Tous les aventuriers, qu’ils soient grands ou petits, et tous les explorateurs, célèbres ou inconnus, ont un jour eu envie de vivre ces moments-là : se retrouver loin de tout, de la civilisation, des bruits de la ville et de ces ondes en tous genres, des écrans et de l’oppression permanente qu’ils engendrent… Cette envie, ce besoin même, de s’éloigner en quelque sorte du monde qui est le nôtre, ne serait-ce que pour quelques heures, et de rentrer en harmonie avec le vivant, la nature elle-même, nous anime Fred, Anaïs et moi. Et quel endroit plus propice et plus puissant pour cet isolement et cette connexion que la forêt amazonienne elle-même ! Le poumon de la Terre, immensément sauvage, est là devant nous et nous allons nous y engouffrer pour 3 jours et 2 nuits qui resteront gravés dans nos mémoires…
Dia 21 : mardi 21.11.2017
Nous sommes dans le Putumayo, le département voisin du Nariño où nous venons de passer 2 semaines assez intenses. Afin d’atterrir à Mocoa, la capitale, nous avons repris « el trampolin de la muerte » depuis Pasto et donc dans l’autre sens cette fois-ci. Souvenez-vous c’est cette piste mal réputée traversant la majestueuse cordillère des Andes. Ce mardi, malgré notre réveil matinal, le départ de Pasto fut pourtant un peu compliqué : la camionetta, qui est censée nous transporter sur cette célèbre route, ne partira pas à moitié pleine pour ce long trajet, et il nous faut attendre une bonne heure et demie pour que les passagers complètent le véhicule. Au terminal, Anaïs fait les 100 pas en éclatant ses « minutos » (crédit de téléphone) sur Facebook, Whatsapp et autre (que nous regretterons bien plus tard), pendant que Fred et moi tentons d’apprendre la patience.
Nos bagages bien ficelés et protégés de la pluie sur la galerie. Nous, perchés à l’arrière du pickup sur une banquette sommaire faite d’une bâche étalée sur les valises des gens (pas trop désagréable, sauf le couinement du polystyrène). Nous partons sur le coup des 10h et le soleil (bienvenu) nous accompagne une nouvelle fois durant ces longues heures de transport. Chacun sa stratégie pour faire défiler les kilomètres : Fred dévore son bouquin, Anaïs et moi partageons de la musique en observant ces paysages toujours aussi impressionnants. Avant d’attaquer la piste nous subissons un contrôle de police : ça ne rigole pas trop dans ce genre de situation, la corruption étant encore présente, on ne sait jamais comment ça va tourner et surtout combien de temps on va rester bloqués ! Toutes les identités sont passées en revue, tout comme les bagages de chacun. Le sac de Fred est fouillé et pose quelques interrogations aux policiers. Un chargeur de batterie de perfo, quelques maillons rapides et plaquettes, une corde de 70m, un sac de couchage et des gougeons… « Vous êtes Français et en vacances en Colombie, mais c’est quoi tout ça ? ». Quelques questions de routine auxquelles chacun répond en toute honnêteté et 30 minutes plus tard nous repartons tranquillement en direction du Putumayo.
Nous arrivons en milieu d’après-midi à Mocoa. Après 2 semaines passées aux alentours de 2000m d’altitude nous sommes redescendus à 500m et le changement de climat est radical : la chaleur ici est étouffante. Il fait plus de 30 degrés et le taux d’humidité est assez haut, les gens se baignent dans la rivière à l’entrée de la ville et je les envie. Très vite nous rejoignons Rosemberg et Luz à leur Hôtel. Fred et Anaïs les avaient rencontrés l’année dernière au début de leur séjour : ils avaient passés quelques jours ici et notamment découvert à leurs côtés le canyon de « Fin del Mundo », une des courses les plus réputée de Colombie. Les retrouvailles se passent et nous programmons ensemble les sorties à venir. Enfin, Luz fait le programme pour tout le monde, c’est comme ça que ça se passe ici ! Sans en savoir beaucoup plus Rosso (Rosemberg) nous avait fait rêver en nous parlant d’un projet d’ouverture sur 2 jours et d’un hypothétique bivouac. Il s’agit en fait d’aller ouvrir le canyon de Churumbelo, sur le massif qui porte le même nom et qui surplombe la ville de Mocoa. Ce relief fait office de barrière naturelle avec l’immensité de la forêt amazonienne qui s’étend ensuite à perte de vue vers l’Est. Le projet nous plaît, il nous enchante même ! C’est parti pour le traditionnel repérage sur Google Earth et une bonne nuit de sommeil avant de nous lancer dans la grande aventure…
Dia 22 : mercredi 22.11.2017
Une tribu indigène sacrée vivait depuis toujours aux alentours de la Cascade de Churumbelo. Elle appartenait, semble-t-il, au groupe des Ingas. La légende raconte qu’un jeune garçon miraculeux appartenant à cette tribu venait chaque matin s’y baigner, et chaque matin le miracle se produisait : la vasque se remplissait d’or. Les femmes venaient alors, suite à ce bain, collecter le brillant dépôt.
