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Le hameau du barrage [Antioquia 1/3]

  • Anaïs BOULAY
  • 17 mars 2017
  • 27 min de lecture

Je suis heureuse de vous annoncer que … Ca y’est ! Fred et moi sommes de retour sur scène dans la grande aventure Canyon y Machete !

Après une semaine de grande régalade en kitesurf – et pour moi les pires coups de soleil faciaux de ma vie sur ce lac d’altitude - nous avons fait de gros progrès en glisse ! Après une belle soirée salsa à Cali, Yoann – notre compagnon de voyage depuis trois semaines – et Gérard, ont pris leur vol retour et nous nous retrouvons face à face avec notre Expédition : Canyon y Machete !

Escale donc de nouveau à Cartago, où nous prévoyons de passer une nuit et finalement nous devons en passer deux : nous peaufinons notre programme. Le calendrier est serré, on veut tout faire donc on n'a pas hésité à surcharger, ce qui donne :

  • 6 jours dans le département de l’Antioquia dont trois jours de formation avec les canyoneurs locaux (7h de bus aller)

  • 4 jours dans le Peñon (15h de bus aller)

  • 3 jours dans le Cundinamarca pour la deuxième session de formation (9h de bus aller)

  • Un jour à Bogota (réunion)

  • 10 jours dans le Nariño pour les vacances (20h de bus ou avion aller)

  • Un jour à Cartago

  • Départ de Cali

Selon ce programme, super intéressant, on va passer 7 jours dans le bus et on va manquer d’honorer de nombreuses promesses certes mais on a vraiment envie d’aller dans le Nariño, même si c’est à l’autre bout du pays, de connaître l’Antioquia, vendu pour être le paradis du canyon, et d’aller faire de la spéléo dans le Peñon.

Que faire ?

Dans l’Antioquia nos nombreux contacts ne répondent pas à l’appel, on se sent un peu pris au dépourvu, mais on ne va pas rester à trainer à Cartago quand même !

« Allez viens Fredo, au pire on va connaître Medellin (la ville…), on va faire le canyon de Las Perlas et on voulait aussi aller visiter la boite qui propose du canyon alors go ! » animais-je Fredo, peu enthousiaste à l’idée que nos contacts ne soient pas dispo.

Nous pensions voyager de nuit vers Medellin mais Stella nous apprends qu’il n’y a en fait que 5h de bus, pas de quoi faire une nuit. Nous rallongeons donc notre séjour à Cartago d’une nuit et décidons de partir tôt le matin. Le « tôt le matin » se transforme bien sûr en « tôt l’après-midi » et à 13h nous remontons toute la chaîne de la Cordillère Occidentale, en zigzaguant dans ces splendides paysages cafetiers où nous avons passé une grande partie de notre début du séjour. Medellin se trouve tout à fait à la fin de la Cordillère Occidentale, là où elle s’étale le plus avant de fondre pour laisser place aux Caraïbes. Située dans le petit département de l’Antioquia, nous avons entendu parlé dans tout le pays de la beauté des canyons de ce département : on y trouve les plus belles courses, les plus beaux sauts, les plus beaux toboggans, la plus belle eau, l’équipe Canyoning Antioquia se déchaîne, ils ouvrent à tour de bras, c’est des acharnés. Toutes ces éloges nous font frémir d’arriver dans ce département.

Alors vous comprenez notre déception quand personne ne semble répondre à l’appel. Mais je ne vais pas lâcher le morceau. Malgré les virages et l’odeur des toilettes à bord, la wifi du bus et la prise sous mon siège pour recharger mon téléphone me permettent d’harceler nos futurs copains jusqu’à notre arrivée : le compte à rebours à commencer les gars, faut pas déconner, c’est notre dernier mois !

Le bus est au maximum de son rendement. A l’intérieur, comme à l’accoutumée, il fait 10°. Nous faisons escale sur une "aire d’autoroute" où nous sommes irradiés par la chaleur et le soleil : c’est la pause-déjeuner du chauffeur.

De Cartago à Medellin, nous remontons la Cordillère Occidentale jusqu'au bout

Mardi 7 mars

18h

Tiens, un autre message!

« Hey, Salut Ana ! Comment vas-tu ! Vous arrivez quand exactement ? Je suis content de t’entendre ! Alex m’a beaucoup parlé de toi ! Ça tombe bien que vous arriviez à Medellin, je pars jeudi avec deux copains pour une semaine d’Expédition » me dit la petite voix de Rigo sur un message vocal WhatsApp

« Fred, Fred ! On est quel jour aujourd’hui ? » me jetais-je sur lui en lui secouant le bras

« Mardi »

« Y’a le mec, tu sais, Rigo, dont Alex et Felipe nous avait parlé, qu’il fallait AB-SO-LU-MENT qu’on rencontre dans l’Antioquia qui vient de nous contacter. Tu te souviens? Le mec des supers plans d'ouverture!»

Ils nous en avaient recommandé plusieurs, qui sont plus ou moins pris ou qui ne répondent pas au téléphone, mais Rigo, c’est vraiment leur préféré !

« Qu’est-ce qu’il dit ? » m’interroge Fred, assis côté couloir, plongé dans son roman

Je le fais mijoter, ça devrait lui plaire ce plan, je le sens bien !

