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Las Nangas : dernière ouverture 2017

Dia 29 : mercredi 29.11.2017

A défaut d'avoir des mules, on porte une dernière fois nos sacs jusqu'au bivouac

L’excitation de savoir que c’est la ultima est palpable ! Ce matin nous sommes tous les trois prêts avant Rosso, et c’est assez rare pour être souligné (que l’on soit prêts les premiers, pas avant Rosso...). Aujourd'hui nous allons ouvrir le canyon de Las Nangas !

Sur le papier le plan du jour est relativement simple : monter et trouver le ranch sur la crête, installer le bivouac et ouvrir le chemin d’accès au canyon en espérant tomber au-dessus de cette fameuse grande cascade. Si il nous reste du temps avant la nuit, nous irons explorer la grotte dont le propriétaire du ranch nous a parlé, le « túnel » comme ils disent par ici ! Elle serait située à 100m du campement selon Don Bolivar : voilà qui ne devrait pas être difficile à trouver. Si au passage nous trouvons de braves mules qui veulent bien nous aider à monter notre matos, ce ne sera pas de refus. Après tout c’est la dernière, non ? ...

Pour manger, nous emportons de quoi nourrir cinq personnes pendant les deux prochains jours. Pour passer une nuit au sec au ranch, nous avons les frontales, les hamacs, les duvets et les sacs étanches pour les conditionner lors de la descente de Las Nangas. Et évidement pour ouvrir le canyon le lendemain, nous emmenons tout notre matériel classique nécessaire ! Autant vous dire que c’est reparti pour l’aventure…

Une pause s'impose. De gauche à droite : Rosso, Yesid, Courage le chien froussard, Fredo et moi

Nous avons prévu pour 5 personnes car nous espérons emmener dans notre délire le jeune Yesid, si nous le trouvons dans les parages et qu’il est disponible pour partir avec nous évidement. Lors du repérage il avait l’air emballé par l’idée de descendre ses cascades, et comme il connait cette forêt comme personne, il serait un atout de taille dans l’équipe si l’on devait sortir avant la fin du canyon ! En arrivant au départ de la piste, une vielle dame nous informe que tous les paysans du coin sont partis avec leurs mules chercher du bois. Ce n'est donc pas la bonne journée pour compter sur eux afin de nous accompagner là-haut. Mais, toujours selon elle, un des gamins est resté dans les champs avec son oncle. Peut-être Yesid ? Pour en avoir le cœur net, après une heure et demie de marche jusqu'à la finca de Don Bolivar, Anaïs et moi abandonnons nos sacs et le reste du groupe pour, nous l’espérons, aller trouver le jeune prodige à la machette. Il n’est pas à sa ferme, mais sa tante nous indique qu’il débroussaille dans un champs voisin. Quel coup de bol qu’il soit là ! En fait nous le savions au fond de nous, Yesid fera partie de l’aventure… Nous échangeons brièvement avec son oncle qui l’autorise tout naturellement à quitter sa besogne pour nous accompagner. Alors que Yesid se prépare, nous admirons des pierres taillées qui jonchent le plancher de la finca : des vestiges de haches et d’ustensiles utilisés par leurs ancêtres indigènes. Le massif doit donc en regorger, ce qui fait évidement bouillonner notre imagination... Yesid apparaît équipé d'un jean, de bottes et d'un petit sac à dos contenant l’indispensable : une couverture, une brosse à dent et une bonne réserve de miel. « T’as pris des baskets pour faire le canyon ? » vérifions nous. « Mmh, pas besoin, j’y vais en bottes ! ».

Tout comptes faits nous sommes doublement contents de la présence de Yesid. Tout d'abord, le Rancho de Don Bolivar, où nous comptons faire le campement ce soir, a beau être « le dernier, tout en haut de la crête », je ne sais pas si nous l’aurions trouvé sans lui. Ensuite, alors que dans la boue nous reculons d’un pas en en faisant deux, Yesid marche aisément et avale les dénivelés comme personne : il nous est donc d'une aide précieuse dans le port de tout notre matériel et notre orientation !