A leur arrivée, les colons eurent vent de cette légende et voulurent évidement s’emparer de tout cet or. Ils attaquèrent ainsi la tribu et violentèrent une des femmes du village. Par vengeance, le cacique (Chef d’un groupe indigène) ensorcela la cascade. Dorénavant, à chaque fois qu’un étranger mettra le pied dans cette quebrada, ou s’en approchera, le déluge s’abattra sur le cours d’eau, faisant monter le débit de l’eau et empêchant ainsi quiconque d’y pénétrer !
Malgré tout notre respect pour ces légendes et l’animisme omniprésent de la population descendant de ces tribus indigènes, nous comptons à notre tour, non pas piller le canyon, mais l’apprivoiser et descendre ses belles cascades. Rosso a pour mission lui, comme il est de coutume dans la culture animiste, de demander permission à la rivière de bien vouloir nous épargner. Nous verrons bien sa réponse à ce moment-là…
Ce matin-là, pendant les préparatifs de cette expédition, alors que nous observons depuis l’hôtel notre objectif et le massif de Churumbelo, nous avons une surprise de taille : ce que Rosso nous montrait la veille sur Google Earth et le canyon qu’il pointe du doigt ce matin ne correspondent pas du tout ! En fait, nous nous rendons compte qu’il connait l’existence d’une grande cascade par là-bas, et de sa légende, mais il ne l’a jamais vue et ne sait pas non plus comment s’y rendre… En termes de repérage on a déjà fait mieux, ou en tout cas on ne peut pas faire pire ! Est-ce justement par animisme ou à cause de cette légende ? Qu’à cela ne tienne, nous ne ferons pas marche arrière cette fois-ci, nous trouverons bien notre chemin, et comme on le dit si bien : « ce n’est pas la destination qui compte mais le voyage… ». Nous emportons donc tous notre matos habituel pour ouvrir ce canyon, et en plus de quoi survivre deux jours et une nuit dans cette forêt amazonienne qui nous tend les bras. Autant vous dire que nos sacs n’ont jamais été aussi lourds et que la marche d’approche, complètement inconnue, promet d’être éprouvante !
Nous partons directement de la ville de Mocoa à pied avec tout notre barda. Quel pied justement de ne pas avoir à gérer de taxi pour nous rendre au plus près de notre lieu d’exploration. La Selva Amazonica est là, elle s’étale à perte de vue devant nous, seule la grande rivière de Mocoa nous sépare de son immensité sauvage, à la fois séduisante et intrigante ! Nous traversons la rivière (dans laquelle se jette notre canyon) par un pont suspendu très typique du Putumayo : de gros câbles et de vielles planches en bois, rouillés et usées par les crues et les embruns d’une des plus grosses rivières de la Colombie. L’instant est remarquable, ce pont semble séparer deux mondes qui cohabitent, c’est comme un point de non-retour pour nous, apprentis aventuriers ! De l’autre côté, nous empruntons un sentier bien marqué (certainement un ancien chemin des Ingas ) et nous enfonçons progressivement dans le fameux poumon de la Terre.