« … »

« Allez ! » me hâte-t-il

« Il part avec des potes faire une Expe Canyon d’une semaine je ne pas où faire je ne sais pas quoi, ... ça a l’air génial nan !! »

« Ouh là, non mais toi tu t’enflammes encore ! Je te rappelle, Madame-je-ne-respecte-pas-mes-promesses (il m’en veut de m’embarquer dans trop de plans à la fois, mais c’est justement ça qui est excitant !) que le 11 et 12 on donne notre formation à Medellin. »

« Oui, je savais que t’allais dire ça, mais déjà y’a personne qui nous réponds, l’info n’a pas circulé visiblement et… »

Fred me coupe à nouveau

« Et dès lundi, donc le 13, on prend le bus pour le Peñon, c’est le programme, c’est ce qu’on avait dit » insistait Fred qui tenait à respecter nos engagements et nos dates, pour réussir à faire « ce qui est prévu »

« Non mais allez, on s’en fout du programme, moi je préfère surfer sur la vague ! Ça va être dingue, j’en suis sûre ! » insistais-je. Il faut toujours un peu négocier avec Fredo. Moi je lui reproche d’être trop pessimiste, lui affirme devancer les problèmes avant qu’on les prenne en plein vol.

« C’est comme ça qu’on a abandonné notre formation de Salento je te signale » me lance-t-il, plein de reproches.

« Mais c’est pas qu’on l’a abandonné, c’est qu’on n'avait pas de public pour la faire Fredo ! » contestais-je « Bon allez, je lui dis RDV à la bière ce soir, ça n’engage à rien » tentais-je désespérément de faire pencher la balance !

Medellin est la capitale de l’Antioquia, le département le plus industrialisé et développé du pays. Les Antioqueño sont connus pour être des bosseurs et dès notre entrée dans le Terminal nous avons presque l’impression d’avoir changé de pays : tout est propre et moderne, lumineux. En ville les boutiques tournent plein régime, il y a une quantité de bar impressionnante, la musique est très occidentale, les gens sont branchés, il y a le métro (le seul du pays). En bref, la ville de Pablo Escobar s’est refait une belle santé, à en détrôner Bogota !

Nous passons rapidos par une auberge bon marché du quartier du Poblado, le quartier branché de Medellin. Je suis si excitée à l’idée de rencontrer Rigo que nous ne prenons pas le temps de passer sous la douche et sortons à la hâte à a recherche d’un bar pour se retrouver.

Il commence à pleuvoir

Je crains le pire. S’il y a bien un truc qui pourrait foutre notre « programme » en l’air, c’est bien la saison des pluies. Il pleut averse, une grosse pluie d’orage qui n’en finit pas. J’espère que c’est toujours comme ça dans « la ville du printemps éternel ».

Le passé de Medellin, gérée par les narcotrafiquants, est encore vif. Alors que nous sommes à quelques pas de la Place de la Llera, le quartier des bars, l’auberge nous recommande vivement de prendre un taxi. « Esta calle esta muy sola » (Cette rue est très "seule") nous avertissaient les locaux, alors que nous nous mettions à marcher. Ça n’a pas l’air de craindre, mais s’ils le disent, en taxi nous irons !

A la manière de Bogota, il y a ici le Medellin Beer Company, très alléchant ! La musique est super sympas, il y a une quantité de bières à la pression, ça fera bien l’affaire pour notre visite expresse de la ville. Rigo arrive en premier, puis arrive le Puerto Ricain David, un militaire de la US Navy à la retraite, et un super ami de Rigo.

Nous prenons à peine le temps de nous reconnaître que déjà Rigo est assis à la table et nous parle sérieusement

« Alors voilà, c’est ça dont je te parlais. » me dit Rigo en me tendant une photo sur son portable.

Mes yeux s’écarquillent !

« Fred, Fred, regarde, il ne faut pas que tu en perde une miette ! »

Fred est sur son portable, il y a la Wifi dans le bar ....

Lorsqu'il aperçoit la photo, il s'empare du téléphone de Rigo et ses yeux s’écarquillent à son tour.

Rigo vient de nous montrer la photo d’un gros massif montagneux, très vert, moitié champs-moitié forêts, d’après la petite taille des arbres je suppose qu’il y a pas mal de hauteur, c’est très vertical, et dans ces petits vallons se dessinent deux merveilleux géants canyons !

« Mais c’est quoi ça, Rigo ? » enquêtais-je

« Je sais pas en fait ! C’est pour ça que je veux aller voir.»

« Mais c’est où ?! » le pressais-je

Rigo me sourit, il est ravi que je morde à l’hameçon et que son enthousiasme soit partagé

« Je l’ai pris en photo depuis la finca de mon ami German il y a trois semaines. »

« Mais où ça ?? »

« C’est très loin, c’est pour ça qu’il faut qu’on parte une semaine minimum, peut-être dix jours. » me dit-il avec un clin d’œil.

C’est bon, c’est OK, je m’en fiche de tout, ça va être génial, on y va OK (< ça c’est ce qui se dit dans ma tête !)

« Fred, il faut absolument qu’on y aille ! »

« Jeudi et vendredi d’accord, mais samedi on doit revenir. » dit Fred d’un ton responsable. Il a raison, c’est sûr, on ne veut planter personne, et elle nous tient à cœur cette formation, mais quand même…

« On est à Medellin aujourd’hui et il n’y a personne qui ne répond à l’appel. Donc moi je ne me loupe pas une opportunité pareille ! » tentais-je envers Fred, en espérant jouer sur les émotions. Aller, je sais que comme moi il en meurt d’envie. Donc faut continuer, il faut aller en avant !

