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Dernier épisode

Ça sent le départ. Ça fait deux semaines que ça sent le départ. Voilà près de 5 mois que nous sommes en Colombie, à encourager notre Expédition, à la pousser vers l’avant, à parfois la porter à bout de bras, mais on dirait qu’on s’essouffle. Une accumulation d’évènements fait que nous sommes prêts à partir avant l’heure. C’est un sentiment étrange.

Je profite des heures d’attentes bruyantes dans le tumultueux aéroport de Bogota pour m’enfermer une dernière fois dans ma bulle et vous raconter la fin de l’histoire, le dernier épisode de l’Expédition Canyon y Machete 2017.

Trajet de ces dernières semaines

17 mars

Le retour à la civilisation est assez violent. Nous quittons notre havre de paix dans l’Antioquia, sommes jetés dans les rues pleines de circulation chaotique. Les gens sont accrochés à leur portable, personne ne se laisse jamais la priorité, pas de galanterie ni de poésie. Je ne peux m’empêcher de penser à Hernan et Sandra qui sont si malheureux et apeurés en ville. Et à ces citadins qui n’échangeraient leur univers de béton pour rien au monde. Que de vies parallèles.

Fred et moi nous trainons, à l’accoutumés, avec nos sacs en surpoids. En traversant le Terminal de Medellin, un panneau me fait sourire. Il conseille les voyageurs de ne pas charger plus d’un 6ème de son poids pour voyager aisément. Ce qui correspondrait dans mon cas à 10kg. Hors on porte en ce moment un ratio supérieur à la moitié de notre poids, en charriant chacun 40kg. Je vous entends dire « Mais qu’est-ce qu’ils portent donc, de la ferraille ? »

Mmh, oui, c’est exactement ça ! Nous portons exactement 58 broches et 30 relais, c’est du matos d’équipement de canyon très lourd qui va nous servir pour donner un « Cours d’Equipement en Scellements Chimiques » aux canyonistes les plus chevronnés du pays, avec qui nous avons eu la chance de partager de belles ouvertures ces derniers mois.

Une nuit en bus double étage nous permet de les rejoindre à Guayabetal, dans le Cundinamarca, quelques heures à l’Est de Bogota.

Notre équipe nous attend bon pied bon heure, à Guayabetal. Vous souvenez vous de ce village horrible constitué de maisons et commerces répartis de part et d’autre d’une autoroute ? Le contraste avec la ferme dans l’Antioquia est effarant, on ne pouvait pas s’infliger un changement aussi brutal ! Nos 5 élèves sont très motivés pour pomper toutes les connaissances que nous pouvons leurs apporter. Ils sont attentifs et disciplinés.

C’est Fred qui donne le cours (moi je fais la petite souris, je souffle les réponses!). Ca fait une semaine qu’il le prépare et, franchement, le rendu est génial !

La mairie de Guayabetal nous prête la bibliothèque. Nous disposons donc d’une salle de cours calme, avec l’écran pour projeter le PowerPoint de Fred. Nous sommes partis de leurs connaissances, et avons sollicité leur curiosité en disposant l’ensemble des différents ancrages que nous pouvons utiliser en canyon sur une table. Cette première partie du cours nous a permis d’embrayer sur la seconde : l’intérêt d’utiliser le scellement chimique en canyon. Malgré la chaleur ambiante, nos élèves sont restés concentrés, et montraient leur engouement en nous arrêtant régulièrement pour poser différentes questions. Un représentant de chez Petzl Colombie défendait ses arguments commerciaux pour sa marque, tandis que notre ingénieur ne pouvait s’empêcher de se lancer dans des calculs sur les facteurs de chute et de choc. Un autre s’appliquait à mémoriser les étapes de la pose des broches tandis que son voisin comparait déjà le coût d’un scellement par rapport au type d’ancrage qu’ils utilisent. Cette effervescente était très encourageante.

Fredo Maestro se régale pendant les cours !

Nous avons choisi le site de Guayabetal car la partie basse du canyon de Chirajara est fréquentée commercialement, facile d’accès, et cette partie du canyon a été utilisée de nombreuses fois comme « canyon école », c’est-à-dire le canyon idéal pour s’exercer aux manips de cordes.