La chaleur étouffante et l’humidité ambiante rend notre progression délicate. Nous n’avions jamais fait autant de pause durant une ascension : tous les heures, soit environ tous les 100m de dénivelé, nous nous arrêtons pour nous hydrater, nous éponger et décharger notre dos ! Mais nous ne ressentons quasiment aucune souffrance (Rosso et ses crampes à mi-parcours ne seront peut-être pas d’accord avec cette affirmation) tellement le décor dans lequel nous évoluons est magnifique. Une nature à l’état pur, envoûtante ! Les indénombrables chants des mochilleros bercent notre balade, les arbres majestueux sont de plus en plus grands à mesure que l’on progresse, et la végétation nous offre en permanence de belles surprises : comme ces fleurs en forme de bouches pulpeuses (Labios de Negra) ou ces mini fruits à la saveur acidulée (madroño). Le sentier boueux est pourtant de moins en moins praticable et au milieu de cette jungle, il faut parfois s’orienter au feeling et toujours être très attentif à ce qui nous entoure, afin d’éviter quelques rampants par exemple que nous croisons à plusieurs reprises…
Après 4 heures de marche, nous trouvons sur notre chemin un espace plus ouvert, quelques cultures et une petite finca au milieu de nulle part ! Don Jesus nous accueille avec un large sourire et nous échangeons de précieuses minutes avec lui. Le temps de nous rafraîchir un peu et de lui demander notre route jusqu’à cette fameuse cascade. Il connait la légende et nous indique le chemin à suivre pour nous rendre à un endroit où nous pourrons passer la nuit, au plus près du cours d’eau. Selon lui, à notre rythme de fourmis (les Colombiens armés d’une machette à la main ont un rendement bien supérieur au nôtre, mais pas de bol : notre Colombien à nous, Rosso, n’a pas de machette !) nous atteindrons dans 2h une zone avec du bois coupé : de grandes traverses abandonnées en plein milieu de la forêt ont été stockées à quelques minutes du canyon de Churumbelo. Nous ne devons pas trop traîner car il est déjà 15h et il nous faut absolument trouver un endroit sûr pour poser la tente avant la nuit. Avant de repartir Don Jesus s’amuse à nous parler du Jaguar (Jaguar mariposa) qui rode dans les parages et qui lui a déjà mangé plusieurs bêtes. Il parait qu’il n’attaque que si nous montrons que nous avons peur de lui : message reçu, si la rencontre a lieu nous chercherons notre courage au fond de nos sacs, avec tout le poids que l’on porte il doit bien y avoir ça quelque part !
Les deux heures qui suivent seront inoubliables, malgré la fatigue et la pression d’arriver là-haut à temps. Le chemin se resserre, comme si la végétation voulait le reprendre, et je m’amuse à l’ouvrir à la machette. Vous savez, comme dans nos rêves de gamins où l’on se prend pour Mike Horn ! Nous évoluons au milieu d’arbres marchants (la palma bombona) : la base de leur petit tronc forme une sorte de tipi, qui sont en fait de multiples racines qui lui permettent … d’avancer ! Les couleurs et les jeux de lumières sont incroyables. Un vrai bonheur pour chacun d’entre nous que l’on savoure intérieurement, chacun à sa manière ! A 17h nous trouvons finalement l’endroit indiqué par Don Jesus. C’est parfait, il y a même un petit cours d’eau pour faire sa toilette ! Au final 6h de marche, 8 km et 600 m de dénivelé… seulement… On a connus des jours meilleurs mais nous avons atteint l’objectif du jour ! Ouf !