« Il y a combien de mètre de dénivelé ? » Fred questionne Rigo pour la première fois

C’EST GAGNE ! C’EST SÛR, il craque ! On y va !

« Mmh, je pense qu’on pourrait bosser ça demain chez moi, à La Ceja, c’est à une heure de Medellin » propose Rigo, en nous invitant déjà à dormir chez lui. « Ma maison est très simple, ça me gêne un peu, j’ai un lit à vous prêter, pas très confortable et… »

« Non mais tu déconnes Rigo, OK, ça marche, à quelle heure pour demain ?! » le coupais-je

« Il vous faut partir à 13h du terminal et je vous attendrais. Prenez vos ordis ! »

8 mars

La pluie n’a pas arrêté de la nuit. Je crains le pire, ça va vraiment tout foutre en l’air. Pourtant la saison des pluies c’est en avril normalement. Bon sang…

Ça nous donne envie de nous cocooner à l’auberge, tant pis pour la visite de la ville, on en profite pour faire une grasse mat, je sens qu’on en aura besoin.

David nous rejoint au Terminal et nous ne cessons de papoter canyon dans le bus qui nous emmène jusqu’à La Ceja. En route une Brigade Canine est montée à bord du bus pour fouiller les éventuels trafiquants de drogue, mais rien. Nous arrivons 1h plus tard au village le plus riche et le plus propre de la Colombie ! Alors ça, je ne m’y attendais pas ! Avec la description que Rigo m’en a faite ! Ici les policiers mettent même une amende à qui jette un déchet dans la rue !

Nous passons l’après-midi sur GoogleEarth. Fred à la souris, moi au bloc-notes : celle de gauche, une belle ligne blanche de 900m de dénivelé pour 1000m de développement, c’est de la folie verticale ! Et tout s’enchaîne sans aucune pose, Ouah, ça va être aérien, encore plus que la Chorrera ce truc ! La seconde, 900m de dénivelé pour 1200m de développement, avec de beaux cassés ! Des belles cascades distinctes nous permettent de prendre une première mesure : environ 100+100+100 puis 70, 130 et 60, je crois que c’est déjà ma préféré ! Nos compagnons sont dans notre dos, ils veulent des chiffres eux aussi, et nos mesures ne les déçoient pas !

« Alors maintenant, voyons les accès » propose David, de sa voix grave et son accent Puerto Ricain.

« Voyons » cherche Fred.

« Le truc, c’est qu’il n’y a pas d’accès » me dois-je d’admettre « mais franchement sur GoogleEarth on ne voit pas tout non plus » les rassurais-je dans la foulée. Nous avons une chance de fou, les images satellites de cette région sont hyper nettes, contrairement à d’autres régions où GoogleEarth s’est avéré désespérément inutile.

« La fille qui entretient la finca de German dit qu’elle allait jusqu’ici » Rigo pointe du doigt le milieu de la deuxième cascade sur l’écran "quand ses grand-prents vivaient encore là-haut".

« Alors c’est bon, il doit y avoir des accès » complétais-je, pour partager mon soulagement.

« Allez il nous faut encore programmer le trajet de demain, ce qui n’est pas une mince affaire, faire les provisions pour une semaine minimum, aller voir German pour le prévenir (il habite à La Ceja), choisir notre matériel… »

On a du pain sur la planche. Il est déjà 17h, il va falloir mettre les bouchées doubles !

Notre futur terrain de jeu, par image satellite

9 mars

5h du matin

Debout tout le monde, une grosse journée nous attends tous ! L’équipe de l’Expédition a passé la nuit chez Rigo – qui a une maison des plus normales, au passage !- et je suis fière d’avoir une équipe aussi complémentaire ! Rigo, la trentaine, est passionné de canyoning. C’est un fou d’Expé. Depuis ses 1,60m, il explore tous les canyons qu’il peut même s’il n’a pas de matos pour équiper, on peut dire qu'il n'a pas froid aux yeux. Il sait concilier les intérêts de tous, ses qualités sociables sont indéniables. Outre notre « Monsieur Bon Plans », c’est donc également notre porte-parole, notre président ! Son frère Hugo, lui ressemble beaucoup. Il a la la quarantaine et le regard rieur. Au début il ne parlait qu’à son frère et petit à petit nous découvrons en lui de nombreuses qualités indispensables : il ouvre les chemins mieux que personne, il manie la machette depuis toujours, il répare n’importe quoi, il a toujours suivi son frère dans ses aventures les plus folles, ils sont d’une complicité émouvante. David, notre Puerto Ricain a, sous ses allures de Goliath, un cœur en or. C’est la raison de notre expédition : il sait dire stop, il sait juger, faire le pour et le contre et c’est le roi de l’organisation ! On n’en attendait pas plus d’un retraité de la Navy ! Et puis il y a moi et Fredo, les inconditionnels du perfo, qui comptons bien décorer le plus de canyons possibles avec nos ancrages ! Pour ce dernier mois on n’a pas lésiné, juste « au cas où », on a (presque) tout pris ! Je sens qu’on a bien fait !

Hugo lustre « Rey » (Roi), son bolide, au chiffon. David charge nos gros sacs sur le toit de Rey, Rigo prépare sa moto et Fred et moi nous demandons comment on va bien pouvoir arriver à destination avec tout ce chargement ! Non seulement nos sacs sont hyper lourds, mais en plus de ça, une fois les provisions réparties, on se retrouve avec trois sacs chacun !

Rey, notre carrosse, est prêt pour l'aventure!

