30 pour arriver à la capitale ! Comme quoi Yo avait eu le nez fin, il fallait s’y attendre à passer la journée dans les transports ! Et moi qui calculais de partir à 14h…
Retour à la capitale le temps d’un week-end, durant lequel nous avons troqué Amandine, qui rentre en France, contre Gérard, qui est venu profiter de son fils une semaine.
Après ces deux semaines de road-trip c’est dur de se remettre dans le bain mais nous n’avons pas le temps de réaliser que déjà, lundi, nous avons eu une réunion importante avec le SENA, l’équivalent du CREPS en Colombie, avec encore plus de pouvoirs. Nous avons pu exposer le projet du CREPS d’installer une formation de guides de canyon professionnels, …et l’idée leurs a plu ! La réunion s’est déroulée à merveille et ce pas de plus en avant nous encourage à continuer de plus belle !
Maintenant que les vacances sont finies, les mousquetons nous démangent, nous avons tellement envie de reprendre les explos !
Nous allons pouvoir élaborer notre planning du mois de mars, en calant toutes les promesses de revenir et de projets faites à droite à gauche, pour finir correctement le périple. Nous avons une semaine pour mettre au point notre stratégie, semaine pendant laquelle Gérard et Yo nous emmène faire du kitesurf sur le lac d’altitude Calima, dans le Valle du Cauca. Bon, finalement, c’est peut-être pas encore tout à fait fini les vacances !
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