Le rancho de Bolivar, dans la brume

Arrivés sur la crête, les nuages nous envahissent et la météo n’a plus rien à voir avec la chaleur de Mocoa. Pourtant nous ne sommes qu’à 1300m d’altitude. Le fameux ranch est en réalité une cabane perchée au milieu de la brume : un décor impressionnant ! Notre gîte pour la nuit est constitué d’un toit, d’un patio et de deux pièces sommaires bien assez grandes pour notre petit groupe. Ce sera parfait pour ce soir ! A peine prenons nous le temps de visiter les lieux et de poser nos sacs à dos, que nous repartons, frontales, casques et machette à la main. Il est déjà 14h30 et nous avons encore un canyon à trouver : allons chercher cette grande cascade…

Les anciens sentiers des bucherons, taillées en "V" par les mules à force de passage

Et il faut le vouloir quand même ! Nous croyons que le chemin va s’améliorer, mais non : nous piétinons toujours dans la boue à travers la forêt, plus ou moins dense par moment, sur des sentiers qui ont parfois creusé de véritables tranchées. Ces sentiers sont aujourd’hui désuets, mais ils eurent leur importance à une certaine époque. Il y a quelques années, les paysans s’employaient à débiter le bois dans la forêt et évacuaient alors leur chargement à dos de mules. Pour faciliter le transit, ils ont, à la manière de leurs ancêtres indigènes, recouverts les sentiers de rondins de bois et de planches. Cette technique évite notamment de dilapider ses forces en s’enfonçant dans la boue. Les chevaux, à force de passage, ont donc formé ces tranchés « en V ». Nous progressons donc sur les vestiges de ce travail, tantôt glissant sur les planches pleines d’humus, tantôt bataillant dans la boue.

1h30 de combat plus tard, Yesid pénètre dans un cours d’eau en nettoyant le passage :

« Elle est là bas votre grande cascade ! » nous indique-t-il déjà loin devant.

Nous commençons sérieusement à fatiguer et le suivons plus mollement qu’au début. Fred marmonne :

« Bon, vu l’heure qu’il est et la fatigue générale, on n’aura pas le temps d’aller voir la grotte !

- La grotte ? Elle est juste au dessus ! » se retourne Yesid, en pointant l’amont de notre cours d’eau avec la machette et en coupant les mots à la bouche de Fred. Tout de suite Anaïs, très étonnée, s’exclame :

« Tu veux dire que notre quebrada sort de la grotte ?

- Tout à fait... » confirme Yesid.

Voilà un détail sacrément important que personne n’a pensé à nous donner ! Notre canyon jailli donc d’une grotte. Vous imaginez déjà ce à quoi nous pensons… Et si la première partie de notre canyon était souterrain ? Ce serait fabuleux ! Mais comme l'as dit Fred, aujourd’hui nous n'avons malheureusement pas le temps de nous pencher sur cette éventuelle possibilité.

Mission accomplie ! Nous arrivons vite au sommet de la grande cascade et un petit colibri semble venir nous saluer. Il se délecte de petits boutons de fleurs roses au soleil couchant. Nous nous félicitons : nous avons vraiment bien fait de venir ouvrir cet accès aujourd’hui, nous gagnerons un temps précieux demain.

La nuit commence à tomber. Tant pis pour la grotte, nous faisons demi-tour pour retrouver notre camp. Malgré l’obscurité qui s’installe, nous nous gardons bien d’allumer nos lampes : selon Yesid, cela donne envie au Matiguaja (serpent mortel) de nous suivre ! Il n'y a plus qu'à prier pour que les plantes s'allument... Comme celle que nous a montré Yesid : "helecho azul" qui est une plante phosphorescente de la famille des fougères. En tout cas il y en a un qui ne nous lâche pas depuis le début : Anaïs l’a surnommé « Courage, le chien froussard » en mémoire au dessin animé. Un épisode retracerait bien les tribulations de notre petit mendiant qui s’effraie à la moindre feuille mouvante ! Téméraire cela-dit, ce petit chien affamé nous suit partout depuis le début de la journée...

