Notre vie d’explorateur n’est pas faite pour la vie de capitale ! Les Transmilleniums sont plus blindés que les métros parisiens. Le transport urbain le plus convoité, transporte des millions de Bogotanais dans des bus rouges en accordéons dont les voies sont réservées à leur circulation. Aux heures de pointes, les Bogotanais s’écrasent littéralement contre les vitres, se poussent pour faire rentrer le plus grands nombre de passagers possible, c’est insupportable. La Terre est si grande, pourquoi vouloir se mettre tous au même endroit. C’en était trop pour nous, alors on a décidé de marcher, mais nos centres d’intérêt étaient espacés parfois de plusieurs dizaines de kilomètres, on a perdu un temps fou. Le Ministère du Tourisme à la 50ème rue, l’Ambassade de France à la 93, on a même dû une fois pousser jusqu’à la 143ème, le Musée de l’or en plein centre-ville, notre auberge sur la 13ème avenue. L’une de ces avenues, la septième, a été désormais fermée définitivement à la circulation automobile pour laisser place à un agréable artère piétonnier et cyclable. Hors mis le fantastique Musée de l’Or, regroupant la plus grande quantité d’or précolombien du monde, et le Musée de l’Indépendance retraçant les grandes luttes Colombiennes, de la colonisation jusqu’à aujourd’hui, nous avons passé le plus clair de notre temps confinés dans notre charmante auberge Los Candelos. Une adresse calme offrant le choix de se reposer soit dans la grande cour intérieure, soit sur la terrasse sur le toit. Fauteuils, canapés, tables hautes ou basses sont dispersés pour s’installer à lire, à travailler ou à méditer. Je choisi un tabouret en bois et m’installe sur une vieille table au coin de la cheminée, élément si rare en Colombie. Les grandes portes fenêtres sont ouvertes sur la rue mais, plongée dans mes aventures, je n’entends plus aucun bruit. Une vieille lampe à la lumière jaune et à l’abat-jour vert complète le décor.
Jeudi soir Felipe vient nous sortir de notre refuge pour aller profiter des charmes nocturnes de la ville. Il est d’une galanterie incomparable. En Bogotanais qui se respecte, il vient nous chercher à notre auberge en taxi, ponctuel comme toujours et élégamment vêtu. Après un week-end passé ensemble en combinaison néoprène, on peine presque à le reconnaître ! Direction un restaurant typique Colombien pour découvrir les spécialités des quatre coins du pays : hors d’œuvre, plat de résistance, jus de fruit, bière artisanale et traditionnelle aguardiente (un alcool proche du pastis mais qu’ils boivent pur). On est en Colombie donc il n’y a pas de dessert, et pas question de s’endormir non plus: le prochain taxi nous dépose au quartier hot de la ville : La Zona Rosa. Quartier populaire pour faire la fête, nous avons pu renouer avec notre vie canyonesque, en multipliant les récits les plus originaux ou les plus drôles, et en organisant les plans du week-end prochain. La semaine dernière nous rentrions avec une idée qui germait dans notre tête, et qui ne nous a pas quitté l’esprit de la semaine. Ce week-end, nous terminerons l’ouverture de la Chorrera, la plus haute cascade de Colombie aujourd’hui répertoriée : une succession serrée de chutes dont le point de départ se situe à 590m du sol. Finalement il ne s’agira pas d’une ouverture, mais d’une fermeture !
La Chorrera c’est la double tour-Eiffel des canyonistes Colombiens (elle fait presque deux fois la hauteur), dans l’univers du canyon c’est un monument. Depuis leur début de canyoneurs, John et Felipe sont titillés par cette grande cascade. L’histoire remonte à plus de 5 ans maintenant. Au début ils se rendaient en tête de cascade et descendaient les premières cascades sur des amarrages naturels (arbre, rochers) et remontait ensuite sur les cordes ainsi laissées en fixe. Quelques clichés leurs permettraient de séduire des sponsors, mais malgré la beauté du projet, personne ne réponds à l’appel, et la cascade reste invaincue. Puis une paire d’années plus tard, ils craquent et financent l’ouverture de la première partie sur fonds propres. Avec ces nouvelles images, toujours aucun sponsor. Pourtant le projet est de taille. Il y a deux ans, un Equatorien et des Brésiliens s’unissent à Colombian Canyons pour finir cette grande tâche. Ils ouvrent une deuxième partie de la Chorrera, représentant plus d’un tiers de la descente. Ils ont un bon rythme, ils ont beaucoup de corde et de matériel, ces avantages leurs laissent l’idée scintiller que, peut-être, ils termineront l’ouverture de la Chorrera en un jour. Mais les chutes ne sont pas si facilement domptables. Il fait froid, malgré leur efficacité les participants se refroidissent jusqu’à ce que les Brésiliens, moins équipés, tombent en hypothermie. Que faire ? Il est 15h. Les Brésiliens sont faibles, il faut trouver une solution d’urgence. L’équipe se trouvent alors sur une bonne margelle. Ils viennent de descendre un enchaînement de deux belles longueurs : 60 et 70m. La brume arrive, les privant de la vue. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’après cette margelle, il y a le vide, et impossible de savoir combien. S’il y a une échappatoire, c’est maintenant, dans la forêt qu’il se trouve à leur gauche. C’est pentu, mais ça devrait le faire. C’est alors que les plus forts commencent à tailler un chemin à la machette, accrochés à ce flanc de montagne, tandis qu’une équipe partait du village, composée de la seule personne de Ricardo, et faisait de même en remontant, en espérant par chance, tomber sur eux, là où ils avaient indiqué sortir. Le brouillard dense les empêchait de communiquer par repères visuels. Lorsque sur place nous nous rendons compte du terrain qui leurs a servi d’issue de secours, nous sommes atterrés. Comment ont-ils fait pour s’en sortir dans cette pente, à travers cette forêt sans passage, pour faire descendre trois personnes vidées de toutes leurs forces ? Comment ont-ils fait ne serait-ce que pour … se retrouver ? Leur grand atout a sans aucun doute été le courage et la force de Ricardo. Si vous voyez l’homme. Grand, carré, réfléchi, peu bavard mais un mental d’acier, une poigne écrasante et surtout : une intuition et un sens de l’orientation aiguisé. Ricardo découvrait le canyoning à cette époque. Ils ne l’avaient sans doute pas pris dans l’équipe d’Expédition par manque d’expérience. Et finalement, c’est en partie grâce à lui qu’ils s’en étaient sortis, en laissant la fin de la Chorrera pour une prochaine fois.
