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Explorations souterraines

Dia 25 : samedi 25.11.2017

Ce matin nous aurions aimé dormir beaucoup plus longtemps et continuer de rêver à notre aventure amazonienne ! Mais les bruits de la ville, qui ressemblent plus à un gros bordel qu'à un doux ronronnement, et la lumière du soleil, bien moins rêveuses derrières ces fenêtres sans volets qu’à travers les lianes, nous tirent du lit et nous amènent au petit déjeuner assez tôt (trop tôt). Apres 3 jours passés au cœur de la forêt amazonienne, le retour au "monde normal" est assez dur pour moi. Déjà hier soir en retrouvant la pollution lumineuse de la ville, son rythme et ses klaxons incessants, je sentais un décalage désagréable.

Aujourd’hui est un jour de repos bien mérité pour notre équipe. Nous prenons donc la matinée paisiblement. Le temps de peaufiner la communication de Canyon y Machete, et d'anticiper un pseudo planning pour cette dernière semaine d'expédition. Un article et quelques plans plus tard, nous prenons la direction du CEA (Centre Expérimental Amazonien) pour y passer l’après-midi. Situé à l'entrée de Mocoa, ce centre a une très bonne réputation et nous permettra certainement d’en apprendre plus sur la faune et la flore de cette forêt tant admirée les jours précédents. Anaïs, comme la bonne élève qu’elle est, a toujours son petit carnet à la main et espère bien remplir tous les petits trous en face des différentes fleurs qu'elle renifle, ou des différents animaux aux noms étranges annotés à la va-vite suivis de « ??? » ! La guide du CEA ne le sait pas encore, mais un millier de questions l'attendent de la part de notre apprenti botaniste. Fred et moi sommes également très curieux mais dès notre arrivée nous devenons très sceptiques : le centre ressemble non pas à un centre d’études mais à un zoo. Les animaux, « sauvés du braconnage » ou « des accidents de la route » ont bien l’air en captivité. Nous sommes tous les trois un peu déçus : il y avait tellement de chose à apprendre sur cet espace sauvage unique au monde. Nous avons tout de même la chance d'observer de près différentes espèces endémiques de la forêt amazonienne colombienne : l’anaconda passe une grande partie de sa vie sous l’eau, le tigrillo fait moins peur que sa version géante, le jaguar mariposa qui faisait divaguer notre imagination sous la tente en pleine forêt, la tortue morrocoy (à pattes jaunes) passe son temps à poursuivre sa compagne sans réussir à l’attraper, le cochon sacré s'appelle en fait un peccari, la danta (tapir) parait toute droit sortie de l’époque des dinosaures et la Marsupilami n'existe pas! Mais un animal bien plus étrange que toutes ces espèces endémiques attire encore plus notre curiosité, et pourtant celui-ci n’est pas en captivité ! Je parle des 25 touristes Colombiens. Je les observe, totalement indisciplinés dans le groupe qui fait face à notre guide. En fait, il n'y pas vraiment de « groupe ». Tout le monde va où il veut, fait ce qu’il lui plaît, à son propre rythme. Et tous sont bloqués derrière leur téléphone, préférant les selfies avec les mascottes du centre (de faux animaux en statue géante) aux renseignements peu étoffés de notre guide. Nous, occidentaux désireux d'apprendre, brûlant de milles questions suites à nos immersions en forêt, sommes un peu désabusés par tout cela. Mais rassurez-vous : certains petits trous du carnet d’Anaïs ont tout de même été comblés !

Le jour de repos nous en profitons pour refaire le plein d'énergie ! Au gouter : maxi banane fondue et garnie de fromage fermier local !

Dia 26 : dimanche 26.11.2017

Aujourd'hui nous reprenons nos ouvertures : le projet du jour se nomme Canalendres ! Toujours sur le massif de Churumbelo, c'est le canyon voisin d'Hornoyaco, qu’Anaïs et Fred avait descendu lors de leur précédente venue. D'après les repérages de Fred sur Google Earth, Canalendres nous promet de nombreuses belles cascades et on l'espère un beau final avant de se jeter lui aussi dans la rivière Mocoa. Ça devrait encore être une grande course !