Pour vous expliquer brièvement l’intérêt de notre cours : en Colombie on ne trouve pas d’équipement chimique avec des broches. Ce type d’équipement, traditionnellement utilisé en France pour équiper les courses commerciales et les courses fréquentée par la pratique amateur, est fait pour durer dans le temps. Lorsque ce type d’équipement est utilisé dans les bonnes conditions, ils apportent de nombreux avantages qui contrecarre rapidement ses inconvénients (temps de pose longue, protocole de pose stricte, poids plus conséquent, parfois plus onéreux.)

L’intérêt pour les Colombiens est de leur proposer un nouveau type d’équipement approprié aux courses commerciales, et de leur faire découvrir d’autres ancrages à celui qu’ils utilisent d’habitude (goujon de 10, 60mm, reliés avec des plaquettes (Fixe 1 ou Fixe2)).

Je vous abrège le détail de la formation en vous donnant seulement l’idée générale du déroulement de notre petite formation. Nous avons prévu un temps théorique de 4h, suivi d’un temps en canyon de 4h également qui nous a permis de se mettre d’accord sur le nombre et l’emplacement des broches. Le lendemain Fred et moi nous sommes réparti le groupe en deux de façon à ce que chaque élève puisse pratiquer suffisamment pour comprendre le protocole de la pose de broche. Sans rencontrer de problème majeur, nous avons fini dans les temps. Deux jours plus tard nous sommes revenus voir si nos scellements avaient bien pris. La réponse a été positive à 100%. De plus, la grande majorité des points a été bien placé et nous a rendu fiers de nos élèves. Après avoir fait part de notre cours au CREPS Rhônes-Alpes, le directeur nous a même signé une reconnaissance de connaissance, sous forme de diplôme, dont nos élèves étaient ravis.

Les élèves se concentrent pour poser les broches

Vérification de nos ancrages, tout fonctionne !

« Bon, ben voilà » constate Fred depuis le petit pont qui donne sur la fin de Chirajara

« Eh ouai » le soutenais-je face à ma combi, étendue sur la barrière du pont, qui gouttait

…

« Ben on fait quoi ? » demandais alors Fred.

« … »

« ? »

« Eh ouai » répétais-je un peu lassée.

Nos élèves sont partis. Nous sommes le 21 mars. Nous venons de terminer la vérification de routine de nos ancrages et franchement, … on déprime !

Il nous reste un peu moins de deux semaines avant de partir, ça laisse le temps de faire plein de choses et à la fois ça laisse le temps de rien.

« On pourrait aller faire les ouvertures que propose Didier ici ? »

« …Mouai » réponds Fred. Le cœur n’y est pas.

« Jesus ne réponds pas ? » demande-t-il plus tard.

Nous sommes toujours sur notre petit pont, dans le cul-de-sac d’une petite route goudronnée non transitée. A côté de nous il y a l’école rurale de Guayabetal mais je crois qu’elle est abandonnée. De l’autre côté il y a une maison très simple. Les enfants jouent sur le goudron, le plus grand nettoie sa moto du plus grand soin, la mère lance un feu pour préparer le repas du midi. Depuis notre angle de vue, on dirait que la maison prends feu.

« Jesus ben non pas de nouvelles »

A la base on devait filer de Guayabetal pour retourner à el Peñon. Mais Jesus est tombé malade et il peut plus nous recevoir. Nous qui nous réjouissions de passer notre dernière semaine dans les entrailles de la Colombie, à retrouver ces délicieuses sensations souterraines tout en partageant les découvertes de Jesus. Hors c’est lui qui a découvert les grottes. Sans Jesus, pas d’accès. On est hyper déçus. Ça nous rajoute un coup au moral… Surtout que nous avons prévu de tenter les tests d’entrée au DE Spéléo, qui ont lieu quelques jours après notre retour en France et franchement, on se sent rouillés. Ça doit être l’eau des canyons !

« Fais ch… » se lamente Fred alors que nous remballons machinalement nos affaires de canyon encore mouillées dans nos sacs.

« Ben on a qu’à rentrer à Bogota et on verra… » proposais-je à contre-cœur. Mais il faut bien faire quelque chose.