Vendredi 10 février
Hier soir Felipe nous a ramené tard dans la nuit et nous avons RDV à l’Ambassade de France à 8h ce matin, à 1h de transmillenium de l’auberge, soit 2 heures de temps en heure de pointe. Fred se transforme en agent de circulation mais y’a rien à y faire, les Bogotanais ne pensent qu’à eux et le trafic se fige. On abandonne le transport en commun pour sauter dans un taxi, mais les voies parallèles sont aussi congestionnées que les bus sont plein à craquer. Il n’y a plus qu’une solution : courir à travers les rues et les avenues de la capitale, jusqu’au square de la 93ème. Mr Enrique Sanchez nous reçoit dans les formes. L’ambassade est un mini-îlot Français où il est toujours étonnant de voir combien les Français peuvent être Français. On ne perdra pas nos coutumes et ça me fait sourire. D’un certain côté, je trouve même que c’est rassurant. L’odeur des couloirs est la même, le bruit silencieux des pas, les voix basses, les Français minces et sobrement habillés, arrivant avec peine à se débarrasser de leur accent. Nous entrons dans l’Ambassade accueillis par la fumée de cigarette. L’incontournable « café-clopes » pris debout, dehors, en bavardant, est un rite complètement méconnu des Colombiens.
Pour la première fois de notre séjour, il nous tardait d’ « être en week-end ». Nos amis canyonistes travaillant en semaine, nous avons dû caler l’ouverture sur un week-end, nous clouant 5 jours d’affilés à Bogota.
Au final nous n’avons dormir que trois heures cette nuit-là. Les plans du week-end qui ont commencé à se dessiner la veille avec Felipe se peaufine ce soir. Nous retrouvons les autres participants de l’aventure dans un petit bar de notre quartier afin de coordonner la logistique.
1h du matin. Nous sommes tous d'accord : RDV demain à 5h30 chez Felipe pour partir vers Choachi, à 2h00 de Bogota, et espérer faire l’intégrale : descendre depuis en haut et finir d’ouvrir ce qui reste de la Chorrera. On est un peu gourmands. On arrive à avoir quelques bribes d’informations sur l’historique de l’ouverture, mais personne n’a d’informations précises à nous donner. Est-ce possible de tout descendre d’une traite ? Les ouvertures nous prennent toujours un temps plus considérable que prévu, et il nous faut garder une marge de sécurité, au cas où.
Je m’endors en repensant au mystère de ce qu’il reste à ouvrir.
« Il ne reste pas plus de 120m, allez 150m maximum » nous rassurait Felipe la veille, au restaurant.
« C’est sûr que s’il reste si peu, on peut tout enchaîner depuis en haut » affirmais-je alors.
« En plus ce sont deux cascades, une de 50 et une de 40 je crois bien, avec peut-être des petites de 20 ou 30.» surenchéri Felipe
« Alors c’est sûr qu’on peut partir d’en haut » confirme Fred.
« Et le chemin de retour je le connais par cœur, combien de fois avons-nous été repérer cette cascade depuis le bas, pour préparer l’ouverture… ! » s’enthousiasme Felipe
Avec toutes ces bonnes nouvelles, nous partions confiants, c’est décidé, on attaquera de tout en haut. Felipe ne connait que les trois premières cascades. Il n’était pas là quand les Brésiliens sont venus. D’où le doute sur la partie médiane.
« Il nous faut appeler John » lancait Alexandra ce soir « Lui sait exactement ce qui nous attends ».
« Il reste une cascade de 120m seulement. Mais c’est pas évident à équiper, la cascade se resserre et il y a un passage obligé dans l’actif (sous la cascade). Il faudrait faire un gros pendule pour équiper RG (rive gauche) et descendre hors actif » nous renseigne John par téléphone.
Voilà donc qu’il n’y a plus que 120m de dénivelé à faire finalement, le tout d’une seule traite. On ne va quand même pas aller à Choachi pour n’équiper qu’une seule cascade ? On est un peu déçus qu’il ne reste que si peu, mais au moins on pourra faire une superbe descente intégrale de la Chorrera!