Nous quittons La Ceja pour rejoindre El Carmen par une route goudronnée. Puis de El Carmen de Vivoral nous prenons une piste qui nous mènera, si Rey survie, jusqu’à la montagne de la Finca de German. Il n’y a que 25 kilomètres mais, à une moyenne de 10km/h, nous mettons près de 2h30 pour arriver jusqu’à ce que la piste soit en si mauvais état que nous devons abandonner Rey et continuer à pied, avec nos trois sacs chacun. Sérieusement, je peux pas les soulever ! Rigo commence à faire des allers-retours entre Rey et le point de RDV et nous planifions de faire de même avec nos charges. Nous avons RDV à un mirador, 150m de dénivelé en haut de la finca de German.

« Mais on a RDV avec qui Rigo ? » lui demandais-je alors qu’il déchargeait un de mes sacs sur sa moto.

« Les gens qui s’occupent de la finca de German viennent nous aider avec des mules. On doit les attendre au Mirador (point de vue) » me répond-t-il en repartant.

L'Expédition va avoir lieu dans une région très reculée. Nous devons avoir recours au service des mules pour porter nos 150kg de matériel et de vivres qui permettront à notre équipe 5 personnes de vivre en autonomie pendant 8 jours.

Ah ouai, tiens, c’est super ça !

En fait cette finca c’est la maison de vacances de German. Elle est occupée par une famille qui l’entretien en échange d’avoir un hébergement, et qui accueille le propriétaire lorsqu’il vient. Ça se fait beaucoup en Colombie.

Après avoir tant repéré le parcours sur GoogleEarth, je sais exactement ce qui nous attend. Et effectivement, la vue est à couper le souffle : c’est la photo que Rigo nous a montré, grandeur nature ! Nous faisons connaissance avec Horacio, le père de famille qui entretien la maison de German, et sa voisine, chacun venu avec deux mules. Pendant que nous répartissons les provisions dans les « costales», des sacs tressés qui servent à transporter le café ou autre récolte, nous jetons des coups d’œil furtifs vers les cascades. Rigo s’empare des jumelles, Horacio et la voisine se chargent de nos sacs de canyon et bientôt il n’y a plus personne pour les aider, nous bavons devant le paysage, nous inspectons les détails du relief.

Non mais franchement c’est impossible leur truc …

Plusieurs cascades se dessinent sur l'autre versant, et nous laissent rêveurs

Je suis un peu déçue… L’endroit est spectaculaire mais c’est clair : y’a pas d’accès.

Je tente de me consoler avec ce que disait Rigo : la femme a dit qu’elle, montait régulièrement jusqu’à la moitié du canyon de droite. Bon.

Fredo me rejoint, il a lu dans mes pensées :

« Alors, t’es prête à faire une semaine de randonnée ? »

« Arrête, dis pas ça, j’espère pas … »

Puis nous nous mettons en marche en file indienne sur la petite sente, taillée comme une tranchée à force de passage, qui nous mène à la finca : Horacio, la voisine, les quatre mules chargées de sacs fluos, et mon équipe pleine de rêves !

La finca est grande. Construite sur deux étages maintenus par une ossature en guadua, la famille composée de Horacio, sa femme Reina et leur fille de 3 ans Marcella, vit au rez-de-chaussée. Notre équipe occupe l’étage composé de deux chambres, un WC au milieu, et d’une grande terrasse en bois donnant la plus belle vue qui soit sur nos projets : les deux grands canyons. Nos affaires rapidement entassées à l’étage, nous descendons en rafale les escaliers, avalons la soupe de lentille que nous a préparé Reina pour midi, et marchons dans les pas de Horacio. Il est 13h, nous sommes à 1600m d’altitude, le temps est plutôt couvert. Santo Domingo, la rivière au fond de la vallée, est située à 1000m d’altitude et collecte nos deux cascades, d’où son qualificatif, en langage canyon de « collecteur ». Le calcul est rapidement fait, nous sommes à 600m de dénivelé négatif de la fin des canyons, autrement dit : ça va être impossible de se taper cette marche après chaque canyon, il nous faut nous délocaliser.

La Finca de German

Champ de goyavier

Cette après-midi vise donc à deux choses : nous descendons au hameau du barrage, situé sur les rives de Santo Domingo au fond de la vallée, nous repérons la dernière cascade du canyon que nous priorisons : celui de droite. Il faut vérifier la roche, voir le débit de plus près, estimer une ligne de descente. Ensuite, et c’est notre priorité, nous devons trouver un hébergement en bas. C’est dommage parce qu’on est bien chez German, c’est magnifique, mais c’est situé sur le mauvais versant ! Rigo est confiant, il nous suffira de demander à l’une des fermes en bas, ils sont si gentils les paysans dans le coin qu’on nous prêtera bien un couchage pour une ou deux nuit.

Plus nous descendons la montagne dans les traces de Horacio, aussi habile qu'à ses 20 ans, plus l’urgence de trouver un hébergement se fait sentir. Notre petite région pleine de canyon est dénuée de toute route, piste ou quoi que ce soit qui puisse rouler. Ici tout le monde se déplace à pied, ou à mule. Les enfants se regroupent dans des écoles qui sont parfois jusqu’à 1h30 de marche, en descente ou en côte. La mairie et la clinique sont à El Carmen, à condition d’avoir une voiture. Et bien sûr, personne n’en a.