Ce sera une ouverture Canyon y Machete Franco-française aujourd'hui. Rosso n'étant pas disponible, nous partons, Fred, Anaïs et moi pour une belle marche d'approche sous le soleil. Tout se déroule à merveille, des vraies machines : plus de 300m de dénivelé positif en moins d'une heure avec tout notre matos, rien à voir avec le rythme des jours précédents ! Nous sommes dans les temps, tout va pour le mieux, sauf que notre canyon n’en est pas un : Google Earth nous a trompé ! En fait, on descend une belle rivière Colombienne. Derrière chaque bloc nous espérons tomber sur les cascades des images satellites, mais rien ! Plus nous descendons en altitude, moins nous y croyons. Et cette rivière de Canalendres devient rapidement monotone... La roche et le débit d'eau semble vouloir dessiner des encaissements par moment, mais nous retrouvons toujours le même profil : pas de cascades convaincantes et seulement de grosses désescalades glissantes. C'est à la fois épuisant et redondant, même si le décor est très agréable et la balade très rafraîchissante dans les parties de nage et les quelques sauts. Les abdos et tous les muscles servant au gainage chauffent bien plus que le perfo resté au sec pendant tout ce temps !

L'estrecho s'évanouie en une belle cascade, avant de rejoindre le fleuve de Mocoa

Après 4h de marche éprouvante, dans la continuité de cette ligne droite monotone, un estrecho semble au loin se dessiner. Mais oui... C'est bien une étroiture ! Tant espérée depuis des heures et digne des gros canyons voisins, nous la contemplons et en profitons sur toute la fin de la descente. Et vous savez quoi ? Et bien ça valait vraiment la peine ! Bon, peut-être pas de descendre la rivière depuis tout là-haut, mais en tout cas d'être dans ce splendide estrecho. La bonne synchronisation involontaire avec le soleil nous offre des jeux lumières à couper le souffle, et nous nous régalons : justice est faite ! La cascade de Canalendres, magnifique mais bien esseulée sur ce cours d’eau, constitue le seul obstacle à corde de notre course. Nous sommes étonnés d’y voir de nombreux locaux qui l’ont prise d’assaut pour s’y baigner. Peu importe, nous la descendons quand même en rappel depuis un amarrage naturel et finissons par un toboggan « à propulsion », avant d’atterrir dans l’immense vasque de réception. Quelques glissades dans les blocs plus tard, l’eau claire de notre affluent rencontre l’eau marron de Mocoa, troublée par les pluies de la veille.

Google Earth nous aura donné une bonne leçon aujourd'hui : rien ne vaut un vrai repérage sur place ! Les « cascades » que nous voyions étaient en fait de grosses chutes d’eau entre les blocs…

Partie de nage dans l'estrecho de Canalendres

Dia 27 : lundi 27.11.2017

Notre jeune guide, Yesid, fonds littéralement dans le forêt avec laquelle il ne fait qu'un

Depuis le début de notre séjour dans le Putumayo, et même depuis l'année dernière, Rosso a en tête une grande cascade qu’il aperçoit depuis la route certains jours de pluie, depuis une station-essence. Selon une vieille dame, il y aurait une heure de marche pour atteindre cette grande cascade, toujours sur ce même massif de Churumbelo décidément très riche à nos yeux ! Lorsque nous demandons à Rosso de nous indiquer la cascade, nous nous apercevons que la zone est flouée sur Google Earth. Pas de bol ! Dans ce cas, il n’y a plus qu’une seule solution : nous rendre sur le terrain pour étudier ce nouveau projet de nos propres yeux. Nous nous laissons ainsi tenter par Rosso, plus pour lui faire plaisir que par conviction, et partons pour ce que nous croyons n’être qu’« une heure de marche ».

Sur place, aucune cascade à vue de nez, ni depuis la station essence au bord de la route, ni de chez la vieille dame qui nous renseigne des « on-dit » des paysans faisant les aller-venus devant chez elle. Il y a bien au loin ce grand vallon où l'eau coule forcément et où des cascades doivent bien exister vu le dénivelé, mais ce n’est certainement pas à une heure de marche ! Nous fonçons quand même, légers comme des petits colibris sans nos méga-kits. C’est tellement rare de ne pas avoir nos grosses coquilles sur le dos ! Très vite, nous apercevons une grande cascade au loin, dans le grand vallon identifié. Bonne nouvelle : notre cascade existe réellement. Nous continuons et avançons à bon rythme jusqu'à une première finca isolée. Don Bolivar et sa femme nous renseignent avec leurs larges sourires édentés, en nous rafraîchissant au passage d’une belle part d’ananas. Notre dulcinée s’appelle la quebrada de Nangas. Si nous partons à gauche, nous pourrons voir LES cascades finales. Ha ! Encore une bonne nouvelle : il y en d'autres, ça commence à sentir bon ! Sinon pour accéder à la grande cascade il faut monter touuuut là haut, sur la crête et ensuite …bla…bla…bla… La description devient plutôt chaotique. Tout ce que nous retenons c’est que ces chers paysans nous prêteraient bien volontiers leur "ranch" au sommet de cette crête pour y installer un éventuel bivouac et quelques mules pour monter toutes nos affaires... Waou ! Quelle générosité une fois de plus dans ces campagnes colombiennes. Je profite de cet article pour les remercier chaleureusement...