11 février
4h30
« Allez, on y va » me motivais-je mentalement. On se lève machinalement avec Fred. Une question me trotte dans la tête : comment va-t-on faire pour descendre cette cascade de 120m, s’il n’y a pas de replat pour poser un fractio (relais intermédiaire), ça va être difficile avec le peu de cordes dont on dispose.
Je ne le sens pas trop aujourd’hui, mais je mets ça sur le compte de la fatigue.
Fred et moi nous rendons chez Felipe en taxi. Nous avions laissé nos affaires sécher chez Felipe le week-end précédent, convaincus avec raison qu’elles ne nous serviraient pas de la semaine. Nous revenons donc faire nos sacs chez lui ce matin.
Il fait encore nuit. Toutes ces incertitudes nous rendent peu confiants. Nous avons deux cordes de 50m, dont une que nous avons tonché (abîmé) à 10m le week-end précédent. On peut alors considérer que nous avons une corde de 50m et une autre de 40m. Felipe à plusieurs bouts de 20m.
Le soleil se lève à présent sur Bogota, alors que nous essayons de lui extirper des infos de ses souvenirs :
« Felipe, on a vraiment besoin de savoir combien mesure la plus grande cascade »
« Mmh, dans les 70 je crois » nous répondit-il, affairé à ordonner lui-même ses propres affaires.
« Mais hier tu disais 50m » m’exaspérais-je alors.
« Oui je sais plus, c’est ce que j’ai entendu dire, je l’ai jamais fait en entier la descente » nous confie-t-il.
« Ah bon ?! » Fred et moi nous étonnons en chœur.
Felipe n’avait fait que les premières cascades mais était toujours remonté. Ils ont même tenté une fois de chercher un échappatoire pour le jour où aura lieu l’ouverture, mais la forêt est si dense qu’ils ont failli fini par passer la nuit dans le canyon. A 3500m d’altitude, en combi mouillé, on ne rêve pas forcément de ces folies nocturnes !
« Bon de toute façon on a le perfo, au pire on ajoute un fractio (pour diviser la descente) » raisonnais-je à voix haute.
Mais on est juste avec ces cordes, pas de marge de sécurité ça crains.
Malgré les virages et la conduite rythmée de Felipe, je ne peine pas à m’endormir sur le trajet, me gardant la surprise du paysage à l’arrivée. Qu’il est bon de se réveiller à la campagne ! Après 5 jours complets à Bogota, dans le stress de la ville, j’avais déjà oublié combien le silence était agréable, perturbé par l’unique chant des oiseaux. Nous voilà de retour à la vie, une vie à un rythme normal. Les gens se déplacent tranquillement à pied ou à cheval. A 3000m d’altitude ils se sont habitués au froid. Alors que nous rajoutons une épaisseur eux travaillent en t-shirt. Ils ont la peau plus dure que nous. Pour monter en haut de la Chorrera il nous faut laisser la voiture de Felipe là où nous nous sommes garés, et louer les services d’un 4x4. Il y a une heure de route. En attendant le véhicule réservé depuis la veille déjà, nous nous réjouissons de la journée qui nous attend en buvant un café à la ferme où nous nous sommes garés et je profite du moment pour faire part à Felipe de nos doutes concernant nos longueurs de corde. Comme à son habitude, il acquiesce sans piper mot, mais je sais qu’il a pris en compte ma remarque .
Le véhicule arrive enfin.
Nous sommes arrivés à 7h, il est 7h30.
« Bonjour Carlos ! »
« Bonjour. » nous fait l’homme. « Alors vous êtes prêt ? Ca fait $100.000 pour monter. »
Ouh là, pas très chaleureux pour un Colombien mais on n’a pas trop le temps de négocier ce tarif un peu sévère, l’heure tourne.
« Don Carlos, John m’a dit que vous lui aviez acheté 200m de corde il y a peu. » enquête Felipe
Ouf, je savais qu’il avait pensé à ma remarque !
« Mmh, oui » confirme-t-il, hésitant
« Don Carlos, ce qui se passe c’est qu’on est un peu juste en corde… On ne serait pas raisonnable de s’attaquer à la Chorrera avec ce qu’on a. »
« Ah bon. Mais nous on a coupé la corde de 200m en petits bouts tu vois, pour nous la partager.»
Tiens, étrange réponse… Felipe s’attendait qu’avec ce sous-entendu, Carlos nous prêterai un morceau de corde pour nous dépanner.
Nous nous concertons rapidement du regard entre Alexandra, Felipe, moi et Fred, la même équipe que le week-end dernier. Si j’ai bien compris, il y a un Ricardo qui doit nous rejoindre, mais on ne le connait pas encore.
La décision à prendre s’impose alors à tous : on ne pourra pas faire la Chorrera, il faut trouver un plan B pour aujourd’hui. Il y a bien les eaux chaudes mais franchement, on avait envie d’action. Sinon il faut partir faire un autre canyon à 3h d’ici, mais Felipe l’a déjà fait …
Pendant que nous réfléchissons Carlos voit ses biftons s’envoler.