Sous les conseils de Rosso, en écrasant 3 feuilles sans poils et sans sève, et en les frottant sur la peau, nous pouvons nous protéger des moustiques. Anaïs test ce remède naturel, ça a l’air de fonctionner. Très vite, nous empilons les traverses de bois de façon à s’isoler du sol : on se crée en pleine forêt tropicale, à 6h de marche de la première maison, une véritable terrasse de 10m² plate et solide pour y accueillir notre tente ! Nous installons le camp avec Anaïs pendant que Rosso et Fred s’affairent à créer un feu, pas évident dans cet environnement plus qu’humide. La nuit est tombée. Nos missions accomplies nous pouvons enfin nous détendre et écouter tous les habitants de la forêt amazonienne prendre vie : c’est l’heure où les petits singes se chamaillent à la cime des arbres… En fait tous les animaux sortent ainsi de leurs abris à la nuit tombée ! De notre côté, nous profitons d’un petit bain sauvage rafraîchissant à la lueur des frontales et d’une belle soirée autour du feu de camp. Chorizos asados (saucisses grillées) et arroz con pollo (riz au poulet) au menu, on mangerait presque plus que de raison. Mais à quoi bon porter de la nourriture pour rien ? Nous écoutons et contemplons tout ce petit monde sous les étoiles qui scintillent à travers ces grands arbres. Avant de nous coucher à même le sol dans notre abri, Anaïs et moi avons l’étrange intuition de devoir retendre la mini bâche servant d’étanchéité à la maxi tente 6 places de Rosso, juste au cas où la pluie débarque dans la nuit ! Rappelez-vous la légende…
Dia 23 : jeudi 23.11.2017
C’est le déluge ! Il a plu quasiment toute la nuit et ça continue au petit matin… Au fil des heures les gouttes s’infiltrent et dessinent quelques flaques à l’intérieur de la tente. Mais pour un camp de fortune, il est quand même très résistant : la légère pente de la terrasse et la tente trop grande aident naturellement l’eau à former des goulottes tout autour de nous. Ça aurait pu être vraiment pire ! Mais la légende disait donc vrai ? Nous qui nous approchons aujourd’hui de cette fameuse cascade, serions-nous en train de défier les éléments ? Sans avoir de réponse, il nous parait difficile de nous engager dans cette grande course avec une météo aussi mauvaise… Nous sommes décidément maudits cette année, tout était parfait jusque-là !
Malgré la pluie Fred et Rosso vont repérer de plus près l’accès au canyon, vêtus de leur bas de combi tant qu’à faire, histoire de garder quelques vêtements secs. Ils repèrent ainsi la grande cascade de Churumbelo en aval, et remontent également en amont pour en savoir plus. Anaïs et moi profitons de quelques minutes de repos supplémentaire, dubitatifs quant à cette pluie, avant de les rejoindre. Le temps s’améliore un petit peu en fin de matinée mais la pluie revient ensuite de plus belle… La quebrada de Churumbelo ne veut définitivement pas de nous aujourd’hui ! Et si demain ça passait ? Nous n’avons pas envie d’abandonner encore une fois. Un problème se pose : nous avons pris de la nourriture pour 2 jours, il nous reste seulement de quoi grignoter dans le canyon dont l’ouverture était prévue aujourd’hui. Si nous restons une nuit de plus en espérant ouvrir demain, il va falloir se rationner et mettre de côté nos envies… Mais n’est-ce pas ce que feraient de vrais aventuriers ? Nous ne sommes pas inconscients et nous mesurons les risques : un sachet de chips, 4 chorizos, des restes d’empanadas humides, 4 boites de thon, quelques barres de chocolats et des bocadillos (pâte de fruit à la goyave). Tout ça pour 2 jours et 4 personnes… Ce n’est pas l’opulence mais c’est tentant, non ? En plus de ça, Rosso, pendant le repérage, a découvert à un kilomètre de notre premier camp, en amont de la rivière, l’ancien campement de chercheurs d’or. Il est constitué d’un toit de bâches pour nous abriter, d’un foyer pour faire le feu et d’une petite terrasse en bois pour poser notre tente. Encore plus tentant, non ? La décision est prise, nous changeons de camp de base ! Nous passerons une nuit de plus dans cette merveilleuse Selva Amazonica et demain la pluie escampera et nous ouvrirons ce canyon de Churumbelo ! A pardon j’oubliais… S’il vous plait Dame Nature ?