Parés au dodo !

Au camp de base, l’odeur de notre feu de bois nous réchauffe, mais pas sa chaleur car il enfume beaucoup trop la "cuisine" pour pouvoir s'en approcher de près. Assis par terre sur notre nouvelle terrasse, dos à la cabane les uns contre les autres, nous savourons donc notre sachet de riz face au panorama que nous offre la crête, tout en pensant à ce qui nous attends demain.

C’était encore une bien belle journée à marcher dans ces superbes montagnes. Nous avons fait 13km et près de 900m de dénivelé. Nous sommes tous épuisés mais une nouvelle fois ravis de partager tous ces moments de vie. Les Français ont attaché leurs hamacs de part et d’autre de la « chambre », les Colombiens préfèrent eux dormir à même les planches. A 20h nous sombrons rapidement dans une longue nuit bercée par quelques gouttes, une brise fraîche et quelques ronflements… Un bon repos bien mérité pour les aventuriers avant la dernière ouverture 2017 de l'Expédition Canyon Y Machete !

Dia 30 : jeudi 30.11.2017

Las Nangas, entre embruns et rayons de soleil

Les couleurs ce matin sont splendides et la journée promet d’être belle. Nous avons vraiment une chance inespérée pour cette dernière ouverture. Mes compagnons ont allumé un petit feu dehors, pour ne pas enfumer la baraque comme la veille. Nous grillons le pain, le chorizo et le fromage de notre petit déjeuner et nous prenons le temps de profiter calmement de cet instant. L’atmosphère est sereine et nous pourrions passer la journée sur ce rythme de contemplation. Il nous faut pourtant s’activer car le canyon qui nous attend aujourd’hui sera long, et nous projetons de le descendre dans son intégralité ! Soit 600m de dénivelé pour 3000m de développement. Nous plions bagages et rendons le ranch comme nous l’avons trouvé, prêt à accueillir de nouveaux explorateurs.

Le travail de la veille est payant et nous évite de gaspiller notre énergie ce matin : en moins d’une heure nous sommes rendus dans le cours d’eau de Las Nangas. Pendant l’équipement, nous briefons le jeune Yesid sur les techniques de progression et le rôle de chacun dans l’ouverture du canyon. Anaïs ouvre, je la seconde, Rosso et Yesid ramène les cordes vers l’avant et Fred ferme la marche en dessinant la topo. Tout ce petit monde a une tâche à accomplir et porte le matériel adéquat à cette tâche. Nous formons donc une équipe, complémentaire et indivisible, la dernière équipe d’ouverture franco-colombienne de Canyon y Machete 2017 !

Nous arrivons vite au premier cassé ! Un départ sur amarrage naturel suivi d’une déviation, ensuite fractionné avec un nouveau relais suspendu sur amarrage naturel et enfin une nouvelle déviation à passer en fin de cascade… Voilà la marche à suivre pour négocier ce premier obstacle ! Pour une entrée en matière les consignes données au jeune Yesid doivent être très claires ! Tout se passe bien malgré sa fougue et son envie d’aller plus vite que la musique. N’oublions pas que, en dépit de ses nombreuses qualités qui le font paraître bien plus vieux que son âge, notre jeune samouraï n’a que 20 ans ! La roche est très abrasive et nous devons être très vigilants sur les frottements. Nous utilisons d’ailleurs régulièrement les protèges-cordes. Les verticales s’enchaînent bien dans cette première partie et tout le monde rempli son rôle à merveille. Yesid, comme à son habitude, porte un énorme sourire aux lèvres permanent, il a l’air de se régaler et c’est un bonheur pour nous de lui faire partager notre passion.