Mais allons voir cette quebrada de plus près… Nous choisissons d’aller jeter un coup d’œil aux cascades finales et prenons donc le sentier-gadoue de gauche. Empêtrés dans notre boue à y remplir nos bottes pour les uns, et à y perdre nos chaussures de canyon pour les autres, nous tombons nez à nez avec deux jeunes de la campagne, qui progressent à grands pas en sens inverse. Le premier d’entre eux, Yesid, interpelle Fred : « Vous allez où comme ça ? ». Il a le regard sévère et la voix ferme. Il en impose, et pourtant il n’a que 20 ans ! Je lorgne sur sa machette dégainée main droite, sans trop comprendre l’échange ni la nature de cette méfiance. Nous bredouillons :"On va voir les cascades...".

Dernière cascade de Nangas : la roche est splendide !

Pas le temps d’en dire plus, le jeune congédie son collègue et saute à l’avant de notre petite troupe : « Suivez-moi ! ». Nous voilà accrochés à ses talons, à défendre nos bottes collées dans la bouillasse. Le jeune garçon fond littéralement sur la forêt, ses coups de machette sont tellement précis et efficaces, qu’on dirait qu’il tient une grande lame de rasoir entre ces mains. Nous, quand nous la manions, on dirait plutôt qu’on tient une petite truelle ! Il « invente » des chemins et nous ouvre la voie jusqu’au pied des cascades.

En fait, derrière le sentiment de méfiance que j’ai ressenti lors de notre rencontre, se cachait en réalité une bienveillance nous concernant. Nous, les « gringos » qui débarquent en pleine forêt explorer ses cascades ! Peut-être (et avec du recul très certainement) que le pétrole qui jaillit naturellement du sol un peu partout sous nos pieds y est aussi pour quelque chose dans notre escorte « forcée ». Mais devant notre émerveillement face à la dernière cascade (encaissée, splendide ! Et cette roche… !) Yesid comprend très bien que nous ne sommes pas là pour faire des études sur un forage pétrolier. C’est fou quand même : cette odeur qui sort directement de la terre, ces couleurs pétrolières qui ruissellent sur les parois, ces bulles qui émulsionnent l’eau… Et ça "pue" la station essence ! Voilà donc pourquoi les images sont flouées sur Google Earth.

Le "borojo" est un fruit amazonique dont le goût rappelle celui d'une poire bien mure

Devant notre émerveillement, notre jeune guide nous propose de le suivre jusqu’à la deuxième cascade. Aussitôt dit, il taille un chemin dans la pente et nous avons de la peine à le suivre. Il y a une troisième cascade encore plus haut, avec un affluent... C'est vraiment incroyable ! Un très bon débit, une belle roche, nous sommes emballés et nourrissons encore une nouvelle idée d’ouverture. Après s’être rafraîchit tout habillé sous ces belles cascades, nous nous attendons à faire demi-tour par le chemin récemment ouvert. Mais notre compagnon, dans une orientation ahurissante, ne se soumet pas à la fainéantise et nous ouvre un nouvel accès à travers la forêt jusqu’à sa ferme ! Excités par ce beau repérage, nous partageons une gamelle de miel de canne à sucre, accoudés à la rambarde de sa finca, et discutons :

« Yesid, il y a quoi au-dessus de ces cascades ? »

« Pourquoi vous mentir », nous réponds notre jeune avec les expressions locales, « je n’ai jamais vu plus haut que la troisième. Mais touuut en haut, vers la crête, je sais qu’il y’en a une grande ! ». Ce doit être la cascade qui intrigue tant Rosso alors…