L’avantage c’est quoi, désormais, quoi qu’on fasse, nos sacs sont raisonnablement plus léger puisque nous nous sommes débarrassé de l’intégralité de notre stock de broches. Une bonne action pour la Colombie et pour notre dos !

La capitale n’a pas changé. Il pleut. Nous retrouvons notre petite pension habituelle. A force de revenir, ça en devient presque familial !

Les jours passent à Bogota. Nous nous sommes engagés à honorer notre grande « Despedida » (Soirée de départ) avec nos amis canyoneurs. Ayant tous un métier (c’est dingue !) nous convenons donc de nous retrouver tous en grande forme vendredi soir, pour être sûrs d’avoir une journée entière de repos le lendemain.

Ce qui nous laisse que quelques jours de manœuvre. Pas de quoi nous motiver à monter une escapade. Alors on traine entre l’auberge et tous les BBC de la capitale (Bogota Beer Company, définitivement le meilleur pub de bières artisanales colombiennes !).

Plus de RDV au Ministère, plus de grande ouverture de prévu, plus de cours ou de rencontre de prévu. Personne ne nous attends et ce nous avions prévu tombe à l’eau. Ça fait des jours qu’il pleut sans cesse à Bogota et dans une grande partie du pays : la saison des pluies a bel et bien commencé, et les canyons sont gorgés d’eau. Vous imaginez notre désarroi ? Alors vous comprenez pourquoi nous nous sommes réconfortés dans la BBC !

Nous qui attentions notre dernière semaine avec impatience. Les plans étaient nombreux et voilà le résultat:

  • Spéléo avec Jesus : il ne peut pas nous recevoir.

  • Ouvertures à San Gil (le seul département encore sec en Colombie je crois) : notre contact ne peut pas nous recevoir.

  • Une semaine à Leticia, au cÅ“ur de l’Amazonie : mmh 4 jours c’est un peu abusé vu la distance

  • Ouvertures dans le Nariño (c’était mon plan préféré !) : les infos ne montrent que des rivières en crue. Il y aura, quelques jours plus tard, une coulée de boue monstrueuse qui a dévasté Mocoa, la capitale du Putumayo.

On ne peut pas lutter, c’est la saison des pluies, c’est fini le canyon, c’est tout.

Samedi 1er mars

Notre soirée de départ ne pouvait pas être mieux réussie ! Nos amis canyoneurs nous attendaient avec l’enthousiasme et la sympathie qui leurs est propre. Nous nous rejoignons chez Felipe et avons chaud au cœur en les voyant tous ensemble, alors que nous les avons tous connus séparément. Felipe et Alexandra avec qui nous avons terminé l’ouverture de la grande cascade de la Chorrera, Jhon et Liber avec qui nous avons monté une tyrolienne pour le village de San José, et but nombreux petits verres de rhum, dans le Caqueta, Luis notre aventurier spéléo-plongeur et le généreux Alvaro de Chirajara. Après une bonne première partie de soirée, nos amis se réjouissent de l’étape suivante. On va danser ! Ici ils ne disent jamais qu’ils vont en boite, ils disent toujours « On va danser » et c’est beaucoup plus attrayant dit de cette manière. Et effectivement les Colombiens dansent, toujours deux par deux. Leurs pas se répondent, les binômes sont harmonieux, la musique est chaude et l’aguardiente coule à flot. C’est une belle soirée de départ, incontrôlée, qui fait bel et bien au revoir à « Canyon y Machete », eux, comme nous. Et les promesses d'une nouvelle Expé commencent à naitre. Il faut qu'on revienne. Il reste tant à découvrir...

Soirée de départ bien fêtée, avec nos amis canyonistes de Bogota

18h, avec le mal de crâne

On a colmaté toute la journée, ça me rappelle les lendemains de disco de ma jeune vingtaine !

« Franchement Fred je sais que j’insiste mais les mecs du Boyaca sont hyper motivés pour qu’on vienne » entamais-je la discussion d'un lit superposé à l'autre.