Nous mettons 2h à rejoindre la rivière. Nous traversons un champ de goyave que les garçons pillent en passant, nous longeons la petite école qui ne compte que 4 élèves, nous traversons le pont suspendu et rejoignons l’autre rive de Santo Domingo, celle où débouche nos gros canyons. Après un coup d’œil admiratif à la cascade, puis aux pentes qui l’entourent, nos sentiments oscillent de l’excitation la plus extrême à la déception la plus grande de ne pas pouvoir y accéder.

Final du "canyon de droite"

Horacio presse le pas, nous n’avons pas le temps de toquer aux fermes qu’il veut déjà remonter. Il est déjà tard, on va se faire prendre par la nuit. Mais nous, nous sommes tous déjà fatigués, et tout le monde veut reculer le moment de torture après cette courte nuit et cette longue journée ! En plus de ça, si on ne trouve pas de logement en bas, on est fichu!

« Allez, on va boire une gaseosa chez Sandra là-bas ! » nous convainc Horacio pour nous arracher de la cascade finale du « canyon de droite ».

Sandra habite dans un finca en ciment, comme il est peu commun d’en voir par ici. Son petit patio, qui sert comme à l’habitude de pièce commune, donne sur les poules, poussins, chats, chiens, cochon, mules, arbres fruitiers de la maison. De l'autre côté de la rivière, en fave, ils ont vu sur leurs terres agricoles: plantations diverses en pleine pente.

Mais ce qui nous intéresse le plus c'est derrière, et nous le ne manquons pas ! Vue sur le « canyon de gauche », le « canyon du milieu » et le « canyon de droite », et plein d’autres petites cascades! Et plus loin encore, encore de gigantesques cascades, et à côté de chez German aussi, ici c’est le paradis !

« Salut Horacio, Comment allez-vous ? » s’adresse la jeune femme avec son large sourire vers notre vieil homme, maigrichon, qui flotte dans son jean et sa chemise trempée de sueur. Horacio garde son chapeau pour protéger sa peau abîmée par le soleil et commande des bières en rigolant dans son patoi peu compréhensible. Il rigole toujours ce monsieur !

« Ici vous trouverez toujours une petite boisson pour vous rafraîchir avant de remonter » commente Horacio avant d’avaler une grande gorgée de bière.

Ouh, la bière avant de remonter c’est pas l’idéal pensais-je, avant qu’une autre pensée me vienne alors que Sandra nous baigne de son flot de paroles accueillantesw.

« Oh, non, ici, il vaut mieux dire que je m’occupe de tout. Pour mes hôtes je peux faire à manger, et ceux qui apportent de quoi faire, je les leur cuisine avec grand plaisir » discutait gentiment Sandra, nous mettant tous à l’aise.

Nous sommes assis en rang d’oignon sur le petit muret du côté droit de la ferme. Le soleil s’approche de la crête sur le versant opposé, celui de German.

« Sandra, je peux vous demander quelque chose ? »

« Mais bien sûr mona ! » me répondait-elle avec l’accent local

Mona désigne gentiment les personnes blondes aux yeux clairs.

« Vous avez des lits ici ? »

Tout le monde semble étonné de ma question, sauf Horacio, qui ne réagit pas.

« Oh, oui, j’ai tout un dortoir là-haut ! » nous annonçait Sandra, comme si nous étions déjà les bienvenus.

Oh punaise, la veine quoi !

Puis Rigo « Et, vous faites payer combien la nuit ? »

« Ah non, vous savez, ce sont des lits très simples, et la chambre est un peu .... très ... rudimentaire. Moi et mon mari ne faisons rien payer du tout. Vous donnez ce que vous voulez. »

Cette femme est un ange. Vous la connaîtrez de mieux en mieux, et vous comprendrez combien nous avons été choyés. Elle doit mesurer 1,60m, elle a le physique type d’une colombienne : peau mate, cheveux noirs. Je lui donne 30ans mais elle approche peut-être de 40. Elle a des rondeurs qui lui vont très bien, elle se promène en crocs, son large sourire illumine ses yeux qui pétillent, et s’esclaffe régulièrement dans un rire généreux et communicatif. C’est une femme qui nous met à l’aise, qui nous écoute et qui nous chouchoute. Vraiment, on ne pouvait pas tomber mieux.

Et les bonnes nouvelles s’enchainent si bien qu’on voudrait qu’elle ne finisse jamais cette bière.

« Pour vous expliquer le contexte » reprends Horacio qui revient parmi nous, « ces jeunes gens sont venus descendre les cascades qui sont derrière chez vous. »

« Aaaave Mariiia » s’exclame Sandra, « Mais personne n’a jamais fait ça ! »

« Mais, admettons que nous dormions chez vous pour être au plus proche, on a aucune idée de comment arriver en haut » poursuivit Rigo

« Ah mais ça ce n’est pas un problème. Mon mari chasse beaucoup, autant vous dire qu’il est né ici et il n’y a personne qui connaisse ces monts comme mon mari. Il saura tout vous dire ! »

Mais c’est quoi cette journée pleine de bonnes nouvelles !

« Malheureusement il est parti au village »

Ah, tiens, ça ne pouvait pas durer, je me disais aussi.

« Et il rentre samedi soir »

Ça nous fait donc perdre 2 jours …

Mais c’est mieux que rien, parce que sans lui, on est fichus !

Nous nous fondons en remerciements et promettons à Sandra de revenir nous installer chez elle dès demain. Sa maison est juste le camp de base parfait de notre expédition !

