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Dans les hauteurs du Paramo : El Nevado del Ruiz

Rien ne se passe comme prévu, la vie virevolte et c’est comme ça qu’on découvre un pays !

Roadtrip à moto entre les départements du Cauca, du Risaralda et du Caldas. On remarque la végétation dense de la vallée, puis l'étage du Paramo plus désertique et enfin le blanc des glaciers du PNN.

Persuadés depuis peu que la moto est le remède à une grande partie de nos déplacements, nous nous lançons en vain à la recherche d’une location à Cartago. Cause peu défendue au village, à part acheter il n’y a pas vraiment de possibilités de location. Nous qui avions en tête la capricieuse idée d’arriver dans une boutique et de repartir en deux roues, ce qui devrait respecter la conformité pratique en Colombie. Nous voulions, suite à notre laborieux travail de repérage sur l’ordinateur, partir explorer le secteur de Santa Rosa de Cabal, touristique et riche en cascades, dans le département voisin du Risaralda.

Mais ce n’était pas dans l’idée de notre couple favori… Nous convenons avec Marianne de louer la moto sur Perreira, elle a un bon plan. Nous nous avouons donc vaincus et reportons la balade au lendemain. On se ramènera en bus. Il nous tarde de décamper !

A 8h nous sommes là-bas, comme convenu, mais le rythme Colombien prends le dessus et Fred se remets à faire les cents pas ! Ça traine, tranquilou, à l’appart, puis à la location, mais on décolle quand même. Le temps est menaçant, c’est pas idéal pour faire de la moto ni agréable pour repérer. On sent que ça ne tourne plus en notre faveur, « selon les plans ». Mais autant profiter de la tournure des évènements ?

Repas paysan dans le marché couvert de Santa Rosa

A la place d’aller voir nos cascades, nous faisons simplement « escale » pour manger à Santa Rosa de Cabal, un petit village sans prétention qui fait, apparemment, le meilleur chorizo (saucisse fumée) du pays ! Un papi nous dégotte une table dans un marché couvert très authentique ! A peine arrivons-nous que la serveuse, une dame tout à fait serviable à la voix portante, pousse les derniers convives hors de la table pour nous faire une place à Fred, moi, Uva , Marianne et Neijma et Lula, deux amies françaises qui ne seront pas déçues du voyage. Nous voilà bien accueillis et quelques minutes plus tard les plats déboulent tous seuls sur la table : un sancocho (soupe paysanne bien épaisse, de légumes ou d'abats), une bandeja paisa (frijoles (haricots rouges), banane plantain grillée arepa et viande grillé) et un jus d’ananas bouilli, sluuurp ! Ce repas copieux est vendu pour la modeste somme de $6 000, dans une ambiance tout à fait folklorique. Quelle joie ! Les plats vidés disparaissent tout aussi vite et nous nous faisons rapidement chassé par la gentille dame : de nouveaux arrivants sont affamés eux aussi. En Colombie on ne passe pas des heures à table pour discuter (j’entends Jérôme nous le redire avant de partir !), comme en France. Il y a peu de tables, tout le monde travaille dur et a faim, alors une fois rassasié il faut laisser la place au suivant !

Dans ce marché il y a de tout. Nous profitons de l’abondance des savoir-faire pour laisser notre machette à aiguiser, elle en a fort besoin ! En attendant, nous allons prendre le café un peu plus loin, dans une ambiance de franche rigolade, où Uva nous régale de ses talents de joueur de flute du Pacifique devant le grand public. Sa générosité est payée par les clients même du bistrot qui, tous comptes faits, l’ensemble des pièces nous paie même la tournée ! Comme quoi, y’a pas besoin de se casser la tête à passer un diplôme de canyon !

Finalement l’après-midi passe sans que personne ne se motive à marcher, alors nous roulons, non sans objectif, jusqu’à Manizales. L’étendue de cette ville récente (moins de 100ans) s’étale de part et d’autre d’une crête à 2 000m d’altitude, face au redoutable Nevado del Ruiz. Le volcan est sous constante surveillance depuis son réveil en 2012. Sur ces paysages escarpés de la ville le service de bus est complémenté par des transports … en téléphérique.