Les mecs du Boyaca ce sont des guides de canyons que nous a recommandé Jhon. Deux jeunes, la trentaine, qui ont chacun leur boite de sport d’aventure à Villa de Leyva, la ville de tourisme préférée des Bogotanais. Villa de Leyva est une jolie ville à l’architecture coloniale qui, de son temps, avait déjà été créé pour que les colons « partent en vacances ». C’est marrant comme l’esprit perdure. Outre deux autres villes, le département du Boyaca, voisin de la capitale, n’a que des villes, villages et lieux-dit aux sonorités indigènes. C’était les terres du peuple Muisca, le déclencheur du mythe de « El Dorado ». Dans le département du Boyaca il y a un lac d’altitude, ressemblant à un cratère noyé, qui s’appelle le Guatavita. Ce lac servait de rituel aux Muisca. Le Cacique, enduit de poudre d’or, partait sur un radeau peint également d’or accompagné de ses hommes et des offrandes : des statuettes en or, des bijoux, de nombreux objets précieux qui coulaient délibérément au fond du lac pour assurer la fertilité et la bonté de la Mère nature, la Pacha Mama. Quand les Espagnols se sont aperçus de ce rituel, ils ont rapidement tout tenté pour récupérer l’or coulé au fond de Guatavita, ils arrivaient en masse, et sans respecter ni règle ni culture, ils partaient à l’assaut du lac, comme des « sauvages ». Ils ont même essayé de le vider entièrement mais rien : au fond du lac il n’y avait que de la bout. La Pacha Mama avait accepté les offrandes de tous ces rites. Et l’El Dorado persiste.

« Moi j’étais chaud pour aller à Leticia. Mais bon, tu me diras, tenter de chopper la dengue avant les tests de Spéléo c’est peut-être pas la meilleure idée. » reconnaissait-il.

« Jhon m’a envoyé un message, il voudrait arranger notre venue dans le Boyaca »

« Ah si je comprends bien on est déjà réservé » plaisante-t-il

« C’est un peu ça ! Allez quoi. On avait envie d’y aller. Tu te rappelles, c’est le département de prédilection de Philippe » lui dis-je en blaguant, car Philippe, la cinquantaine, lorsque nous l’avions rencontré ne se rappelait guère de ses exploits vieux de 20 ans.

Nous sommes avachés dans notre dortoir à lits superposés. L’odeur de la cuisine nous donne faim. Il fait nuit, il pleut encore et les jeunes de tout horizon sont en train de préparer à manger dans la cuisine collective.

Mon portable m’indique un nouveau message WhatsApp. C’est Maicol, du Boyaca

« Chicos, avísennos cualquier cosa para que lleguen cómodos. Los esperamos » (Les gars tenez-nous au courant, quoi que ce soit on s’arrange pour que vous soyez à l’aise. On vous attends).

« Bon OK, si ça leurs fait plaisir ! » cède Fred.

C’est reparti ! Allez, une dernière ouverture pour la route, c’est exactement ce que j’espérais !

Nous prenons donc le bus vers les paysages arides et montagneux du Boyaca. Ce département est connu pour le tourisme des Bogotanais et le tourisme du sport d’aventure. Les montagnes sont accueillantes : elles ne sont pas très hautes, ni abruptes, mais ont plutôt la forme de grandes collines. La roche est extrêmement friable (je me tâte presque à vous dire qu’elle a l’air pourrie) et nous rappelle celle des Demoiselles Coiffées dans les Hautes Alpes : c’est de la poussière. Il y a peu d’arbres et peu de cours d’eau. La région souffre de nombreux incendies récurant et le paysage vallonné n’est recouvert que d’un léger tapis d’herbe jauni et d’arbustes piquants, caractéristique du climat aride.

Maicol et Victor nous accueillent les bras ouvert dans la jolie Villa de Leyva. Les rues sont toutes pavées de gros galets de rivières et pour cause : le climat est terriblement aride à Leyva, mais les pluies sont aussi soudaines que torrentielles, et transforme rapidement ces rues en rivières. Surtout en ce moment, où la saison des pluies a frappé un peu avant l’heure. Les maisons sont blanches et couplé de la douceur de l’air, l’atmosphère rappellerait presque les îles grecques ! Le matin, à l’ombre des épais murs blanc l’air est frais, et l’après-midi il devient brûlant. A 14h, sans faute, le ciel devient noir et la pluie torrentielle du mois de mars-avril s’abat et les rues s’inondent en un rien de temps. Si on veut profiter de Leyva, il faudra se lever tôt.