« Et si je vous prête une corde, vous montez ? » propose-t-il
« Carrément ! » se réjouit Felipe, « Elle fait combien la corde que tu nous prêterais ? »
« 110m. »
« Ahhh ouaaaai ! » Alors ça pour un bout de corde, c’est un beau bout de corde. Nous restons tous les quatre bouche bée. Ok, alors dans ces conditions. Carlos appelle Ricardo qui part alors chercher la corde. On perd encore une heure.
Lorsque tout le monde est réuni, nous montons à bord du véhicule et prenons rapidement de l’altitude. Il nous faut rejoindre le Paramo, cet étage climatique situé à 3500m. Le brouillard ne se lève pas depuis ce matin. Une demi-heure plus tard, nous faisons halte à une petite cabane pour prendre le petit déjeuner. Avec le froid qui nous attend dans le canyon, il va nous falloir des forces. Aussi nous savourons un copieux déjeuner paysan : boudin noir, saucisses, pommes de terre et bananes plantains. Un morceau de viande bouillie en plus pour les plus voraces. En plus de ça, nous emportons des bocadillos (pâte de fruit et fromage) et une saucisse chacun pour reprendre des forces dans le canyon.
10h.
Nous reprenons la route. Carlos nous conduit silencieusement sur la piste cahoteuse qui traverse le plateau que nous venons d’atteindre, à 3500m d’altitude. Il nous dépose jusqu’à une ferme. A partir de là, il nous faudra continuer une heure à pied, avec chacun un sac de 20kg, et la corde orange fluo de 100m en plus pour Felipe, le plus robuste!
Les deux enfants de la ferme se sont arrêtés de jouer pour nous regarder. Depuis la petite barrière en bois, ils ont les yeux fixés sur nous. L’homme de la ferme est sur la piste, à côté de nous. Du haut de sa mule, il nous regarde lui aussi mais loin d’avoir ce regard de curiosité auquel nous sommes habitués, il porte un regard sévère… je me dis qu’on doit le déranger à s’être garés devant chez lui. Pourtant Carlos a bien l’air de le connaitre.
Faisons vite.
10h30.
On se met enfin en marche. Carlos est reparti, tant mieux. L’homme à la mule aussi a disparu, je ne l’ai même pas vu partir. Felipe et Alexandra partent devant, suivis de Ricardo. Fred et moi fermons la marche.
« Il va falloir se dépêcher de descendre le début, tu sais comment c’est les ouvertures » me confiais-je alors à Fred, qui acquiesçait en silence.
Au loin nous voyons Felipe et Alexandra arrêtés. Ils sont avec l’homme à la mule. Ce dernier est en bottes, jean et poncho. Il a retiré son chapeau. Mais qu’est-ce qu’ils se racontent donc, faut y aller là !
« … mais à qui il est ce terrain Monsieur ? » enquête Felipe alors que nous arrivons
« A des gens. Moi je suis payé par l’association pour le garder » réponds-t-il.
« Ah d’accord. Mais vous pouvez nous laisser passer pour aller à la cascade ? »
« Je suis désolé, c’est une propriété privée. »
« Quoi ? Mais on ne va rien faire on va juste passer, personne ne nous verra » implore Felipe
« Attends, laisse-moi faire Felipe » Alexandra entre en scène.
« Bonjour Monsi… » Mais l’homme à la mule est déjà au téléphone.
Peut-être qu’il téléphone à l’association ou au propriétaire pour demander la permission. Il marmonne tellement dans sa barbe qu’on n’entends rien.
Nous sourions à l’idée de son amabilité. C’est vrai qu’il avait l’air un peu froid mais au final il nous aide c’est tellement gentil.
« Alors ? » s’empressent Alexandra et Felipe une fois que l’homme a raccroché.
« Alors quoi ? Rien, je vous ai dit que ne vous laisserai pas passer ».
Ah, bah ça alors.
« Bon écoutez Monsieur, c’est pas grave, on continue la piste et on demandera la permission à une autre ferme plus gentille et puis voilà »
« Faites ce que vous voulez, ils ne voudront pas. »
Fred et moi suivons silencieusement. Qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? Ricardo aussi est au téléphone. Il essai de contacter le président de l’association de paysans afin d’obtenir un droit de passage.
Felipe et Alexandra sont fâchés de l’incident et marchent à un bon rythme, quand tout d’un coup, l’homme à la mule nous rappelle à l’ordre. Une vieille Citroën vient de se garer à sa hauteur. Il nous fait signe de revenir.
Nous rebroussons chemin une nouvelle fois, renfrognés, pour rencontrer les deux personnages du coup de théâtre.
A peine arrivés à leur hauteur, le plus vieux des deux aboie en s’extirpant de la place passager du véhicule :
« Vous dégagez nous n’avez rien à foutre ici chez moi ! »
Ouh, sympa l’accueil.
« Monsieur, calmez-vous, nous voulons juste accéder à la cascade » pacifie Felipe
« Vous dégagez, je vous ai dit, vous êtes ici chez moi » crache le vieux
« Non mais Monsieur, les cours d’eau sont à tout le monde, vous n’avez pas le droit de nous en priver » s’indigne Felipe
Le vieil homme saisi ses mots au vol et la situation s’envenime
« Non mais qui va me parler de LOI à MOI ? MOI je respecte la loi. » Il est tellement en colère qu’il peine à reprendre son souffle.