Le soleil est passé de l’autre côté de la crête, il est déjà 17h et personne n’a envie de remonter. A vrai dire, avec ces bonnes nouvelles, moi ça va mieux, je pourrais au contraire gravir des sommets ! Nous remontons par un chemin différent de l’aller, il est soit disant plus long, mais il est plus transité et ce sera mieux pour nos chevilles, surtout dans le noir.

Après une heure de marche nous nous retournons et faisons halte. La nuit est déjà bien tombée et, sur le versant opposé, l’eau blanche des canyons luit au clair de lune, la pleine lune est juste au-dessus du plateau d’où jaillissent nos terrains de jeux. Les lucioles virevoltent autour de nous, les vers luisants tachettent notre chemin de minuscules boules de lumière, il fait noir mais il fait bon et nous remontons plein d’espoirs à la finca de German, à presque trois heures de marche.

dès que nous mettons le pied dans la finca, une énorme pluie s’abat sur la finca de guadua et dure toute la nuit . Elle est si forte que les gouttes pénètrent et nous déplaçons les matelas pour les positionner stratégiquement entre les fuites.

Non, pas la pluie, tout sauf ça…

10 mars

Aie aie aie, j’ai les jambes dures comme du bois ! A force de trotter la veille on a enchaîné 1000m de dénivelé positif, et je ne compte pas le nombre de kilomètres.

Rigo a promis que, contre l’hébergement à la finca de German, nous irions jeter un œil d’expert sur le canyon d’à côté. Il voudrait utiliser sa finca pour travailler dans le tourisme. Le projet plait à Rigo et, toujours dans son insatiable idée de faire plaisir à tout le monde, il prend le projet à cœur.

Nous pensons donc avoir le temps de nous acquitter de ce service pour pouvoir dans la foulée déménager dans la vallée avec bonne conscience. Je devrais en prendre exemple : les promesses d’abord, le reste ensuite…

« Moi je viens pas avec vous » lance Fredo depuis le hamac, suspendu dans le vide vers les grandes canyons « il faut qu’on bosse ». je me sens visée, serait-ce un message subliminal ?

« Franchement, il n’y a pas besoin du perfo » me dit David, alors que j’enclenche la batterie

« Mmh, tu crois vraiment ? »

« Nous on fait tout sur AN»

Il parle des Amarrages Naturels. Ce type d’ancrage consiste à utiliser les arbres ou les rochers comme point d’ancrage pour descendre en rappel. Fred et moi les utilisons autant que possible, mais parfois il n’y a pas d’autre solution que de mettre des relais mécaniques.

« Ah bon. » fis-je en reposant le perfo. Mais c’est chaud quand même …

« Allez, finalement je viens » craquait Fred en claquant son Mac. Il prétexte que c’est la petite Marcella qui l’empêchera de se concentrer, mais moi je suis sûre que le bruit de nos mousquetons l’a fait craquer ! « Et bien sûr qu’on prend le perfo » ajoute-il en le glissant dans la poche étanche !

Ouf, voilà qui me soulage, parce qu’on ne sait jamais.

Vue depuis la finca de German

D'une minute à l'autre, la brume nous innonde

Nous partons de la finca avec notre déguisement de canyonistes (combinaison, baudrier, chaussures, casque) et allons jeter un coup d’œil au canyon d’à côté. Il me semble bien qu’hier, en venant, nous sommes passés sur le pont du canyon, et que le cours d’eau était, comment dire… plutôt blanc.

J'en reviens pas que Rigo ai juste "lidée" de vouloir se mettre là-dedans pour proposer ça a German et ses futurs clients!

Et effectivement, personne ne se presse pour entrer. Quand ça se fait des courbettes pour passer dans le canyon, c’est souvent qu’il y a quelque chose qui ne va pas… Et là, en l’occurrence, c’est le débit.

Nous entrons quand même, sans toucher l’eau. La force du courant forme des rapides et des remous qui ne laissent pas l’eau stagner, elle est blanche d’en haut jusqu’en bas de ce que nous pouvons voir du canyon. Le bruit du torrent couvre nos voix et franchement, Fredo et moi on ne se le sent pas. Fait chier, notre équipe nous découvre dans l’action, ils attendent beaucoup de nous, qui nous sommes greffés à leur Expé comme des poux, et nous allons nous défiler comme des anguilles. Tant pis.

« Ben franchement, on n’est pas préparé, on ne sait pas ce qui nous attends, et si German veut un canyon à client, celui-là n’en sera jamais un. » réponds Fred à Rigo, suspendu sur un arbre à 2m du débit. Nous regardons tous les cinq le torrent du canyon, désolés, interdits.

« Et toi qu’est-ce que tu en penses Ana ? » me demande Rigo, qui sonde toujours la totalité de son équipe

UIls m'appellent rarement par mon prénom complet dans le pays.

« Non, franchement c’est abusé, pour moi il y a trop d’eau. » dois-je admettre

« David ? »

« On va faire le petit canyon d’à côté ? » suggère ce dernier

« Hugo ? »

« Comme vous voudrez » concilie le frangin

L’équipe fait demi-tour. J’ai pas plus de peine que ça. Bien sûr, je trouve ça dommage, rien que par le fait de renoncer, mais franchement moi les gros plans inclinés ça me gonfle. On avait bien repéré ce canyon sur GoogleEarth : 1200m de dénivelé, pour 3000m de développement (longueur). Bien sûr, on ne ne sait jamais. M'enfin... C'est peut-être le brouillard qui donne une ambiance peu sereine.