Chaque membre de l’équipe a tout naturellement sa petite tâche à accomplir pour aménager le nouveau camp près des anciennes mines d’or. Et très vite la tente sèche sur notre nouvelle terrasse, le toit est rafistolé, une corde est installée en guise de sèche-linge et nous redonnons un petit coup de jeune à cet endroit de fortune abandonné. Nous sommes bien en place pour patienter tranquillement à côté du feu de bois, en souhaitant que la pluie laisse rapidement place aux éclaircies. Nous avons cependant encore un problème de taille à régler : Luz pense que nous sommes dans le canyon ou sur le retour et avec cette pluie incessante depuis hier, elle doit terriblement s’inquiéter ! Encore plus si nous ne rentrons pas avant la nuit, et vous avez bien compris le programme, nous ne rentrerons que demain soir après avoir descendu ce canyon ! Nous avons un téléphone colombien, mais aucun réseau. Nous avions une petite connexion au camp n°1 mais pas de « minutos » pour communiquer… Dans cette configuration, un seul espoir pour la rassurer : retourner trouver une barre de réseau et attendre que Luz nous appelle pour qu’on puisse la prévenir de notre changement de plan. Rosso n’a pas l’air de se soucier plus que ça du sort de sa compagne, il dit qu’elle appellera vers 17h, peut-être… Sous la pluie incessante, nous allons avec Anaïs à la recherche de réseau : un comble dans cette jungle où l’on se sent si bien sans toutes ces ondes justement ! Mais nous devons absolument épargner Luz de toute inquiétude … et de toute initiative ! Malheureusement, aucun appel avant la tombée de la nuit et nous rentrons au camp n°2, remontant le lit de la rivière dans la pénombre, sans avoir pu régler le problème.
Finalement si nous voulons dormir sur nos deux oreilles cette nuit, nous nous résoudrons à utiliser le téléphone français de Fred pour joindre Luz, en espérant ne pas lui faire éclater son forfait ! Je l’accompagne une nouvelle fois à la recherche de connexion. Cette fois la nuit est bien installée mais personnellement je commence à connaître le chemin reliant les 2 camps par cœur. Nous réussissons enfin à joindre Luz, morte d’inquiétude, tout juste à temps pour la rassurer avant qu’elle ne rameute la guardia civil pour nous ramener à la maison, et qu’elle ne déclenche des secours qui ne nous auraient jamais retrouvés… Comme la veille, tout le petit monde invisible de la forêt prend vie dans le noir et sur le trajet retour nous croisons un serpent d’un bon mètre de long sur un rocher au milieu de la rivière. Nous le contournons sans trop s’approcher, regardant encore plus attentivement où nous mettons nos pieds et nos mains jusqu’à regagner le camp n°2. Là-bas, sur les braises brûlantes, du manioc est en train de cuire. A défaut d’avoir trouvé du poisson dans une pêche à la machette optimiste, Rosso nous dégote tout de même ces quelques racines pour accompagner notre paquet de chips et notre unique chorizo grillé ! Nous sommes au top. De vrais aventuriers au cœur d’un milieu hostile en train de déguster des racines autour d’un bon feu de camp… Dans cette énergie, la nuit promet d’être belle sous notre abri et quelque chose me dit que nous avons pris la bonne décision en restant une nuit de plus… Prions pour que demain la nature nous donne la permission de descendre ce canyon.
Dia 24 : vendredi 24.11.2017
Notre intuition se confirme au lever du soleil ! Même si le soleil ne brille pas encore, la pluie s’est arrêtée, le niveau d’eau de la rivière a baissé et le créneau tant espéré est enfin arrivé : nous allons pouvoir ouvrir le canyon de Churumbelo. Rosso, premier debout rallume le feu. Fred prépare une gamelle d’eau à bouillir pour préparer une aguapanela bienvenue pour bien entamer cette 2ème journée sans café… Dur dur d’émerger pour Anaïs et moi sans notre drogue du matin ! Mais l’excitation de la préparation du matos prend vite le dessus. Très vite le camp est rangé, le maigre petit dèj’ avalé et nous sommes tous les quatre prêts à nous engager dans la descente. Qu’est-ce qu’on est rigolos à porter notre combinaison et notre baudrier dans ce camps de bric et de broc insolite !
A 8h30 nous arrivons à la grande cascade de Churumbelo dans un décor féerique : de grandes grottes s’ouvrent au-dessus de nos têtes et quelques résurgences coulent au milieu d’une végétation gorgée d’eau, toujours plus verte, toujours plus dense… Le rideau s’ouvre, le décor s’élargi et nous trouvons un premier plan incliné d’une soixante de mètre où s’écoule 300L/sec. Nous sommes tout de suite dans l’ambiance du canyon et Fred pose les premiers points. La satisfaction d’être ici se lit sur tous les visages. Nous savons maintenant qu’une longue course nous attend et qu’il ne va pas falloir trop traîner ! Nous enchaînons les obstacles comme ils viennent, en alternant les relais en Dyneema, les amarrages naturels et les désescalades délicates dans de gros blocs. Nous ne passons pas toujours dans l’actif pour aller plus vite et les cascades ne sont pas toujours très verticales, mais le décor, l’ambiance, les couleurs, les lumières sont incroyables et nous régalent tout le long de la descente.