Nous tenterons alors de faire rentrer cette dernière ouverture au programme des trois jours qu’il nous reste. De retour à la voiture, après 6 heures de marche, nous échangeons nos souliers de boue contre nos crocs de touristes et allons jeter un coup d’œil au célèbre « estrecho de Mandiyaco », affluent du fleuve du Caqueta. Sur près de 400m, l'eau a érodé un gros conglomérat de roches en formant de magnifiques gorges étroites, quasiment plates et hautes d’une petite dizaine de mètres : un décor karstique. Grâce à Rosso, décidément un très bon guide touristique, nous connaissons l'existence d'une grotte à quelques kilomètres de là et nous imaginons alors le gruyère qui se trouve (peut-être..) sous nos pieds. Mais les journées sont trop courtes ! Nous n'avons pas le temps de pousser cette exploration plus loin et préférons prendre le temps de savourer un jus de borojo, fruit amazonique au goût de poire bien mûre, dans une cabane en guadua sur les rives du Caqueta. En tout cas cette journée pleine de doutes s'est transformée rapidement en un sublime repérage plein de promesses !

Dia 28 : mardi 28.11.2017

Comme on le dit si bien, la nuit porte conseil. Rosso est en repos mercredi et jeudi : deux jours c’est justement le temps qu’il nous faut pour aller ouvrir le canyon de la veille, Las Nangas ! Voici donc notre dernière ouverture programmée...

Ce matin la pluie s’abat sur Mocoa et ses alentours, ce qui nous donne une bonne excuse pour végéter quelques heures de plus chez Rosso et Luz, et nous retaper en vue de cette nouvelle aventure. Une nouvelle fois, et comme à chaque petit temps mort de ce mois très intensif, nous soignons alors la communication de l’expédition.

Mais il faut quand même que nous allions nous dégourdir les jambes : la grotte de Licamancha, dont Rosso nous a parlé hier, nous intrigue… Nous accédons à l'entrée de la cavité, dont la rivière souterraine voit le jour sur les rives du Caqueta, à bord d’une lancha (petite barque à moteur). Voila encore un rêve qui se réalise : se balader sur un des plus gros fleuves de Colombie en lancha. Un moment de détente et de voyage incroyable sur ce large et puissant cours d’eau. Armés seulement de nos casques, nos frontales et de masques (pour protéger nos poumons du guano), nous remontons donc gaiement la rivière souterraine dans une galerie de 2x2m. Ici la préservation des grottes, milieu fragile, et de ses concrétions qui mettent des milliers d’années à se former, n’est pas encore dans les mœurs. Mais au lieu de dévaliser la grotte de tous ses cristaux comme il est de coutume dans de nombreuses régions karstiques, le propriétaire y voit plutôt un intérêt curatif. On considère dans le coin que l’eau qui tombe des stalactites, au goutte à goutte, a des propriétés curatives pour les os. Sous plusieurs d’entre elles, quelques bouteilles en plastiques équipées d'entonnoirs récupèrent le précieux liquide destiné à la vente. La précieuse récolte baptisée « licamancha » n’a pas d’équivalent en français et nous sommes dubitatif concernant ses sois-disant propriétés. Néanmoins nous sommes ravis que cette croyance protège les stalactites et autres concrétions de cette magnifique grotte.

Un affluent perce le plafond de Licamancha

Nous progressons seulement une petite demi-heure dans cette galerie, jusqu’à ce que nous baptisons « la chapelle sixtine ». Malheureusement nous sommes pris par le temps et dépendants du transport retour en lancha. Elle ne viendra pas nous récupérer après la nuit tombée et nous faisons donc demi-tour un peu frustrés : Jhon Jairo, le propriétaire, met 6h pour faire le réseau en entier ! Nous reviendrons... En remontant le Caqueta sur notre barque, le soleil couchant nous offre encore des paysages à couper le souffle, et nous accompagne dans nos rêves d’explorations souterraines. Le Putumayo est tellement prometteur !

Ce soir, impossible de joindre notre jeune guide Yesid pour organiser l’ouverture du canyon de Las Nangas et les deux jours à venir. Merde, sans lui ça va pas être facile de trouver notre chemin jusqu’au « rancho » de Don Bolivar. Ce dernier s'était également généreusement proposé pour nous accompagner, mais il est tombé malade et doit se reposer. Pas de Yesid, pas de Bolivar, et donc pas de mules non plus pour nous aider à porter notre matériel. Mais peu importe : les sacs et le bivouac sont prêts. Nous comptons une nouvelle fois sur nos petites jambes bien entraînées pour nous emmener jusque là-haut et réussir cette dernière ouverture prometteuse...

Accès à licamancha en "lancha"


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