Mais Felipe n’en fait qu’à sa tête
« Alors très bien, comme conclu tout à l’heure, on va demander la permission à une autre ferme plus bas qui nous laissera passer ». Felipe part avec son sac tandis que nous témoignons la scène avec effroi. Ça sent le roussi. C’est alors que le vieil homme, fou de rage, s’empare d’une carabine dans la Citroën. C’est du délire. Il suit alors Felipe qui, de dos, ne réalise pas de suite. Alexandra le rappelle en contrôlant sa voix :
« Laissons tomber Felipe, y’a rien à y faire. »
Pendant ce temps le conducteur saisi à son tour la carabine qu’il prend soin de charger à côté de Fred. Ils sont malades ces types …
Lorsque Felipe fait volteface, son sang ne fait qu’un tour et il ne se démonte pas. Il ne peut retenir un rire outré en s’apercevant du délire de la situation :
« Ah ah ah, alors c’est bien comme ça qu’on règle les choses dans mon pays, avec les armes »
Le vieux paysan ne relève pas sa phrase. Bien au contraire, il ajuste sa carabine vers Felipe ce qui provoque nos exclamations de peur à tous, sauf à Felipe, qui garde tout son courage.
« Je refuse de laisser les armes faire la loi » lança-t-il à qui veuille entendre. Puis à nous « Allez venez, on y va ».
Mmh, d’un coup, je suis moins convaincue d’aller m’affronter à La Chorrera. Ils ont visiblement toutes les raisons de ne pas nous laisser passer. Et pourquoi est-ce que le vieux est monté dans les tours lorsque nous avons parlé de « loi » ? Qu’est-ce qu’ils ne veulent surtout pas qu’on voit ? Qu’est ce qui justifie le port d’arme ?
Ricardo, notre local, n’a pas de réponse à nos questions.
Nous rebroussons chemin la frustration au ventre. Il faut régler cette situation sur le champ. Il y a de toute évidence quelque chose qui cloche. Qu’est-ce qu’elle a cette Association de Paysan ?
Ricardo dit qu’ils sont en colère parce que le Maire les empêche de cultiver. Ces paysans habitent dans le Paramo, cette région éponge qui alimente en eau tout le pays. Le Maire a dû prendre des mesures drastiques pour protéger l’eau des villages et villes en aval en interdisant toute culture ou élevage dans le Paramo, privant les paysans de vivre. Mais cette injustice n’a vraiment rien à voir avec nous. Le contexte est délicat.
C’est seulement en marchant que nous nous rendons compte du guet-apens dans lequel nous étions tombés. Carlos, qui connaissait l’homme à la mule, nous trouve une corde et nous dépose à cette ferme. Nous nous équipons et il part, alors qu’il connait très bien la situation. Mais il s’assure ainsi le gain de sa course. L’homme à la mule nous arrête peu après notre départ. Après avoir passé le coup de fil, il fait durer le temps puis nous relâche. Voyant qu’il n’y avait pas d’autre moyen de nous faire rebrousser chemin, ce coup de fil, qui n’était pas pour nous sauver, a fait venir la Citroën armée. Une force de persuasion effectivement plus efficace. Et nous voilà qui faisons demi-tour, la queue entre les pattes. Bien entendu, maintenant qu’il n’y a plus de véhicule, nous en avons au moins pour trois heures à pied pour rejoindre la voiture de Felipe.
Je suis découragée, la journée est cette fois-ci bel et bien fichue. Je déteste voir « l’heure tourner ».
Ricardo, qui connait l’endroit comme sa poche, nous propose de redescendre par les champs.
« Ça ira beaucoup plus vite et la vue sera plus belle » nous convainc-t-il en bifurquant à gauche à une patte d’oie.
« T’es sûr qu’on ne passera pas par des propriétés privées cette fois-ci ? » ironise alors Felipe qui a retrouvé son calme.
La bonne humeur est de retour. Felipe et Alexandra sont de bons plaisantins !
Nous descendons à travers champs en profitant de nombreux point de vue sur la Chorrera. Le brouillard se lève, laissant place à un soleil resplendissant, le débit d’eau est à l’étiage, on avait trouvé la corde de 100m, on avait bien mangé, on était tous en forme. C’est con, les conditions étaient vraiment réunies pour faire l’ouverture.
Nous débouchons 2 heures plus tard sur un sentier.
« On est où là ? » demandais-je à l’attention de Ricardo. Mais c’est Felipe qui répond :
« C’est le sentier touristique pour aller voir la cascade. »
« Y’en a pour combien de temps ? »
« Oh c’est juste à côté, 30min tout au plus. »
Ni une ni deux, quitte à partir on ne peut pas partir sans aller voir la Chorrera dans toute sa splendeur. Aussi Fred et moi nous mettons à bons pas en direction de la cascade. Quitte à être ici, on va au moins prendre quelques photos quand même ! Ricardo nous accompagne.
« Vous voyez le petit plateau là-haut, au milieu, après les deux grandes cascades ? » commence Ricardo en pointant du doigt le petit espace « C’est là que je suis allé chercher les Brésiliens. »
« Ah ouai ? Donc après c’est pas équipé ? »
« Non, ils ont dû sortir là. »
« Mais … » Fred et moi sommes d’accord « Y’a largement plus de 100m de dénivelé ! »
« Ah moi je l’ai dit qu’il doit rester 250m minimum, mais personne ne m’écoute ! »
Oh punaise, tous comptes faits, on a bien fait de ne pas être descendus de tout en haut ! On ne serait jamais ressortis avant la nuit ! C’est de notre faute aussi, qu’est ce qui nous prend de ne pas aller vérifier nous-même ce qui nous attend. Le hasard nous a finalement sauvé la mise.