Histoire de remettre un petit couteau dans la plaie pour Fred et moi à qui la neige va bien manquer cette année ! Alors on prend un A/R, juste pour revivre la sensation !

La ville en elle-même est propre et dynamique. Il y a beaucoup d’étudiants et d’endroits pour sortir. Nous avons rencontré deux bureaux des guides forts intéressés par notre projet de formation, c’est encourageant ! Le soir même il y avait un concert sur la place centrale organisé par Radio Colombia, c’était bien ce qu’avait prévu pour nous par Uva et Marianne. La radio la plus populaire du pays met sur le devant de la scène un groupe du Pacifique aux notes des plus exotiques dont je vous partage un petit extrait ! Les Colombiens sont bien meilleurs spectateurs que nous : personne n’est resté assis une seule seconde, chacun ramène une percussion ou une maraca pour accompagner en cadence et en dansant le groupe enivrant! Quelle belle soirée chaude et pleine de rythme !

Mais le plus beau reste à venir ! On comptait bien retourner à Santa Rosa pour voir ce qui était toujours au programme pour nous, quand Uva et Marianne nous font part d’un autre plan : Si on profitait d’être ici, ensemble et avec les motos pour pousser un peu plus loin, jusqu’au volcan du Ruiz par exemple ?

En voilà d’une bonne idée ! Rien que de m’imaginer sur le nevado, le glacier, j’y suis déjà ! Mais bien entendu Fred et moi, au pied levé à 7h sommes les premiers prêts. Fred doit alors s’armer de patience pour laisser tout ce petit monde se réveiller tranquillement et tour à tour jusqu’à ce que, les 11h arrivées, nous décollons enfin !

Voilà que le convoi RoadTrip en moto se suit. Les Françaises gardent leur bonne humeur mais râlent un peu : ne sachant pas conduire une moto, elles ont dû se rabattre sur un scooter mais le pauvre peine grandement pour monter ses deux demoiselles dans les côtes. Ce qu’elles ne savent pas encore c’est que, quand on monte en altitude, on change aussi de température. Uva et Marianne sont équipés chaudement et hermétiquement d’un survêt Kway, de pulls et de bottes. Fred et moi sommes au goût du jour : nous avons trouvé une nouvelle utilité aux pantalons Aventure Verticale : un coupe-vent à l’efficacité inégale pour faire de la moto. On lui avait déjà trouvé une bonne efficacité première dans les marches d’approches : bien que dans la moiteur de la vallée ils font plus effet de combi de sudation, ces pantalons nous épargnent bien des griffures, égratignures et piqures ! Fred a en plus sa veste Gore Tex et moi ma soft Shell, et tout compte fait, nous sommes bien équipés pour changer d’étage climatique. Les filles sont en leggings et sarwell en coton, je ne vous dis pas la crève assurée une fois trempée, la température descendue à 10°C !

En Colombie l’étage thermique est au cœur des précisions, lorsque quelqu’un souhaite vous faire part de ses origines. Et de fait, tout un style de vie en découle. Cela est dû au relief Andin majoritairement présent au Colombie, et la situation du pays proche de l’équateur. Ce qui nous donne un étage à climat chaud jusqu’à 1 000m d’altitude, comme à Cartago, où la chaleur annuelle supérieure à 24°C. L’étage suivant, à climat tempéré, connait une moyenne de 20°C et se situe entre 1 000 et 2 000m d’altitude, avec des sommets à 2 5000m. Les précipitations sont très régulières. Perreira et Manizales font partie de cet étage. L’étage à climat froid occupe les 2000m à 3000m suivants, la température y est d’une quinzaine de degrés. On retrouve à cet étage la forêt andine et la mer de nuage, comme à Bogota, la capitale. Nous accédons ensuite à ce fameux Paramo (de l’espagnol : Plateau, Lande), s’étalant de 3000m à 4000m. Cette zone de plaine sépare les forêts des neiges éternelles.