Dans ce monde végétal, d’immenses blocs de roche recouverts de mousse se trouvent parfois au milieu du débit, donnant un effet tout particulier aux cascades. Les parties de marche entre les obstacles sont extrêmement glissantes, et nous trouvons différents types de roche dans ce canyon : une roche friable, du conglomérat compacte, une roche rouge puis enfin un beau socle mère dure, noir, compact, que l’eau a grand peine à creuser. Une belle diversité rendant cette longue descente riche et spectaculaire. A 14h30 nous entamons la dernière grande cascade, « la cascade de la confluence », peut-être la plus belle. Anaïs l’équipe habilement dans l’actif et nous descendons tour à tour jusqu’à un gros affluent rive droite. Nous ne le savons pas encore mais c’est la dernière fois que nous sortirons le perfo…
Après 6h de descente dans ce canyon et déjà quelques longues parties de marche et de désescalades fastidieuses, nous entamons une randonnée aquatique qui sera interminable et éprouvante pour les organismes ! Nous savons que nous devons sortir en rive droite pour retrouver un sentier, mais nous n’avons aucune certitude, ni de l’endroit où nous sommes, ni de l’endroit où nous sortirons… Pas d’autre alternative que de descendre dans la rivière, au milieu de ces rochers glissants pour trouver cet échappatoire. Deux heures à chercher son équilibre dans le lit de la rivière, et à travailler notre gainage en profondeur, jusqu’à cette ouverture sur la droite où l’on trouve un champ et un sentier bien marqué ! Gros « ouf » de soulagement pour l’équipe car l’inquiétude de devoir continuer dans le cours d’eau avec la nuit qui approche commençait à se faire sentir… Et cette fois-ci le bivouac improvisé à bout de force et sans plus aucune nourriture ne nous enchantait plus du tout.
Nous savons maintenant que nous rentrerons après le coucher du soleil mais nous sommes sur un sentier qui nous mènera sans nul doute jusqu’à la ville de Mocoa. Il est plus de 17h quand nous entamons une randonnée pédestre avec nos sacs pesant des tonnes ! La fatigue est plus que présente pour chacun et chaque pas est un défi. La progression se fait au mental et personnellement je suis obnubilé par une boisson fraîche et un énorme plat à dévorer, même de viande, ce soir j’oublie tout ! Pendant encore 2 longues heures j’ai le privilège de fermer le cortège avec ma radio préférée : Anaïs-On-Line ! Pour ne pas penser ou parce qu’elle pense trop, on ne sait plus trop à cette heure-ci, elle parle de tout et de rien, sans s’essouffler, et m’accompagne gaiement dans mon calvaire. Du haut d’une petite colline, la nature nous offre un dernier cadeau : un coucher de soleil aux lueurs violettes au dernier plan, les scintillements de la ville de Mocoa au second plan et nous au premier plan, spectateurs privilégiés de ce splendide tableau de fin de journée !
Nous traversons à nouveau le pont suspendu au-dessus de la rivière de Mocoa et comme un symbole, dans quelques mètres nous retrouverons les bruits et les lumières de la ville ! Nous sommes épuisés mais heureux d’avoir atteint une nouvelle fois notre objectif. Quelques centaines de marches plus tard, nous retrouvons Luz et son hôtel. Encore un effort surhumain pour monter nos sacs de torture au dernier étage et nous serons définitivement prêts à aller à la cantine la plus proche pour dévorer un repas bien mérité !
Cette aventure au cœur de la forêt amazonienne restera une des plus belles expériences de l’expédition. Comme dans nos rêves d’apprenti explorateur, nous avons eu la chance de découvrir un milieu à la fois hostile et envoûtant, et de vivre quelques heures en harmonie totale avec la nature.