Non seulement il y a plus de 100m, mais nous comptons facilement 3 grandes cascades entre 60 et 80m et des ressauts plus petits. Dans cette configuration, je ne sais même pas si nous aurions eu assez d’amarrage pour descendre jusqu’en bas ! Fred et moi nous installons un moment face à la cascade. Nous dessinons la ligne de descente, nous estimons les longueurs de corde, les frottements, le nombre de points et même l’ordre de passage. Nous nous faisons le film en entier parce que ce n’est pas un vieux paysan qui va nous empêcher de finir l’ouverture de la Double Tour Eiffel du canyon !
Demain, on accédera à la cascade par le sentier d’échappatoire qu’avait taillé Ricardo il y a deux ans. S’ils l’ont descendu, on peut bien le remonter !
Felipe et Alexandra, qui comptaient rentrer à Bogota le soir même, n’ont pas été difficiles à convaincre :
« Allez, on ne va pas se laisser abattre à cause d’un vieux fou quand même ! Ce week-end, on a dit qu’on terminerait la Chorrera. Maintenant qu’on a repéré, y’a plus qu’à dormir sur place et demain, à l’aube, on se faufile dans les fourrés ! »
Ricardo est réjoui à cette idée.
« Allez viens Felipe, on va à la cascade d’à côté (une cascade de 60m où Ricardo fait de temps en temps descendre quelques clients), je vais te montrer une nouvelle manip » invite Fred.
Tout le monde est rapidement convaincu de notre nouveau plan d’attaque, par le bas. Le soir nous descendons dormir à la petite ville de Choachi, en bas de la montagne. Fred et moi ne sommes pas fâchés de nous éviter une nuit à Bogota ! La petite ville sans prétention de Choachi fait bien l’affaire pour ce soir. Nous logeons tous les quatre dans une belle auberge qui s’occupe de notre petit déjeuner du lendemain. Après un bouillon de pattes de poulet (ils en raffolent ici) il n’y a plus qu’à dormir, et après les émotions de la journée, personne ne se fait prier !
12 février
Nous reprenons la voiture à 6h. Le brouillard est si épais ce matin que, lorsque nous remontons vers notre point de RDV de la veille dans les hauteurs, on dirait que Choachi est une île flottante dans les nuages. Il fait frais. Le paysage est sublime.
Ricardo nous attends. Tout le monde est prêt. Ce matin tout est fluide, il n’y a rien qui nous retarde. Nous sommes reposés, je sens que ça va le faire.
« Et Felipe ? » demandais-je à Fred
« Il est derrière. » me réponds-t-il alors que nous marchons.
Tiens, c’est bizarre, cette machine humaine est pourtant tous le temps devant d’habitude.
Nous faisons halte. Felipe nous rattrape doucement, essoufflé.
« Ça va ? » l’interrogeais-je
« Oui, oui, ça va, allez y continuez. » souffle-t-il.
Quelques pas suffisent pour que nous distancions Felipe. Ricardo en revanche gambade. Il est tellement heureux de faire partie de l’équipe. La Chorrera est à notre gauche. Nous voilà maintenant face à un mur de prairies :
« Alors voilà d’où je suis parti il y a deux ans. » commente Ricardo.
Eh ben dis donc, on a du mal à croire qu’on va se faufiler là-dedans sans faire une bonne glissade de plusieurs centaines de mètres !
Ricardo prends le sac de canyon de Felipe et réparti un peu de poids avec Fredo. Je regarde Felipe se laissé aider sans broncher. Ça c’est encore plus bizarre.
"Anaïs, tu sais que Felipe n'a jamais laissé personne porté son sac?" me murmurait Alexandra
"Mmh, connaissant un peu mieux le personnage maintenant, je veux bien te croire. Il doit vraiment se sentir mal." j'acquiescais inquiète.
Puis en plaisantant à Felipe
"Eh Felipe on t'a attendu toute la semaine à Bogota alors c'est pas pour faire la descente sans toi!"
Nous progressons lentement, nous faisons de nombreuses haltes pour laisser le temps à Felipe de nous rejoindre à quatre pattes, à bout de souffle. Le pauvre il me fait de la peine mais il se surpasse. Pendant ce temps Ricardo est loin devant, il manie la machette avec dextérité, comme s’il n’était pas en équilibre à flanc de montagne, avec un sac de 35kg sur le dos.
En deux heures et quelques dérapages, en nous aidant parfois des racines ou de la corde pour nous hisser, nous rejoignons le plateau où l’équipe s’était enfuie. Le spectacle est saisissant, je ne m’attendais pas à tomber sur pareille merveille. Je m’attendais au contraire à débouler en pleine parois, à devoir mettre des amarrages de sécurité dès la sortie du sentier mais non, un superbe petit plateau nous attendait dans cet épais brouillard, laissant à peine deviner la chute de 60m qui tombait dans la vasque … aux truites ! Comment font-elles pour arriver jusqu’ici ces truites !