Nous sommes dans un petit bar (3 tables tout au plus), sur la grande place de la ville, une gigantesque place pavée rectangulaire fermée par des maisons et des commerces. Il s’agit de la plus grande place de Colombie ! Maicol nous a déjà servi des bières pression alors que Victor, comme à l’accoutumé, nous cuisine déjà sur toutes les connaissances, point de vue et expérience que nous pouvons lui fournir sur le canyoning. En Colombie les canyonistes sont tous, sans exception, des assoiffés de connaissances.

« Il y a ce grand canyon, Humberto, qu’on rêve d’ouvrir mais c’est hyper encaissé » nous renseigne à son tour Victor, en nous montrant le relief de la faille sur GoogleEarth pour téléphone « et il y a aussi les cascades de …, le canyon fait bien 15km (en réalité 5) et regardez cette cascade, elle est fabuleuse, au moins 100m ! et ensuite il faut qu’on aille visiter le secteur de Guamito, j’ai vu des cascades là-bas aussi et, Oh, Maicol, non, je leurs ai pas dit viens ! » invite Victor, alors que Maicol revient avec des bières artisanales, fraichement sorties du fût (très rare !)

« A Guamito on a aussi trouvé des grottes… » annonce Victor en maintenant son regard dans le nôtre, pour susciter notre envie.

Non c’est sûr, le Boyaca regorge autant de bons plans qu’il regorge d’eau en ce moment. A vrai dire, si on est venus voir les gars, c’était surtout pour les rencontrer et passer du moment avec eux. Parce que vu le débit des cours d’eau, on ne va pas se mettre dedans pour faire de l’ouverture. Et encore moins avec les déluges qui tombent dès 14h.

Ces éléments pris en compte, Victor et Maicol ont encore un tour dans leur sac :

« Aaah mais demain de toute façon on avait prévu d’aller ouvrir un canyon sec ! »

Voilà qui me redonne le moral ! Je commençais définitivement à faire une croix sur les ouvertures, et ça me faisait mal au cœur d’en finir déjà !

Lundi 27 mars

Le Tuno esmeraldo

Debout 6h30. Ça fait du bien de reprendre ce rythme. Bogota a complètement foutu en l’air notre horloge biologique. C’est impossible de se coucher à 20h là-bas !

RDV à 8h avec les gars à Leyva. Ils arrivent à 9h. Et ça traine. Rien de bien méchant, mais chacun y va de son petit rythme. Fred et moi voyons l’heure tourner. Le canyon est certes juste à côté de la ville, mais il y a une marche d’approche à faire dans les buissons de 500m de dénivelé positif, sous ce soleil de plomb, et on ne veut plus être dans le canyon à 14h, sinon c’est les chutes de pierre assurées.

« Allez, on y va » lance Fred sur les coups de 10h.

« Attendez, on va bien boire un petit café quand même » le contredit Victor.

« Je vous rejoins j’ai oublié quelque chose » renchéri Maicol.

Nous montons peeeetit à peeeetit sur la montagne, rive droite du canyon. Nous avons étudié notre canyon la veille sur Google Earth : 300m de dénivelé, 600m de développement. C’est un tout petit, mais il a l’air mignon et il est sec. En gros : on a rien d’autre à se mettre sous la dent !

A midi nous sommes au départ du canyon initialement prévu. Il ne doit pas beaucoup prendre la crue car le lit du cours d’eau est plein de végétation. Il reste des petites vasques pleines d’eau de pluie de la veille. La roche est fraiche ça fait du bien. C’est du calcaire.

Allez, faut commencer : MACHETTE !

Les petits ressauts s’enchainent, la vue sur Leyva est magnifique. Victor est un incollable sur la faune et la flore, et nous apprends plein de détails et d’originalité sur la faune locale. Il nous montre par exemple le Tuno esmeraldo, un arbuste qui produit des petites baies de la couleur de la pierre précieuse, et dont raffole un colibri local et endémique !