Le Paramo est un paysage tropical andin où la végétation s’est adaptée à un climat froid, à des vents desséchants glaciaux, à une pression atmosphérique basse, à un rayonnement ultra-violet intense, et à des précipitations concentrées dans les nuages ! Effectivement, une fois rendu à cet étage, il ne pleut plus. La vie est une brume constante, les plantes sont grasses et gorgées d’eau. Certaines sont munies de petits poils qui leurs permettent de se protéger du froid, de condenser l’eau et de la conserver pour la restituer ensuite sous forme de rivières des plus pures. Elles ont également la capacité de retenir les eaux torrentielles lors du dégel des glaciers. Sans ses plantes, le dégel serrait un épisode dramatique pour les villages en-dessous. Il s’agit d’un écosystème très riche et très vulnérable. Enfin le dernier étage : le climat glacial. On le trouve au-delà de 4000m avec des températures inférieures à 10°C, il est principalement constitué de glaciers. Ces derniers ont commencés à disparaitre depuis le XXème siècle, en raison du réchauffement climatique. Ils reculent d’une vingtaine de mètres par an, menaçant principalement l’approvisionnement en eau potable.

Nous quittons Manizales, sa chaleur agréable et ses jus de mandarines pressées frais pour changer d’étage climatique. Peu à peu les nuages ne sont plus d’un gris menaçant mais deviennent une brume épaisse et blanche. Nous sommes surexcités, au passage, d’apercevoir une cascade encaissée dans un somptueux orgue de basalte. Je prends des notes en vitesse sur mon carnet, appuyée sur le dos de Fred qui suit la moto de devant : 2900m d’altitude, à 25km du Parc National des Nevados (PNN),

Les frailejones, végétation endémique du paramo

une chute d’une cinquantaine de mètres arrivant dans un collecteur fort intéressant ! L’accès à l’air aisé, nous sommes à 27km de Manizales. Il faudra qu’on revienne ! Nous faisons régulièrement des pauses pour rajouter une épaisseur et attendre les Françaises qui peinent à tenir à cadence. Et là, ponctuels comme jamais, à 3500m d’altitude pile-poil apparaissent les frailejones, une espèce de cactus au rôle très important dans la rétention de l’eau, caractéristique du paramo. Le terrain tourbeux est jonché de plantes en coussinets et éclairés de plantes grasses très claires aux fleurs jaunes, rappelant les douces « oreilles d’ours ». Les couleurs disparaissent aussi, ne laissant plus que quelques touches éparses de ce jaune, d’un peu de rouge et de violet. Notre magnifique oiseau totem, le « Barranquero », le canyoniste, aux couleurs bleues turquoise et à la longue queue fine rappelant une cascade, n’est plus là. Il est remplacé ici par … le merle ! Les paysans vivent en ponchos, bottes et bonnet, les habitations sont plus rares mais justifient quand même, à cette altitude, la présence d’une petite école au milieu d’une plaine du Paramo. Tout est d’un calme…

Nous passons fièrement la barre des 4000m, le feu arrière de la moto de Uva et Marianne est devenu notre seul point de repère dans ce brouillard. Ils font halte et nous les imitons près d’un petite cabane que je n’avais pas remarqué. José un guide de montagne et une très joli rencontre, nous accueille chaleureusement en nous offrant gracieusement un thé de coca et un sourire généreux avant de continuer vers le glacier. Le combo thé de coca et altitude m’a fait l’effet d’un vrai coup de fouet : j’ai le cœur à 10 000 comme si j’avais bu trois expressos, et nous continuons de plus belle dans ce somptueux paysage, jusqu’à une cascade, et pas des moindre ! Une magnifique chute sculptée à la perfection dans un basalte clair et solide ! Fred et moi arrêtons le roadtrip ici, abandonnons motos et sacs à dos au beau milieu de la piste pour courir à bout de souffle – l’oxygène est raréfié à cette altitude- en amont du canyon ! Quelle excitation ! L’érosion est magnifique, la couleur de l’eau sublime ! La roche n’est pas commune : le canyon a creusé la dernière coulée de lave responsable de plus de 40 000 morts lors de la dernière éruption du volcan en 1985. La zone est classée jaune. Ça parait fou de trouver cet endroit propice pour descendre des cascades mais c’est tellement atypique, lointain, magnifique. Nous savons qu’il nous faut contacter des spécialistes, José va nous être de grand aide il est aussi intéressé par notre formation. Il pourrait-être le volcanologue de notre expédition. D’ores et déjà nous baptisons cette descente : Le canyon du Ruiz, et nous nous promettons de revenir dès que possible, dès que nous disposons des informations.