Notre petite équipe se félicite d’être arrivée jusque-là. Nous prenons notre temps pour répartir le matériel, faire un petit briefing de départ, expliquer l’ordre de passage, les techniques de descente. Que faisons-nous là-haut, petits humains ? J’ai l’impression que c’est bien cette question qui fait battre nos cœurs à l’unisson et qui provoque chez nous cette adrénaline !
« Je partirai en première pour équiper, vous allez me voir. On va mettre une main-courante sur ce gros bloc, puis un relais ici pour éviter le frottement. Dans le brouillard on ne voit pas le pied de cette première cascade mais je devrais probablement mettre un relais en cours de descente pour éviter d’abimer la corde. Vous aurez donc un passage de fractionnement à faire. Ricardo, Alex, si vous voulez, vous pouvez répéter la technique en haut avant. Le second qui me suit devra descendre avec une corde pour la suite. Ça sera toi Alexandra. Ensuite Ricardo. Felipe si tu te sens mieux tu peux descendre avec Fred, sinon Fredo ferme la marche. Vous êtes prêts ? »
Il suffit d’un cri de guerre pour nous mettre dans l’ambiance :
« 1, 2, 3, CHO-RE-RA ! »
Après avoir posé tous ensemble les deux premiers points de la main-courante qui nous permettra d’accéder au premier relais, je disparais avec le perfo, en inaugurant ainsi l’ouverture de la partie finale de la Chorrera ! (grâce au pierre-feuille-ciseau gagné contre Fred !)
La descente est sublime, je n’ai pas d’autre mots ! Notre repérage de la veille s’est révélé exact au goujon prêt ! Nous avons descendu la première cascade de 60m dans la brume. J’ai mis un fractio comme prévu, sous un relief qui le protégera des crues. Mais bien qu’idéalement situé, le fait de ne pas avoir pied m’a fait regretter de ne pas faire d’abdos de temps en temps ! Qui plus est, je craignais pour le perfo à cause des embruns de la cascade, ce qui m’a fait redoubler d’efforts pour le protéger, me tortillant plein gaz au bout de ma corde, en cherchant désespérément le meilleur appui possible. Mon premier point à péter, j’ai dû ressortir le perfo pour en refaire un. J’ai donc perdu un peu de temps dans la bataille mais tout le monde a bien réussi à passer le fractionnement plein vide à 40m sous le premier relais. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il s’agit là d’un équipement digne d’un spéléo : 0 frottements!
Je n’attends pas les autres pour continuer d’équiper la suite : un abalakov pour la cascade suivante, en plan incliné, d’environ 15m (un abalakov consiste à percer la roche de part et d'autre de façon à permettre d'insérer de la cordelette résistance qui nous serve d'amarrage. cette technique permet notamment d'économiser des points métalliques, et du temps). Nous descendons dans l’ « actif » (c’est-à-dire dans l’eau). Puis une sangle autour d’un arbre nous permet de descendre un petit rappel de 5m. C’est là que le soleil décide de faire son apparition, et la vue qui s’en dégage est vertigineuse !
Au bout de la corde accrochée à cet arbre, j’ai pu me rapprocher de la seconde grande cascade, du haut de laquelle j’aperçois déjà les petits touristes tout en bas. Ils sont entourés d’un bel arc-en-ciel provoqué par les gouttelettes de la cascade. Il doit bien y avoir 150m. Depuis mon perchoir la forêt s’étends devant moi, massive et transpercée par cette grande cascade qui ensuite serpente sous la forme d’un cours d’eau à travers ce poumon vert. Ce cours d’eau descend toute cette chaîne de montagne vers les Llanos, les plaines, pour continuer son chemin jusqu’à se jeter dans l’Amazone. Quelle aventure d’être une goutte d’eau !
Le groupe me rejoint, tout le monde a le sourire, tout le monde savoure son adrénaline, tout le monde est heureux ! Et ce bonheur couplé de ce paysage, m’encourage : allez vite, la suite !
Un nouveau relais nous permet de descendre 60m plus bas. L’absence idyllique de frottement nous permet d’y aller d’un seul jet. Seule une grosse écaille en plein milieu de paroi nous inquiète : pourvu que notre corde ne s’y coince pas lorsqu’on la rappellera d’en bas.
Cette fois-ci Fred me suit en premier et laisse ainsi l’honneur à Felipe de gérer l’équipe et de descendre en dernier.
Nouvelle margelle. Nous arrivons à la dernière grande cascade qui nous pose un peu plus de soucis. Nous discutons ensemble du choix d'équipement mais la roche est un peu plus pourrie et les goujons tournent dans le vide. C’est exaspérant. Surtout qu’on doit mettre une main courante multipoints à cet endroit, à ce rythme on ne va jamais finir. Je gaspille mes points, le temps se couvre. Ça gronde, le brouillard nous a brouillé la vue sans qu’on ne s’en aperçoive. Je parviens à installer un nouveau relais et utilise la petite longueur de corde disponible pour apprécier la hauteur de notre dernière cascade :
« Je sais pas Fred, c’est plus haut que les autres, peut-être 80, 90m ? En tout cas il faudra que je remette un relais intermédiaire parce qu’il y a un sale bombé au milieu qui va nous toncher (couper) la corde » criais-je suspendue à ma corde
« Fais chier ça veut dire qu’on doit attendre que tout le monde descende pour récupérer la corde de Felipe (on avait installé la plus grande sur le rappel précédent.) »
Nous perdons un temps considérable sur cette margelle, dans les embruns de la cascade. Tout le monde se refroidit. Lorsque je passe la corde voulue dans le maillon du relais, je n’aperçois même plus le pied de la cascade. Mince alors, il faudra être clair sur les consignes, parce qu’après, on ne se verra plus, et on ne s’entendra plus non plus.