Nous atteignons une partie un peu plus verticale, constituée de deux rappels de 25m avant d’arriver dans une partie bien encaissée qui nous excite tous. Victor en abandonne même les selfies et Maicol la machette ! Le canyon se resserre pour atteindre une largeur d’à peine quelques mètres. La végétation n’envahi plus le lit sec du canyon, ça devient sérieusement intéressant. Nous atteignons un rappel d’une trentaine de mètre, « en fil d’araignée », plein vide entre deux grandes parois d’une soixantaine de mètres. C’est le coup de théâtre, et à ce moment, à l’endroit le plus étroit, l’orage éclate sans prévenir et des trombes d’eaux s’abattent comme un rideau sur la scène. Je distingue à peine Fred, en bas, qui fait des gestes d’impatience pour que Victor cesse de prendre des photos et se magne le train à descendre.

« Vamos Victor » ordonne Fred

CLAAAARC (éclair assourdissante)

Mais Victor, saisi par la beauté du rappel, ne prends pas conscience que, même un canyon sec peut prendre la crue.

« VAMOS YA ! » vocifère Fred.

Victor le regarde alors et range son appareil. J’incite Maicol à le suivre rapidement mais personne ne se presse. C’est dingue d’être aussi zen !

En deux deux je fini la manip sur l’arbre pour pouvoir rappeler la corde et descend en dernière. C’est vrai que le cadre est splendide. On se croirait au bout du monde. On dirait qu’au-delà, il n’y a plus rien. C’est le « Cañon Perdido ».

Fred hâte le pas en pensant inciter la troupe, mais derrière ça ne suit pas. Puis nous quittons les falaises et en un rien de temps, nous nous rendons compte que le canyon est déjà fini. Dommage. Une belle petite course sèche. On le voit depuis Leyva, il est juste à côté. Et on voit aussi de nombreuses autres failles, ça vaudrait le coup de prospecter.

Comme prévu les trombes d’eaux se rejoignent à Leyva et l’inondation ne tarde pas à arriver, en détachant des anémones fossilisées. Un jour, il y a des millions d’année, cette région montagneuses étaient recouverte par la mer.

La suite des plans tombent à l’eau. Le lendemain nous faisons une sérieuse étude des possibilités, mais beaucoup de villages sont inondés. Il parait que dans le Boyaca il y a la grotte la plus profonde ouverte en Colombie. Les gars ont eu vent de quelques échos, mais les propriétaires ne laissent personne entrer sans moyenner une grosse somme d’argent. C’est outrant autant que ce n’est pas de notre culture. Les autres réseaux sont souvent des résurgences, alors c’est pas la peine de penser à aller se mettre dans ces boyaux noyés.

On met les voiles ! Il faut se l’avouer, l’Expédition est finie.

Nous quittons Maicol et Victor, terriblement déçus de ne pas avoir pu vivre autant d’aventures que souhaité, en leur promettant de revenir faire des explos un jour (« à condition d’avoir un peu plus la patate » ajoutait Fred « c’est exaspérant d’être aussi lent ! »)

Voyage en bus de nuit à Cartago, le dernier.

28 mars, un peu avant l'aube

La famille où nous sommes arrivés il y a cinq mois est toujours là pour nous accueillir.

Nous profitons des jours restant pour faire le plein de cadeaux pour toute la famille et de kilos de café pour répondre aux commandes (pour ceux qui n’ont pas passé commande c’est trop tard !) . Nous faisons tout ce que nous nous étions promis de faire à Cartago avant de partir : trouver les iguanes sur la place du centre-ville, visiter les associations de broderie (la spécialité de Cartago), trainer chez les fabricants de cuir, rencontrer les producteurs de café et se prendre en photo avec les mannequins aux seins énormes dans les vitrines !

Nous profitons de passer des moments en famille que notre grande vadrouille a rendu rare. Nous remplissons les valises, en prenant soin de ne rien oublier, et de repartir avec moins de poids qu’à l’aller. Je suis heureuse de vous dire que presque deux valises sont maintenant dispersées dans les canyons colombiens … Malheureusement elles ont rapidement été remplacées par deux valises de cadeaux et de souvenirs, qui vont nous encombrer tout autant qu’à l’aller !