Nous nous engouffrons donc dans le petit cours d’eau qui se situe entre le gros canyon et la ferme, et sommes agréablement surpris de ces charmants petits rappels boisés.

« Il s’agit certes de verticales « inclinées », mais pour un public débutant c’est parfait, c’est joli, c’est à côté de chez German, il faut juste trouver un chemin de sortie » commente Rigo, notre éternel optimiste, alors que je lui demande ce qu’il pense de ce petit affluent quelques ressauts avant la fin.

Nous faisons 5 rappels, dont 3 d’une quarantaine de mètre, et un creusé dans un joli encaissement rocheux. Les petits ressauts finaux débouchent droit dans « le gros canyon » qui n’est plus du tout « incliné ».

« Wouahh, ça bastonne ! » fis-je en arrivant à mon tour, alors que mon équipe est déjà sur place, sidérée par la force de l’eau. Le spectacle est grandiose, il doit bien y avoir 600 litres par seconde. Fred pense qu’il y en a peut-être même 800 (mais pas 1000). A cet endroit, le lit de la rivière est assez large et nous permet de traverser à gué pour atteindre l’autre rive et disposer d’un meilleur angle de vue sur l’obstacle suivant. Le gros canyon se resserre étroitement, les parois ne sont séparées que de quelques mètres et l’eau s’engouffre dans un rappel d’une vingtaine de mètres suivie d’une pente lisse qui expulserait n’importe qui contre la paroi d’en face, pulvérisé par ce geyser. Brr, ça me fait des frissons dans le dos rien qu’à l’idée de glisser de mon arbre suspendu.

Nous faisons demi-tour et rebroussons chemin par un affluent de notre petit canyon et, après quelques coups de machette bien placés, nous débouchons tout juste … sous la finca de German. Voilà une belle mission d’accomplie !

Canyon de German

Les heures passent, nous profitons de l’après-midi pour nous reposer un peu, préparer nos petites affaires. Nous sommes censés descendre chez Sandra mais l’heure tourne, je sens que ça va me filer sous le nez cette histoire.

Il y a plusieurs arguments qui pèsent dans la balance de "la flemme" en faveur d’une nuit de plus chez German : nos sacs sont lourds, il va faire nuit, le mari n’arrive que demain, on se repose. Demain à la première heure, Horacio peut descendre avec une mule, on partira tôt et à 8h on sera déjà sur la marche d’approche du canyon. En plus de ça, en prenant toutes nos affaires, on pourra sortir par la vallée, et ne plus remonter par chez German. Et en restant ici ce soir, on s'économise le poids d'un repas.

C’est sûr que tous ces sacs, ça va pas être du gâteau. Je propose de réduire le poids à un sac maximum par personne, plus une corde. Ça fait mal au cœur à tout le monde, et le groupe traîne. Visiblement ce n’est pas la bonne solution.

Une séance de vote s’impose, animée par Président Rigo :

« Qui vote pour rester ? »

3 personnes lèvent la main.

« Ana, tu n’as pas l’air convaincue ? »

« C’est que de 1 : je trouve ça con de rajouter de la fatigue pour demain tout ça pour pas porter des sacs et pas marcher de nuit. 2 : demain matin il va pleuvoir comme ce matin, ça a l’air régulier ici et personne, moi la première, ne voudra partir sous la pluie. 3 : Si on part demain matin, on peut considérer que la journée de demain est fichue. Vu la descente, on ne pourra pas renchaîner 800m de dénivelé derrière + le canyon ! Mais c’est vrai qu’on doit penser au retour, et remonter cette côte avec tous les sacs c'est compliqué.»

« Bon, bon, bon… »

Il ne faut pas plus de 5 minutes à Rigo pour trouver la solution. Un petit SMS arrive : le chasseur est finalement rentré ce soir ! Quelle bonne nouvelle ! Et la deuxième : nous partons légers, avec nos petites affaires de ce soir dans un sac, et nous chargeons la mule de Horacio, qui nous amènera nos affaires le lendemain, à la première heu… »

Zouu, ça empaquète, ça réparti, ça rempli les costales, Rigo n’a même pas eu le temps de finir sa phrase que l’idée brille tellement elle est parfaite et je suis aux anges ! Nous partons dès ce soir descendre la montagne au clair de lune et à la frontale, quelle belle vie !

Pendant ce temps Horacio ne le voit pas du même œil : non que ça le dérange de descendre avec la mule de bon matin, mais depuis qu’il m’a entendu mentionner la pluie, il ne cesse de répéter « Ah non, ah ça non, légalement je ne peux pas sortir si il pleut. C’est pas possible, légalement, ce n’est pas possible, je ne peux pas me mouiller. » Puis il quittait la pièce pour aller chercher la mule à l’autre bout du pré.

Les expressions de cette région sont tantôt hilarantes, tantôt attendrissantes. Et les gens du coin on aussi un accent très attachant, qui donne à l’espagnol colombien un ton encore plus doux, plus chantant.

18h30

Un lombric de la taille d'un serpent

Attendrie par le style de vie de Reina, je fais mes au revoir par une forte accolade avec la mère et sa fille, et nous reprenons le sentier de la veille dans la nuit noire. Il fait lourd, les nuages nous empêchent de voir la pleine lune. Les lumières des fincas éparpillées brillent dans les montagnes noires autour de nous, d’énormes crapauds bondissent devant nous, nous faisons la rencontre avec le plus gros lombric que j’ai vu de ma vie, si gros que je croyais qu’il s’agissait d’un serpent. La forêt nous accompagne avec tous ses bruits, dont ceux des singes. Hugo, notre sherpa, coure en tête de file avec trois sacs sur le dos, je me perds dans les discussions du projet touristique de German avec Rigo, comme si le projet était nôtre, et Fred accompagne David en fin de défilé, perdus dans des arguments concernant le canyon. Je nous imagine depuis le versant d’en face: on doit apercevoir une petite ribambelle de lumières qui descends gaiement de la montagne.