Après chaque cascade, je me retourne et me régale à prendre quelques photos dans cette forêt sauvage, où le soleil pénètre à travers les embruns pour donner des reflets de lumières incroyables. Ce n’est pas évident de capturer ces instants en photo, mais ils resteront quoi qu’il arrive dans nos mémoires. Nous avançons aussi vite que nous pouvons dans ce canyon très sauvage, mais nous n’avions pas imaginé que la progression serait si lente : en 2h nous avons fait seulement 100m de dénivelé. Il faut avant chaque ressaut « nettoyer » la végétation à la machette pour atteindre l’arbre ou la roche le mieux adapté pour descendre l’obstacle en toute sécurité. Au final, la nature nous offre tous les amarrages nécessaires pour ne pas trop sortir le perfo, et gagner un temps considérable.

Après cette première partie très verticale où les cascades s’enchaînent sans s’essouffler (nous, oui par contre ! ), nous savions que nous aurions à faire à une longue partie horizontale avant d’atteindre les trois dernières cascades que nous avons vu lors du repérage. Mais la fatigue générale se fait sentir à mi-parcours et cette partie horizontale glissante fini d'extirper tout notre jus. A force de faire de si petits pas, nous entamons également notre marge horaire.

Les cascades de Las Nangas

A 16h je demande :

« On en est où Yesid ?

- A ce rythme là, il faut encore au moins 3/4 d’heure pour arriver à l'enchaînement final... nous annonce notre jeune colombien, patient et souriant, alors que je perds toute dignité en rampant au fond du lit de la rivière !

- Faut sortir, non ? Sinon, en plus de finir de nuit, on va louper notre bus de ce soir ! »

Anaïs, tenace d’habitude, ne bronche pas. Fred trouve la décision plus sage également. Rosso est à bout de force, il doit lui tarder que les Français rentrent dans leur pays !

Nous nous tournons donc tous les 4 vers Yesid. Il comprend... D’une envolée il attrape la machette et disparaît de nouveau dans la forêt, en faisant voler toute végétation encombrante sur son passage.

Avec son sens de l’orientation infaillible, il nous trace un sentier incroyable dans des endroits où personne n’aurait osé mettre les pieds ! D’ailleurs dans ce fouillis d’herbes hautes, un dernier serpent, gris et tacheté de noir, me passe juste devant les pieds. En un peu plus d’une heure, nous avons sa finca en vue. Il ne nous restera ensuite « plus que » deux heures de marche pour retrouver la voiture et mettre un terme à cette dernière ouverture ! On en peut plus de nos sacs. Qu’est ce qu’ils sont lourds ! Nous rigolons quand même de notre misérable condition, et trouvons le courage de progresser, encore et toujours...

« Et Courage, tu crois qu’il est encore là-haut ? » me demande Anaïs. Plus personne n’a repensé à ce petit chien. Selon les Colombiens, il fera un bon goûter pour un tigrillo ou un jaguar ! Mais nous espérons secrètement qu'il en sera autrement...

A la nuit tombée Yesid nous propose dans sa grande générosité non seulement de nous raccompagner jusqu’à la voiture, mais en plus de nous épargner un maximum de poids en nous déchargeant sur une de ces mules restée à la finca. Comment refuser ? "Piñata" semble accepter son sort et nous courrons ainsi derrière elle jusqu’à la voiture. Ce jeune est décidément une bénédiction pour notre équipe. Nous arrivons exténués, mais sans blessures, et avec la satisfaction du devoir accompli. Les nombreuses lucioles et vers luisants ont guidé notre chemin pendant la dernière heure de marche, alors que nous retrouvions tranquillement notre souffle. Nous pouvons à présent nous préparer mentalement à affronter la réalité : passer la nuit dans un bus !

Canyon y Machete c'est une aventure qui ne finit jamais... Nous entamons le retour au pays par les 16h de bus qui nous séparent de l’aéroport. Il parait que nous allons passer de l’autre côté de la Cordillère par une piste qui n’est pas goudronnée. La nuit promet d'être agitée... J’ai hâte de voir ce que ça donne !

Une belle pub pour Rodcle ! Merci pour ta générosité Yesid !


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