Nous nous préparons au voyage mais depuis la fin du cours de Guayabetal, je sens que dans notre tête, on est déjà partis. On pense au retour, au test de spéléo, à la saison de canyon qui va reprendre. Non, faut pas relâcher les efforts, l’arbre à côté de la maison fait bien l’affaire pour réviser les manips de secours sur corde tendue, une des épreuves imposée lors des tests.

Estella, Jesus, Juan Pablo, Claudia, Dago et Uva sont là pour fêter notre « despedida ». Au programme : salsa ! Décidemment ces Colombiens ont le rythme dans la peau !

La veille du départ, je demande à Estella de m’aider à remplir ma dernière volonté : manger des patacon maison. C’est une délicieuse galette de banane écrasé qui me rend folle !

« Alors ça y’est, mission accomplie les gars » nous félicite Uva, toujours aussi heureux de nous voir ! Nous sommes assis dehors, sur le trottoir. Le ciel est étoilé alors que dans quelques heureux il va encore pleuvoir des tonnes !

« Merci d’être venu Uva » entreprend Fred, alors que nous devons nous quitter

« Revenez bientôt, et merci pour tous ces moments, on s’est bien marrés ! » remercie Uva en retour.

« Ça c’est bien vrai ! Qui sait, on se reverra peut-être en fin d’année ». Et à mon tour de le serrer dans mes bras. Un vrai au-revoir à la colombienne.

« Et déchirez tout à la spéléo ! » nous lance Uva, en chevauchant sa moto.

3 avril

Nous volons au-dessus des nuages de Cali à Bogota. Le soleil de fin d’après-midi brille d’une lumière aveuglante et blanche, qui illumine le lac de Calima et fait scintiller le fleuve du Cauca. Les sommets des volcans du Tolima et celui du Ruiz effleurent les nuages, et la blancheur des glaciers, majestueux, se confonds dans la mer cotonneuse. 5000m, et on dirait qu’ils sont juste à porter de main.

Les passagers à bord du vol Avianca à destination de Barcelona sont invités à procéder à l’embarquement

Mon esprit divague vers ces nuits de salsa, ces corps entremêlés à la danse si harmonieuse, à l’odeur chaude de la canne à sucre qui fond dans ces grandes cuves, aux sourires chaleureux d’un peuple si généreux, à toutes les nouvelles saveurs de fruits exotiques que nous avons découvert, aux effluves du café fraichement moulu, au rire moqueur des gecos la nuit, à la poudre de roche doré qui est sorti un jour alors que Fred perçait un trou dans Higueron …

Second appel pour les passagers embarquant à bord du vol Avianca à destination de Barcelona. Vous êtes priés de vous présenter à la porte d’embarquement

La voix de l'hôtesse est un écho lointain. Au final nous avons exploré 29 canyons, dans 8 départements différents. Nous avons passé au total plus d’une semaine complète à bord des bus, en ayant parcouru près de 10.000km vers le nord, l’Est, l’Ouest et le Sud du pays. Vous avez été 300 personnes à nous suivre, vous avez-vous aussi fait partie de l’aventure. Vous avez partagé nos émotions et vous nous avez encouragés. Comme dirait Mike Horn : « Il n’y a rien qui soit impossible, mais sans les autres, c’est impossible. »

Je ne compte même pas le nombre de personnes que nous avons rencontré, c’est inimaginable. Et je compte encore moins le nombre de personne que je dois remercier. Alors pour le moment, je commence par en remercier une...

Dernier appel pour les passagers à destination de Barcelona, veuillez procéder à l’embarquement avant la fermeture des portes

Merci Fred pour m’avoir accompagné dans cette grande aventure, pour avoir permis l’Expédition de vivre de cette manière, dans ses succès et dans ses échecs, pour m’avoir insupportablement raisonné de nombreuses fois, pour avoir su communiquer avec humour à défaut de te faire comprendre dans la langue, et pour avoir permis de donner la vie à Canyon y Machete.

Une si grande aventure, ça donne envie d’un Canyon y Machete 2018. Qui est partant ?

Le Dernier épisode à téléharger ici.

Itinéraire total Canyon y Machete


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