Je souris en me rappelant de la remarque de Uva, les yeux brillants d’envie, le vent glacial faisant danser les boucles de ses cheveux noirs, sa peau mat devenue d’un coup plus terne :

« Mais on peut faire du canyon avec cette température là ? »

« Mais bien sûr ! » m’empressais-je de lui confirmer, « on n’a pas tout à fait le matériel nécessaire mais on va trouver une solution ! »

A lui de nous régaler un air de flûte andine, dans les hauteurs du Paramo, qui nous fait tous nous évader. Et à chacun de rêvasser dans le froid glacial, assis sur cette coulée de lave froide, les nuages dansant autour de nous. Les Françaises n’en peuvent plus ni de notre enthousiasme, ni du froid, ni de ces fringues en coton trempé ! Tu m’étonne ! Neijma était tellement à bout qu’elle a pris ses chaussettes pour faire des moufles !

Nous redescendons avant que la nuit ne nous attrape mais c’est trop tard, on a mis trop de temps. Nous redescendons sans arrêt cette fois ci les étages thermiques : nous étions tout proches du glacier, nous retraversons tout le Paramo, puis entrons dans le climat tempéré accueillis par un orage détonnant et une pluie battante qui nous a fait boire la tasse dans les casques de moto pendant une bonne heure ! Décidément le style de vie entre les étages n’a vraiment rien à voir ! Ce qui vaudra à plusieurs d’entre nous de chopper une crève bien méritée à notre retour à Perreira. Voici une vidéo pour partager le moment, .. atroce!

Le lendemain les Françaises partent de leur côté, notre couple colombien de l’autre, nous voilà Fredo et moi avec une moto qui ne demande qu’à rouler, alors roulons ! Nous reprenons les fiches de notre explo prévue à Santa Rosa et cette fois-ci elle ne nous échappe pas ! Pas d’arrêt à la cantine, pas de grasse mat’, pas de flânerie dans les rues pleines de Willies, nous allons droit au but à San Vicente et sommes envoutés et agréablement surpris de tomber sur un somptueux cirque, à une dizaine de km de Santa Rosa de Cabal, duquel tombe des cascades de toutes parts ! Un petit Trou de Fer Colombien ! Léonardo, le propriétaire des Thermes de San Vicente, a eu la chance de pouvoir exploiter ce petit coin de paradis. Nous le convainquons de s’allier à notre projet, et de nous laisser accéder à son site pour prospecter les cascades. La brume est aussi présente, mais elle est mêlée ici de l’évaporation de cette rivière d’eau bouillante et de toutes ces résurgences rougeâtres. Les vasques ne sentent d’ailleurs pas le souffre ou plus populairement « l’œuf pourri », car elles ne sont pas chauffée par géothermie mais bien par le magma du volcan tout proche. L’ambiance est d’un calme reposant, notre projet fait un pas de plus en avant.

Nous gambadons tellement qu’une fois de plus, nous oublions de manger. Alors on se console sur la piste du retour d’un goûter typiquement colombien : AguaPanela con Queso, une tasse d’eau de canne à sucre bouillante et une bonne tranche de fromage de vache, bien fort en goût. De quoi se requinquer pour rentrer à Cartago, entre les gouttes !

Le goûter typique Colombien: aguapanela con queso


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