Deux heures plus tard nous traversons le pont qui nous mène au Hameau du Barrage, construit par El Carmen del Vivoral, la commune dont le slogan affiche : Dieu, Travail, Patrie. Des valeurs bien différentes de notre Liberté Egalité Fraternité.

Dans l'obscurité, devant la finca de German. (De gauche à droite) : Fred, moi, Marcella et Reina, David, Rigo, Hugo et Horacio.

20h30

Merde, la finca est éteinte, Sandra et son mari doivent dormir. En plus de ça, avec notre accoutrement dans le noir on doit faire flipper. Mais si on éteint nos frontales c’est pire !

« Sandra, Sandra… »

Une lampe torche s’agite à la fenêtre, puis sort timidement par l’une des portes qui donne sur le patio. Ah, la voilà notre charmante fée du logis ! Son mari l’accompagne, je l’imaginais bien plus « bourru » ! Hernan est un poil plus grand que sa femme, il a la peau blanche, les cheveux noirs raisonnablement courts, un visage carré, les mains poilues. Il porte un jean avec une ceinture en cuir, une chemise à carreaux bleus sans manche et une casquette. Son air est sévère, et pourtant ce n’est pas du tout la personnalité de l’homme !

Sandra nous apporte rapidement un « claro » frais, un jus de maïs très léger, avant de disparaître derrière sa gazinière à feu de bois.

« Alors, Don Hernan, vous avez mis combien de temps pour descendre par le chemin ? » demande Rigo

Il venait de El Carmen, il a donc pris le même sentier que nous pour rentrer chez lui. Nous sommes assis dans le patio autour de Hernan pendant que Sandra nous prépare à souper. Chacun s’est installé à son aise: sur le muret de briques, sur un banc, sur une chaise. Les sacs ont été entassés en vrac à l’une des extrémités du patio. Hernan a pris place sur sa chaise préférée, une chaise de ces écoliers qui a la petite table d’inclue. Il est accoudé et il nous raconte ses aventures dans les bois. Nous sommes pendus à ses lèvres. Son rire ponctue ses récits de temps à autre.

« 1h30. J’ai mis plus de temps aujourd’hui parce que le petit était malade »

Il doit connaitre le chemin par cœur.

Avec le bruit de nos voix le petit Santiago s’est finalement levé pour apparaître timidement dans le dos de son père, sur lequel il s’est fièrement accoudé.

« Et donc vous êtes venus voir les cascades ! »

« Oui Don Hernan, il parait que vous connaissez ces bois par cœur vous a vanté votre femme ! »

« C’est vrai qu’il n’y a pas mieux que mon mari pour vous guider » le flatte sa femme à nouveau, en nous distribuant nos bols remplis à ras bord de bananes, lentilles, manioc, patates, œuf et un petit bout de viande. Elle revient ensuite avec des verres de lait de la traite du matin, mélangé à du jus de goyave.

Hernan rit

« Oh moi je vous emmène où vous voulez ! A la cascade, en haut, à la moitié ! Je suis né ici, autant vous dire, ici c’est toute ma vie ! »

Nous sommes tellement réjouis d’entendre la bonne nouvelle de sa propre voix. Non seulement il va nous indiquer le chemin, mais en plus il va nous guider ! Quelle chance extraordinaire !

« Et par hasard, vous savez comment s’appellent ces canyons ? » le questionnais-je, émerveillée, entre deux bonnes cuillères de nourriture

« Alors celui-ci (le canyon de droite), c’est Esmeralda (l’émeraude), pour l’ancienne mine d’or qu’il y avait en haut. Celui-là » il pointe à sa droite car il est de dos aux cascades « c’est celui de l’Alfombra (le tapis). »

« Et en face ? »

« Chez Horacio ? »

« Oui ! »

« Celui-ci c’est Santa Barbara »

Mon équipe, pendue aux lèvres d'Hernan, notre chasseur, notre guide, et notre futur ami

Et nous nous couchons à l’étage, dans des modestes couchages en planches de bois où on probablement dormi leurs grands-parents. Les matelas sont fins et durs. Sur une petite table, un grand tas de couvertures tissées permet de se servir à volonté, le sol est du béton brut qui n’a jamais été peint et le toit est fait de tôles soutenues par les guaduas. Depuis ma fenêtre je vois l’Esmeralda. Depuis le balcon, on voit l’Alfombra. Les canyons sont à quelques pas de la maison c’est vraiment idyllique.

Nous nous couchons aux anges et dormons d’un sommeil profond. Il n’y a vraiment rien ici qui puisse nous déranger. Ce soir il ne tombe qu’une petite pluie fine et nous nous endormons en ignorant encore que leur ferme sera le meilleur camp de base de Canyon y Machete. Hernan a mis un nom sur nos rêves.

Demain elle est à nous : La Esmeralda

Suivez notre aventure dans l'Antioquia en trois volets, allongé dans un bon canapé ! Premier volet à télécharger ici. Bonne lecture!


 
 
 

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