« Allez les copains, courage ! » les encourageais-je en partant « plus qu’un dernier relai à mettre et on est en bas ! » puis, à l’attention de Fred « Si je ne trouve pas où mettre de relais, tu me débrayes (c’est-à-dire : tu me descends) d’accord ? »
« S’il le faut je te mouline (idem) jusqu’en bas et on descend cette dernière grande cascade d’une traite !»
« Ça m’étonnerais » lui répondis-je sûre de moi et déjà je m’enfonçais dans le brouillard. S’il n’y avait pas cette corde orange fluo pour me guider, je ne saurai même pas vers où me diriger dans le brouillard… mis à part vers le bas !
Finalement Fredo a eu le nez fin : la roche était tellement pourrie qu’à part protéger le premier frottement qui cisaillait bien, j’ai préféré descendre jusqu’en bas, sous les acclamations du personnel du parc naturel, les collègues et amis de Ricardo. Mais qu’est-ce qu’ils font là eux à cette heure là ?
« Tiiiiit Tiiiit ». Deux coups de sifflets pour signifier que je suis bien arrivée et que j’ai libéré la corde.
En m’approchant le personnel me confie fièrement qu’ils attendent là depuis ce matin, de peur de louper notre descente. Il est à présent 17h ! Pour eux c’est symbolique. Ils travaillent ici tous les jours et, pour la première fois, des gens descendent la grande cascade, l’indomptable, en rappel !
« Felicidades su Merced ! » me félicite sincèrement une femme du parc, une amie de Ricardo.
Cette vieille expression me fait sourire.
CA Y’EST ! ON L’A FAIT ! Nous avons eu l’honneur de participer à cette aventure si symbolique pour les canyoneurs colombiens et , armée du perfo, j’ai eu l’honneur d’être la première à descendre cette dernière partie de la Chorrera !
Puis tour à tour mes camarades me rejoignent, en descendant sur la même corde orange que moi. Dans ce brouillard et avec la nuit qui tombe, je ne les vois que sur les 20 derniers mètres.
« Tiiit, Tiiit » Ricardo
« Tiiit, Tiiit » Alexandra
« Tiiit, Tiiit » Felipe
Reste plus que Fred. Il tente de communiquer en criant depuis le haut mais sa voix ne nous atteint pas. A lui de prendre les dernières décisions, à lui de fermer la marche. Nous voyons atterrir une guirlande de cordes raboutées qui nous serviront à rappeler la corde d’en bas. Puis Fred apparaît sur la corde orange. Tout le monde est euphorique, la dernière cascade, la plus haute, a fait vibrer chacun de nous, et le plus émouvant c’était Ricardo !
"Wouah, j'y crois pas." commença- t-il incrédule
"Alors, heureux Ricardo!" lançais-je pour l'inviter à s'exprimer. Mais ce n'est pas le genre d'homme qui mets des mots sur ses sentiments, hors mis ... aujourd'hui!
"jamais je n'aurais cru.., c'est .., et puis ce brouillard on n'y voit rien ! J'ai eu peur (ça, j'ai du mal à y croire!) mais la peur ça sert à rien, alors ... whouah, la corde était sacrément lourde de tout là haut!" Il reste quelques secondes sans voix le temps de mettre des mots sur cette aventure:
"La Chorrera c’est symbolique, cette cascade c'est le cœur de notre village, c’est là où je suis né, jamais je n’aurai cru pouvoir la descendre un jour. » confiait-il à la caméra, les yeux miroitant.
Je crois que c’est pour cette unique raison qu’il s’est mis au canyon. Et je me félicite que nous l'ayons intégré à l’équipe rien que pour entendre ces chaudes paroles.
Pour nous, cette descente est le symbole de nos rencontres en Colombie, de la chaleur humaine. C'est la représentation de notre bonne entente avec l'Association Colombian Canyons sans qui tous ces projets ne seraient pas ancrés dans le territoire, et perdraient de leur sens. Cette descente a pour moi été , un véritable honneur.
Il ne nous restera alors plus qu'une mission avant de partir: faire la descente intégrale tous ensemble, avec tous les ouvreurs!
A 18h nous nous faisons raccompagner dans le brouillard et la nuit rapidement tombée par les gardes du parc jusqu’à leur loge, à 40min de marche, où ils nous réservent un accueil chaleureux. Ils veulent nous voir arriver, écouter notre aventure. Ils nous servent un bon café chaud (pas de refus !) dans leur cabane en bois.
Tous le monde est autour de nous, ils ne nous laissent pas nous changer !
Et c’est dans cette ambiance intime que nous crions de pleins poumons, tous les cinq réunis en cercle, un dernier cri de guerre :
« 1, 2, 3, CHO-RE-RA ! »
Pour une lecture au chaud sous la couette ça se passe ici !